Flou artistique à Ottawa

Six Québécois de la région de Québec sont morts à Ouagadougou ce week-end aux mains de terroristes issus de la mouvance d’Al-Qaïda. Deux jours plus tôt, un autre Québécois de Laval tombait sous les balles à Jakarta, en Indonésie, dans un attentat revendiqué par Daesh.

Ce drame nous rappelle que, directement ou indirectement, nous sommes tous visés par le terrorisme international. Spectateurs ou victimes, nous subissons tous les effets d’actions agressives menées par des assassins hostiles à notre mode de vie. Même si les Québécois, comme tous les Canadiens, ont tendance à considérer les nouvelles de l’étranger comme peu pertinentes au quotidien, le fait est que notre bien-être collectif dépend lourdement d’un climat international sain. Or, celui-ci se pourrit de mois en mois.

Les affaires du monde sont un jeu d’une ahurissante complexité. On pense aux pièces de domino: il suffit qu’une seule bascule pour amorcer une réaction en chaîne. Mais l’image du Cube de Rubik est tout aussi juste: dès qu’on veut en compléter une face, c’est tout le reste qui bouge.

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Jean Chrétien avait vu juste en refusant de participer à l’invasion de l’Iraq en 2003, une mauvaise guerre contre la mauvaise cible pour les mauvaises raisons. Cette invasion, qu’il n’a pas pu empêcher, a déstabilisé tout le Moyen-Orient, provoquant même la naissance de Daesh – dont les effets se font sentir à Paris, Istanbul, Saint-Jean-sur-Richelieu et maintenant Laval. Huit ans plus tard, dans l’enthousiasme du Printemps arabe, Stephen Harper se joignait à une coalition internationale de 18 pays sous l’égide de l’ONU pour bombarder la Libye. Malgré la victoire, il s’en est suivi toute une série de troubles graves en Afrique, dont le dernier est l’attaque djihadiste à Ouagadougou, qui a fait 29 morts, dont toute une famille de Lac-Beauport.

Tout est relié. On ne peut plus penser aucune politique en vase clos. C’est encore plus vrai en matière d’économie: le sévère ralentissement que nous vivons s’inscrit dans le contexte du marasme international installé depuis la crise bancaire aux États-Unis en 2008. Jusqu’à récemment, le Canada l’avait échappé belle. Cette récession risque de nous rattraper à cause de la guerre des prix du pétrole que mène l’Arabie Saoudite et de l’éclatement de la bulle chinoise. Au Canada, l’effet de la récession se fera sentir partout: dans nos paniers d’épicerie, sur le taux de change, sur l’économie des provinces. Même l’orgueilleuse Alberta est en passe de devenir bénéficiaire de la péréquation.

Maintenant qu’il a montré sa capacité à remporter ce grand concours de popularité appelé «élection», le premier ministre Justin Trudeau doit annoncer de toute urgence ses orientations sur des sujets difficiles comme la guerre au terrorisme, le commerce international et le redressement économique.

La scène internationale actuelle, notamment le terrorisme, place les dirigeants de nombreux pays devant un dilemme cornélien: s’ils ne font rien, des milliers de personnes risquent de subir les exactions de groupes extrémistes – meurtres, mutilations, prises d’otages, les exemples sont nombreux. S’ils font quelque chose, cela fera tomber d’autres dominos. Tout comme eux, Justin Trudeau est dans un engrenage – et nous avec lui. Aussi faut-il réclamer une politique cohérente et convaincante, qui s’exprimera à travers des actions claires et bien senties. Le flou artistique qui règne actuellement entretient la peur et l’inquiétude et ne mettra certes personne à l’abri.

Malheureusement, on sait depuis longtemps que Justin Trudeau maîtrise mal les questions de grande politique internationale et qu’il n’est pas à son aise sur cette patinoire. Par tempérament, il a tendance à vouloir formuler des idées consensuelles et jovialistes. Sa réaction aux attentats de Paris et à celui de Ouagadougou en a laissé plusieurs sur leur faim, et il ne s’agit pas là de cas isolés.

Dès le lendemain de son élection en octobre dernier, Justin Trudeau est resté fidèle au programme de son parti, pour annoncer à Barack Obama que le Canada se retirerait des bombardements contre Daesh. C’était contestable, mais c’était clair. Depuis, aucun événement ne vient se conformer au programme. À l’exception de l’accueil des réfugiés syriens, sa politique semble être de cultiver le flou artistique sur presque tout.

Sans tomber dans les travers d’un Stephen Harper, qui faisait des choix désastreux, mais qui savait les exprimer, il est urgent que le premier ministre Trudeau cesse de nous dire: «Nous avons un plan», et qu’il nous dise où s’en va son Canada.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.