La sauveuse de livres tire sa révérence
C’est une des collègues de Francine Ledoux-Nadeau qui m’a écrit il y a quelques jours pour me parler de celle-ci, une épatante cheffe de division à la Bibliothèque municipale de Mont-Saint-Hilaire, sur le point de prendre sa retraite après 36 ans de bons et loyaux services. J’ai tout de suite pensé: «Chanceuse, elle va enfin pouvoir lire toute la journée ce qui lui tente vraiment!» Or, sa chance, elle la mérite vraiment…
Enceinte de sa fille aînée, elle venait à peine d’être embauchée comme surnuméraire à cette bibliothèque avec une vue imprenable sur la montagne quand, en 1981, celle-ci fut incendiée par des jeunes. Complètement rasée. Au même titre que l’École secondaire Ozias-Leduc qui l’abritait, mais reconstruite depuis. «On commençait à faire l’acquisition d’albums jeunesse…, m’explique une Francine fraîchement retraitée avec une certaine tristesse dans la voix. En attendant de les mettre à la disposition des abonnés, nous les avions cachés sous le comptoir de prêts, comme s’il s’agissait de trésors…» Des quelque 5000 ouvrages de la bibliothèque rasée par la fureur des flammes, seulement 2300 ont pu être récupérés, dans un état pitoyable, c’est vrai, mais récupérés tout de même et encore aptes à connaître une seconde vie.
C’est chez elle, à une rue des cendres encore fumantes de son lieu de travail tant aimé, que ces livres, des sortes de survivants de papier, ont abouti. «Elle a sauvé de nombreux livres, qu’elle a apportés chez elle afin de les faire sécher dans les meilleures conditions possible», précise dans sa lettre sa collègue admirative. «Je vidais une boîte à la fois; il n’y avait rien d’informatisé encore au début des années 1980, tout était tapé à la dactylo, fiche par fiche…», se souvient Francine. Dans son roman Fanfan, Alexandre Jardin a écrit que «composer une bibliothèque est un art qui tient de l’architecture». L’architecte, dans cette histoire, c’est pas mal Francine Ledoux-Nadeau, qui a su réanimer la bibliothèque d’une des plus jolies villes du Québec.
Un bar pour les prêts
D’ailleurs, après avoir été logés dans son nid où elle venait de donner naissance à sa fille qui travaille aujourd’hui dans le monde de l’édition (allez savoir pourquoi…), les livres ont intégré une salle de réception au sous-sol de l’Hôtel de Ville. C’est au bar que Francine avait installé son comptoir de prêts…
Le nombre d’abonnés grandissant, la biblio reprenait des plumes et gagnait du terrain à même la salle, au point d’être enfin, en 1995, déménagée dans un tout nouveau bâtiment, où la biblio se trouve d’ailleurs toujours, plus splendide que jamais, plus utile et surtout appréciée. De 2300 livres rescapés, la bibliothèque est passée à 80 000 documents actuellement disponibles pour les quelque 150 000 abonnés.
Femme discrète, habituée dès son plus jeune âge à fréquenter les bibliothèques, dont celle de son collège à Longueuil où elle aidait le Frère bibliothécaire, Francine Ledoux-Nadeau n’aime pas être sous les feux de la rampe. «J’ai juste fait mon travail et il y a d’autres bibliothèques qui ont été détruites», se justifie-t-elle.
Bien sûr, la Bibliothèque de Mont-Saint-Hilaire n’est pas celle d’Alexandrie. Bien sûr, la nouvelle retraitée dans la soixantaine ne connaît ni ne cherche célébrité, gloire ou compte Instagram flamboyant. Elle n’est même pas sur Facebook. Ce qui la réjouit, ce sont les livres et ses proches. Elle ne prévoit même pas faire la snowbird comme des milliers d’autres retraités. «Bah, vous savez… c’est vraiment les histoires qui me font voyager et qui me rendent heureuse.»
Depuis le temps que je vous dis que les livres sauvent de tout! À Mont-Saint-Hilaire, ces sauveurs, c’est aussi elle qui les a sauvés. Quand même. Bonne retraite et longue vie en santé.
Je craque pour…
Journaux intimes de Jane Birkin au FIL
Le 1er mars au Théâtre Outremont, la seule et unique Jane Birkin, qui a publié Munkey Diaries: 1957-1982 et Post-scriptum 1982-2013, ses journaux intimes dans lesquels elle se dévoile avec grâce et sincérité, vient en faire la lecture à Montréal, l’espace d’une soirée qui risque d’être fort spéciale et riche en émotions.
Elle se racontera d’ailleurs comme jamais auparavant au sujet notamment de son adolescence en Angleterre jusqu’à la mort de sa fille Kate en décembre 2013, en passant par les années Gainsbourg à Paris, la vie avec Doillon, la naissance de Lou et les débuts de Charlotte au cinéma.