La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le journalisme est une auberge espagnole

Le 10 novembre dernier, en direct sur LCN d’abord, puis sur les ondes de QUB Radio, une animatrice et ses collègues ont tenu des propos désobligeants au sujet de la très populaire influenceuse Élisabeth Rioux qui, sur ses réseaux sociaux, déclarait avoir été victime de violence conjugale.



Je ne m’étendrai pas sur le sujet, beaucoup de choses ont été dites, deux journalistes et animatrices ont fait leurs excuses publiques quelques heures après et le sujet est encore chaud au moment où j’écris ces lignes puisqu’une lettre publiée dans Le Devoir du 12 novembre et signée par une centaine de femmes dénonce la banalisation médiatique en lien avec cette saga.

Photo: Instagram Elisabeth Rioux

Toutefois, alors que je viens de recevoir deux très pertinents essais sur les médias et le journalisme à l’ère actuelle, Le journaliste béluga – Les reporters face à l’extinction (éd. Leméac) de Mathieu-Robert Sauvé et Nous méritons mieux – Repenser les médias au Québec (éd. Boréal) de Marie-France Bazzo, j’en suis arrivée à quelques constats.

D’abord, tenir les ondes en direct quasiment tous les jours à la barre d’une émission visant à faire de l’opinion, c’est plus dangereux que de sauter en parachute. On me donnerait des millions pour animer une tribune du genre que je ne le ferais jamais. Les risques sont trop grands, tout comme les attentes des gens qui sont vites sur la gâchette, et, soyons francs, ils le sont encore plus quand la personne qui s’est mis le pied dans la bouche est une femme.

Ensuite, je ne vois pas comment un humain normalement constitué peut avoir un avis sur tout chaque jour de sa vie tout en étant toujours parfaitement préparé, allumé, rigoureux… Les risques de foncer droit dans le Grand Canyon comme le font Thelma et Louise à la fin du film culte des années 1990 sont tellement importants! Bien sûr, les protagonistes impliquées dans cette affaire précisément s’en remettront, reprendront le micro et, j’en suis certaine, ne sont pas prêtes d’oublier les retombées du lendemain, jour du Souvenir…

«Sale temps pour être connu, je suis tellement content d’être un nobody», m’a dit mon chum hier soir, comme une sorte d’avertissement… C’est vrai que les taloches, méritées ou non, arrivent vite sur quelqu’un qui a l’immense privilège d’avoir une tribune, poste souvent très convoité. Beaucoup d’appelés, peu d’élus pour accéder au trône éjectable, et c’est aussi un parcours du combattant digne d’une traversée de champs de bataille, sans veste pare-balles, d’y rester sans perdre trop de plumes. Vaut mieux courir vite, ne pas faire trop de bruit, avoir ses repères, des raccourcis, et savoir où aller.

D’où l’importance, il me semble, et sans rapport précis avec le cas ci-haut, d’avoir une solide formation, ou d’avoir fait ses classes avant d’aller jouer dans la cour des grands. Ça s’appelle de l’expérience, qualité qui, paradoxalement, me semble difficilement conciliable avec l’obsession qu’ont pour la jeunesse certains patrons d’entreprises médiatiques. «Il n’y a pas tant un âgisme qu’un jeunisme qui s’installe, dont, particulièrement chez les femmes (sauf encore ici exception), cinquante-cinq ans serait la limite supérieure», observe Marie-France Bazzo dans Nous méritons mieux – Repenser les médias au Québec. «Une autre manière de faire les choses existe: je vois, j’entends des gens d’une variété d’âges se côtoyer et se donner la réplique dans les médias français et américains, pour ne parler que de deux sociétés avec lesquelles nous avons quelques points en commun… », poursuit la productrice et animatrice.

Le journalisme est un métier

En ondes (à l’écrit aussi), comme «travailleur de l’information», j’ai aussi la triste impression qu’on préfère souvent la vedette ou le chroniqueur d’opinion au «vrai» journaliste, comme si n’importe quelle personnalité publique, parce qu’elle a une certaine notoriété, voire beaucoup de «followers» pouvait animer, faire des chroniques et des reportages sur n’importe quel sujet dans les médias.

Un journaliste de formation et d’expérience qui fait de la chronique sait que ses énoncés doivent s’appuyer sur des faits vérifiés.

«Vous désirez être journaliste? Vous prenez un papier, un crayon, et vous interviewez une personne. Vous voici journaliste. Il n’y a pas de caricature ici. Le métier de journaliste, au Canada, ne relève d’aucun ordre professionnel et n’est donc aucunement "normé". Il existe, bien entendu, des codes d’éthique et des guides de déontologie, mais ils n’ont pas force de loi. Il existe aussi des associations de journalistes, mais elles ne sont pas des "ordres professionnels"», écrit Mathieu-Robert Sauvé dans Le journaliste béluga. Il ajoute aussi pour faire image que «ce métier est comme une auberge espagnole où on trouve de tout, du meilleur et du pire».

En même temps, dans ce beau bar ouvert que semble être devenue la profession, je sais que les médias font des examens de conscience en ce moment, surtout en ce qui a trait au manque de diversité de points de vue, d’opinions, d’origines et d’âges en ondes.

Maintenant qu’on se soucie plus de ceux qui sont dans les médias, il serait intéressant aussi de se demander, voire de s’intéresser à ceux qui suivent ces médias. Non, les gens qui ouvrent télé, radio ou journaux ne sont pas des tatas avides de divertissements exclusivement, de contenus légers et faciles recrachés par n’importe qui. Ce sont eux les clients et je sais qu’ils exigent qualité, représentativité, rigueur et professionnalisme. Au-delà de tout.