Tracés de voyage
Vingt ans après la publication de son premier récit de voyage, Ugo Monticone propose Tracés de voyage, un recueil de vingt cartes postales qui témoignent de deux décennies de pérégrinations aux quatre coins de la planète, notamment comme conférencier et collaborateur des Grands Explorateurs.
Enfreignant la règle qu’il s’est fixée de ne pas retourner sur ses pas, l’auteur s’est rendu dans l’Ouest canadien, «à la recherche du passé». «Je replonge vingt ans en arrière, me remémore mes vingt jours significatifs de mon premier récit de voyage, écrit-il en guise d’introduction. Mais qu’y a-t-il à retrouver, sinon mes propres souvenirs? En traversant le parc national Banff, j’aboutis à l’appartement situé près du lac Louise où je vivais autrefois, le Forty. Je ris tout haut et prends la porte en photo. Je suis extatique. Je ne pensais pas que ç’aurait cet effet sur moi. En revenant dans les Rocheuses, je suis revenu au cœur de ma nature.»
Empreinte de nostalgie, cette introduction reflète bien l’exercice d’introspection qui s’impose à tout voyageur qui ose jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Qu’on le veuille ou non, regarder derrière nous force à prendre la mesure du temps qui passe, de la distance entre les fantômes et les vivants et du regard-miroir que nous renvoient ceux qui nous semblent si semblables à celle ou celui que nous étions il n’y a pas si longtemps… même si vingt ans se sont écoulés. Parce que revoir un lieu marquant implique inévitablement un grand brassage d’émotions.
Tandis que les premières pages s’attardent surtout à ces sentiments, les chapitres suivants, livrés sous forme d’instantanés, sont racontés au présent. En Alberta, on le suit en pleine forêt, dans une épopée nocturne vécue lors de son premier voyage dans l’Ouest, à l’époque où Gord Downie était bien vivant et Tragically Hip, l’un des groupes phares de toute une génération de Canadiens d’un océan à l’autre. Aux Pays-Bas, nous le retrouvons plusieurs années après, plus installé dans sa vie professionnelle et tiraillé entre ses envies d’exploration et de repos. En Belgique, il se livre à des cours de diction avec des spectateurs venus voir sa conférence. Au Japon, il accumule gaffe sur gaffe. Au Costa Rica, il réalise que même en tentant de tout planifier, c’est toujours dans les «craques» que se retrouvent les moments les plus significatifs de ses voyages.
Chaque arrêt sur image est l’occasion de découvrir une tranche de route, teintée par la tendance de l’auteur à se laisser porter par le hasard des rencontres, mais aussi à se buter aux limites de son ego. Comme lors de ce voyage au Guatemala où il s’initie au surf, gonflé à bloc par l’idée qu’il se fait du personnage du surfeur et la réalité. Au fil des pages, l’influence des obstacles qui se dressent sur sa route est d’ailleurs bien présente, qu’il s’agisse de la barrière de la langue ou des codes culturels, qui l’amènent à surfer ou à plonger dans l’aventure; à rester en surface ou à s’abandonner. On aimerait parfois qu’il se commette davantage et oublie son orgueil, mais on se reconnaît aussi dans sa recherche de sensations, son autodérision et sa quête de sens.
Au cœur de l’Himalaya, après qu’une blessure à la cheville eut ralenti sa descente de l’Annapurna, il constate le dévouement d’une oiselle qui protège son nid du vent en s’écrasant de tout son poids pour le stabiliser et éviter que ses œufs se fracassent au sol. «Cette mère fragile, si près de la mort, sait pourtant exactement quel est son but, ce qu’elle doit accomplir. Tout son être s’y dévoue, aucune place pour le doute. Je l’envie. Moi, je ne sais pas quel vent je dois vaincre.»
Afin de bonifier l’expérience, Tracés de voyage invite le lecteur à recourir à la réalité augmentée. Les illustrations d’Isabelle Gagné alias Miss Pixels – c’est à elle qu’on doit aussi la superbe couverture – s’animent grâce à l’application mobile gratuite Artivive. L’intégration et les trames sonores ont été réalisées par Marc Sauvageau. Bien que la plume d’Ugo Monticone suffise à nous faire voyager, force est d’admettre que ces ajouts accompagnent fort joliment l’aventure.
Si de nombreux quarantenaires se retrouveront dans ses références et sa crise d’identité qui monte «comme la marée», les récits plairont aussi aux globe-trotters de toutes générations à la recherche d’une dose d’évasion avant de pouvoir reprendre la route.
Tracés de voyage, Ugo Monticone. Éditions XYZ. 2020. 232 pages.