La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Carmen à l’Opéra de Montréal: quand les personnages secondaires volent le show

Éric-Emmanuel Schmitt, qui a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec cette semaine, nous a mis en appétit il y a deux mois. En sortant de son nouveau spectacle, Le mystère Carmen, on n’avait qu’une envie, voir l’intégral de l’opéra Carmen de Georges Bizet. Le hasard faisant bien les choses, l’Opéra de Montréal termine sa saison avec cette œuvre. Il reste quelques représentations en fin de semaine à la Place des Arts, et de surcroît, la production sera filmée pour projection dans les salles de cinéma du Québec à un moment qu’il reste à déterminer.



Carmen, c’est un classique des classiques. L’œuvre de Bizet est en troisième position des opéras les plus joués au cours des dix dernières années. Selon les données du site Operabase, il y a eu 1 290 productions de Carmen entre 2008 et 2018, pour un total de 6 507 représentations.

Et pour cause, la première partie est une suite de succès, de l’ouverture à l’air Près de remparts de Séville, en passant par L’amour est un oiseau rebelle et Parle-moi de ma mère, le magnifique duo entre les personnages de Don José et Micaëla. Et que dire de l’air d’Escamillo et du prélude de l’acte 3 qui viennent plus tard! Tous ces airs imparables font qu’on ne peut jamais être totalement déçu d’un opéra Carmen.

La production de l’Opéra de Montréal avait donc tout pour créer des attentes. La mise en scène avait été confiée au réalisateur Charles Binamé (Blanche et Marguerite Vollant à la télévision, Eldorado, Séraphin - Un homme et son péché, Maurice Richard au cinéma), les éclairages à Alain Lortie, on a rassemblé une distribution entièrement canadienne, on a sorti les bidous pour avoir des choristes en grand nombre (près de 80) qu’on a habillés de costumes tout neufs (plus de 500) et on a fait appel aux excellents musiciens de l’Orchestre Métropolitain (OM), dirigés par Alain Trudel.

Pourquoi, malgré toutes ces conditions réunies, demeure-t-on, après 2 heures 46 de spectacle, sur son quant-à-soi? À cause de Carmen. Krista de Silva n’a pas le panache pour le rôle. Ni la voix, ni la sensualité, ni la fougue. La posture qu’elle prend, jambes écartées et genoux pliés, est du plus mauvais goût. On ne croit pas une seconde à cette Carmen de pacotille.

Krista De Silva (Carmen) ©Yves Renaud

C’est cruel de mettre tout le blâme sur une seule personne, mais il en va ainsi de Carmen. Si la chimie n’opère pas avec le personnage principal, le spectacle peine à lever, et c’est ce qui arrive ici. Dommage pour son partenaire Antoine Bélanger qui a l’air de surjouer son Don José à côté d’elle. J’ai déploré le même syndrome dans Le mystère Carmen vu au Théâtre du Nouveau Monde (TNM).

Krista De Silva (Carmen) Antoine Bélanger (Don José) ©Yves Renaud

Les moments les plus électriques de la soirée nous viennent des rôles secondaires. Avec sa voix, son émotion et sa fragilité, la soprano France Bellemare nous fait tomber dans le camp de Micaëla. Christopher Dunham n’a aucun problème à nous convaincre qu’il est un toréador à qui rien ne résiste.

Christopher Dunham (Escamillo) Krista De Silva (Carmen) Dominique Côté (Le Dancaire), Antoine Bélanger (Don José) ©Yves Renaud

Les moments plus légers de l’œuvre sont formidablement rendus par les duos Pascale Spinney (Mercédès) et Magali Simard-Galdès (Frasquita) et Alexandre Sylvestre (Morales) et Éric Thériault (Remendado). Quand ça marche, ça ne ment pas. Lorsque chacun d’eux a eu son moment, on sentait le public se réveiller. Aux saluts, ils ont récolté les applaudissements les plus nourris.

Magali Simard-Galdès (Frasquita) (Krista De Silva (Carmen) Pascale Spinney (Mercédès) ©Yves Renaud

Pour ce qui est de la musique de Bizet, elle a été admirablement rendue grâce à une prestation très expressive de l’OM.

Si cette Carmen de l’Opéra de Montréal passe par un cinéma près de chez vous, faites fi de ce que je viens de vous dire et allez voir quand même. Je pense que cette production va se bonifier dans sa version pour grand écran.