Rougeole: à la recherche du vaccin contre le scepticisme

L’alerte donnée la semaine dernière par les autorités à la suite de l’apparition de deux cas de rougeole à Montréal a marqué les esprits. D’autant plus que, partout sur la planète, on voit bondir le nombre de cas de rougeole, qui a augmenté de 300% au premier trimestre de 2019, pour atteindre 112 000 dans le monde selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Au banc des accusés, le manque de moyens, mais aussi la complaisance – et le refus de prendre le moindre risque face au vaccin. Fait nouveau: l’OMS classe désormais la «méfiance à l’égard des vaccins» parmi les dix grands «ennemis mondiaux» à combattre cette année, à côté de grandes maladies comme l’Ebola, la dengue, et d’autres fléaux comme la résistance aux antibiotiques et le manque de soins.



Mais avant de paniquer, il faut raison garder. Le Québec sera épargné par l’épidémie mondiale de rougeole actuelle pour la simple raison que le taux de vaccination chez les nouveau-nés québécois atteint 97%, alors qu’il faut un taux de vaccination de 95% pour prévenir les épidémies de rougeole. La dernière épidémie québécoise, 159 cas en 2015, avait touché une secte religieuse de Joliette, la Mission de l’Esprit-Saint, qui était antivaccin, sans pour autant se généraliser.

Ce qui prouve d’ailleurs plusieurs choses: que la vaccination fonctionne; que le Québec est bien couvert; mais aussi qu’il subsiste des poches de scepticisme, voire d’obscurantisme, qu’il faut surveiller de près. Car en matière de prévention des épidémies, nous ne pouvons pas nous asseoir sur nos lauriers. À en juger par la teneur des conversations en famille ou ce qui se dit sur les réseaux sociaux, le Québec est certainement traversé par le même courant antivaccin qui touche toutes les populations des pays développés avec une intensité variable.

La bonne nouvelle là-dedans, c’est que seulement 1% des Québécois refusent tout vaccin. Mais ils sont 38% qui se «posent des questions». Bien des gens, qui ne sont pas antivaccins, font vacciner leurs enfants de manière sélective. Ils vont prendre le vaccin contre la rougeole et la polio, mais pas celui contre l’hépatite B ou le virus du papillome humain. Si bien que moins de 60% des gens profitent d’une couverture complète.

Ce lien entre le scepticisme antivaccin et l’actuelle épidémie de rougeole est avéré: la France recense 1 500 cas de rougeole contre six au Québec. Or la France est la championne occidentale du scepticisme antivaccin, avec un taux dépassant les 50%. Une honte au pays de Louis Pasteur, pionnier de la microbiologie. Mais dans un pays où l’on se revendique aussi du philosophe René Descartes, le cartésianisme peut clairement entraîner des excès de doute!

Les autorités sanitaires doivent donc rester vigilantes à l’égard de courants de pensée anti-sanitaire, qui peuvent se répandre dans la population comme une traînée de poudre.

En ce qui concerne la rougeole, les antivaccins citent toujours la «fameuse» étude du docteur Andrew Wakefield publiée dans la revue médicale britannique The Lancet en 1998. Wakefield avait fait la corrélation entre le vaccin de la rougeole et l’autisme. Or, depuis, plusieurs études ont démontré que son travail était non seulement faux, mais frauduleux – Andrew Wakefield a même été radié de la profession médicale. Mais le dommage était fait et, pendant toute la première décennie du nouveau millénaire, un peu partout dans le monde, on a vu des parents refuser ce vaccin pour leur enfant en invoquant Wakefield. Vingt ans plus tard, réseaux sociaux aidant, cela donne une épidémie mondiale de rougeole.

La rougeole est une maladie extrêmement contagieuse: une personne atteinte peut transmettre la maladie à 15 ou 20 personnes avant même l’apparition des éruptions cutanées en plaques rouges  – d’où son nom. Elle est heureusement bénigne pour la majorité des gens, mais elle peut entraîner des complications mortelles, en particulier chez les adultes. Au Québec, normalement, on en répertorie entre zéro et quatre cas par an. Avant la première campagne de vaccination en 1970 au Québec, on a vu le nombre de cas atteindre les 61 000 par an.

Les antivaccins en ont beaucoup contre les risques de la vaccination. Un vaccin peut produire certains effets indésirables, qui vont de simples rougeurs, fièvre et maux de tête à des atteintes graves au système nerveux ou respiratoire provoquant la mort. Ces risques sont réels, mais statistiquement faibles. Les données probantes montrent que ceux-ci ne sont rien par rapport aux fléaux qui guettent une population non vaccinée.

Le fait est que chaque maladie est un cas d’espèce. La rougeole, par exemple, est tellement contagieuse qu’il faut que 95% de la population soit vaccinée pour prévenir une épidémie. La grippe, c’est encore une autre histoire: un taux de vaccination de 50% amène des résultats, à condition d’avoir vacciné 80% des groupes à risque – comme les personnes âgées ou atteintes d’une maladie respiratoire chronique.

Toutes les maladies virales sont dangereuses, soit par elles-mêmes, soit par les complications qu’elles peuvent entraîner. Et il n’existe aucun remède contre une infection virale. Les antibiotiques combattent les bactéries, pas les virus, contre lesquels la médecine ne peut rien. La seule solution de santé publique contre un virus est de lui dresser une barrière – soit en évitant tout contact, soit avec un vaccin.

Contrer le discours antivaccin

Au Québec et ailleurs, les autorités en santé publique se demandent comment contrer le discours antivaccin. Il s’agit d’abord de comprendre cette méfiance antivaccin, qui n’est pas mal intentionnée chez la plupart des gens, mais qui peut prendre les dimensions d’un excès de précaution mal avisée.

Certes, une bonne information est toujours utile, sauf qu’elle ne perce pas toujours le mur de scepticisme ni celui des algorithmes qui déterminent une part grandissante des informations que nous recevons. Il ne fait aucun doute que les autorités devront ajuster le discours provaccin si on ne veut pas retourner aux années 1930.

Un article récent paru dans The Conversation jette une lumière intéressante sur la manière dont les gens bien intentionnés vont commencer à se méfier. Toute construction de sens, explique-t-on dans l’article, est un processus social avant d’être une affaire de vérité et d’éducation. Devant un problème, nous allons d’abord nous informer auprès de notre entourage: les parents, les amis, le web. Dans ce système relationnel, l’anecdote peut aisément prendre le dessus sur les faits avérés et s’ériger en vérité parallèle.

Les autorités responsables de la santé publique commencent à comprendre que le remède au scepticisme antivaccin ne repose pas seulement sur les faits, mais sur la capacité de présenter un contre-discours. Car rien ne sert de confronter les sceptiques avec des vérités scientifiques, qui les heurtent dans leur conviction et vont à l’encontre des avis de leur entourage.

À l’heure de Facebook et des réseaux sociaux, la solution consiste à installer dans le public un autre récit à travers les influenceurs et le public en général. C’est de cette façon qu’une personne qui se «pose des questions» entendra d’abord que la vaccination, ça marche, avant de se faire dire qu’il y a des problèmes ou un vaste complot ourdi par un quelconque complexe pharmacoscientifique.

La bonne nouvelle, c’est que nous avons tous le pouvoir d’agir en ce sens. Les aînés, en particulier, ont un rôle important à jouer là-dedans. Nous avons tous des oncles et des tantes, des parents qui ont vécu du temps où le taux de mortalité infantile au Québec, et en particulier à Montréal, était très élevé. Avant l’avènement de la pénicilline en 1940 et la première campagne de vaccination de masse en 1959 contre la polio, les enfants tombaient comme des mouches, toutes les familles nombreuses étaient affligées par le décès d’un ou deux enfants en bas âge. Ces histoires de famille constituent le meilleur vaccin contre le scepticisme.

Et puis, il faudra bien que les autorités appellent un chat un chat et fassent appel à la solidarité et au civisme. Disons-le clairement: le refus du vaccin est une forme de chacun-pour-soi. Si des gens non vaccinés n’attrapent rien, c’est parce que tout le monde autour d’eux est vacciné et dresse une sorte de bouclier microbiologique qui les protège. Ça ne marche plus si le refus se généralise. La vaccination est non seulement un geste de protection pour soi et pour ses enfants, mais un geste de civisme et d’altruisme. Car en protégeant les siens, on contribue à protéger les autres. C’est aussi cela, le sens de la vaccination, et il faut le dire clairement.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.