Suicide: l’empathie et la bienveillance ne sont pas données à tout le monde
Chaque jour, trois Québécois s’enlèvent la vie. Vous en avez connu, j’en ai connu. Vous y avez peut-être songé vous aussi. Le suicide, ça commence à se savoir, ne touche pas que les ados qui passent trop de temps sur leur console de jeux vidéo ou les gens aux prises avec des problématiques de santé mentale ou des dépendances.
Le suicide attend aussi ses victimes dans les plus belles banlieues québécoises, après des soupers arrosés des meilleures bouteilles, après des vacances estivales à Rome, après des fous rires passés maîtres dans l’art du camouflage. Il a frappé il y a un mois chez la connaissance d’une amie qui vivait d’immenses soucis au travail. Le travail… elle y donnait toutes les heures de sa vie, véritable carburant pour l’estime, la passion, l’ego, le compte en banque. Remplie de doutes, prise d’une culpabilité liée à une erreur qui s’est avérée fatale pour un patient, elle a voulu faire éclater ce qu’elle avait mis tant d’années à gonfler en se faisant hara-kiri (ce n’est pas une figure de style). Cette professionnelle de la santé, épouse et mère de famille d’une quarantaine d’années a finalement survécu.
Si cette histoire me touche autant, ce n’est pas seulement parce qu’elle concerne une femme de mon âge, sans doute aux prises avec des fatigues, obsessions, conciliations et ambitions similaires aux miennes. Ce n’est pas non plus parce que c’est arrivé à des proches, ni parce que j’ai aussi pensé en finir en me disant «la vie, c’est court, mais c’est long des p’tits boutes», pour reprendre les paroles du Répondeur de l’album Dehors novembre des Colocs, un peu avant le suicide de Dédé Fortin. Je pourrais aussi citer feues Ève Cournoyer et Nelly Arcan, bien sûr. Leurs textes annonçaient leurs sombres désirs, noir sur blanc. La lumière qui perçait à travers leurs ténèbres était éclatante au point d’aveugler tout le monde. Difficile d’entrevoir la chute imminente à travers leur bel emballement de créateurs. Ils me manquent…
Même si le 9 septembre dernier, veille de la Journée mondiale de la prévention du suicide, l’agence onusienne de la santé révélait que le nombre de pays disposant de stratégies de prévention du suicide aurait progressé au cours des cinq années écoulées depuis la publication du premier rapport mondial de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le suicide, «on compte toujours un décès par suicide toutes les 40 secondes». C’est ce que déplorait dans un communiqué le directeur général de l’OMS, le docteur Adhanom Ghebreyesus.
Au Québec, selon les plus récentes données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le nombre de décès par suicide, lui, est passé de 1150 à 1046 de 2015 à 2016, une baisse importante de plus de 100 suicides. Longtemps en tête de liste pour son taux le plus élevé au pays, la province se positionne maintenant au 5e rang. Donc, bonne nouvelle, les campagnes massives de prévention semblent avoir porté ses fruits. Or, admettons que la détresse psychologique soit détectée grâce à cette avancée dans la conscientisation, après, on fait quoi avec ça si l’accès à la psychiatrie demeure si difficile? Où sont les solutions de rechange? Quand ça urge, ça urge. «Rentrez chez vous prendre un bain chaud avec un Ativan» ne règle pas le problème. Est-ce que des mesures plus draconiennes ont été instaurées ces dernières années pour recevoir des patients «en crise» dans le système de santé? Les régimes d’assurance sont-ils arrivés, en 2019, pour dédommager ceux qui tombent au combat?
«Voulez-vous, je vais vous dire des choses qui n’aident pas du tout une personne qui souffre: lui dire que sa vie est belle, en apparence, lui rappeler le nombre de choses qu’elle a, le nombre de personnes qui semble l’aimer, lui dire de ne pas parler de santé mentale, que c’est personnel, que ça va faire perdre des clients au travail. […] Minimiser la souffrance aussi. Minimiser les malheurs parce que tout le monde en vit des affaires poches. Faire semblant que parce que tu as enfin un diagnostic, tu vas aller mieux tout de suite. Que les médicaments sont magiques aussi et qu’ils n’ont pas d’effets secondaires.» Je lisais récemment ces mots sur la page Facebook de l’entrepreneure et autrice Josiane Stratis, qui m’a donné le GO pour que je la cite ici et qui n’a jamais caché publiquement être passée par des moments de désespoir quasi fatals.
Ce qu’elle raconte m’a aussi fait penser à ceux qui disent «ben voyons, t’a pas le cancer, botte-toi le derrière, pis demain, ça ira mieux», aux employeurs et collègues qui ne croient pas en la sincérité de ceux qui partent en congé de maladie après être tombés au fond du gouffre, aux «amis» qui roulent des yeux quand ça fait plusieurs fois qu’ils consolent le même individu dans le chaos d’une peine d’amour… L’empathie et la bienveillance ne sont pas données à tout le monde. En période de détresse, on espère que ce soient les bonnes personnes qui attendent avec le filet en bas du tremplin.
Des ressources de santé capables d’accueillir, de la conscientisation de masse pour détecter les suicidaires, certes, il en faut plus, mais je souhaite aussi à tous de développer l’empathie, qualité si précieuse et trop peu valorisée alors qu’elle reste la meilleure arme pour affronter ce siècle, qui sans vouloir être pessimiste, me semble plus ou moins bien parti. Faudrait au moins s’aimer.
Je craque pour…
Mes grands classiques véganes de Jean-Philippe Cyr, éd. Cardinal
Si ce n’était pas des photographies de mets savoureux, ce livre aurait l’air de l’album d’un crooner des années 1940. Or, il s’agit plutôt de l’humour du pince-sans-rire Jean-Philippe Cyr, sympathique chef végane qui a vendu plus de 50 000 exemplaires de son précédent ouvrage de recettes sans viande, sans poisson, sans œufs et sans produits laitiers. Et, et, et… c’est succulent, même pour les grandes gourmandes comme moi parce que Cyr maîtrise comme un roi les assaisonnements, mélanges de textures à travers cette fois les classiques de nos grands-mères, comme le pâté chinois, le ragoût de boulettes ou le gâteau aux carottes. Du confort avant l’arrivée des grands froids.