Aînés: avancées budgétaires, mais il reste à faire

Provincial et fédéral, les deux budgets 2019 contiennent des mesures pour les aînés et les travailleurs d’expérience. Si le budget fédéral était plus modeste et quelque peu décevant en la matière, le premier budget de la CAQ a marqué les esprits, particulièrement sur le front de l’emploi et des soins. Sur les 5 milliards $ d’argent frais que le gouvernement québécois injectera, la moitié ira aux aînés – à tel point que certains commentateurs en ont parlé comme du «budget de Marguerite», par allusion à la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais.



Une avancée sur le dossier des aînés qu’il convient certes de saluer. Des organismes de défense des droits des aînés, comme le Réseau FADOQ, ont d’ailleurs souligné les impacts positifs de plusieurs des mesures avancées, même s’il reste encore beaucoup à faire.

Soins à domicile, une priorité… mais

La grande mesure phare, c’est la promesse du ministre des Finances, Éric Girard, d’investir 1,5 milliard $ sur cinq ans pour les soins à domicile. Concrètement, les 280 millions $ additionnels pour les soins à domicile assureront 3 millions d’heures de service à 30 000 personnes – la liste d’attente était de 32 000 personnes en novembre dernier. Il ajoute également 21 millions $ en soutien aux proches aidants.

Mais pour ces derniers, il ne faudra pas en rester là. Plusieurs organismes réclament depuis longtemps une politique des proches aidants – que la CAQ promet pour cette année, mais qui reste encore en friche. Car on n’a pas encore défini, comme c’est le cas en Belgique, par exemple, ce qu’est un proche aidant, ni créé une reconnaissance de statut qui donnerait notamment accès au dossier médical de la personne aidée. Le crédit d’impôt (entre 533$ et 1 185$ selon les cas) est parfaitement ridicule si on tient compte de ce que dépensent les proches aidants. L’Institut de recherche en politique publique estime qu’en moyenne chacun d’eux dépense jusqu’à 7 600$ par année pour la personne aidée, en plus de subir un manque à gagner qui va chercher dans les 16 000$ par an! Et les prestations autorisées par l’assurance-emploi – 55% du salaire pendant 15 ou 26 semaines, selon le cas – sont insuffisantes. Il importe de protéger les emplois des proches aidants jusqu’à 52 semaines d’absence et de rehausser les mesures de soutien financier leur étant adressées.

Les fameux CHSLD

S’il est bien une épineuse question pour les gouvernements qui se succèdent, c’est bien celui des CHSLD. Pénurie de personnel, employés démotivés, patients négligés, listes d’attente sans fin, structures vétustes, ces établissements font sans cesse la manchette.

À ce chapitre, Québec avance des sommes pour créer d’ici deux ans quelque 900 nouvelles places en CHSLD (soit une augmentation d’environ 3%). Il s’agit en fait d’une mesure corrective en attendant le projet des Maisons des aînés. Le ministre Girard s’est tout de même avancé sur le fait qu’à compter de 2021, le gouvernement du Québec investira 250 millions $ par an pour construire une trentaine de ces Maisons, pour un total de 2 100 à 4 200 nouvelles places selon la formule qui sera choisie.

Saluons ici le réalisme prudent de cette approche. Le réseau peinant à offrir aux aînés plus qu’un bain par semaine, il aurait été complètement irréaliste que le gouvernement fasse miroiter au budget de très grands moyens qu’il n’aurait pas eu la capacité de livrer. C’est sans doute un gage de sérieux qu’il se donne un peu plus de temps pour préparer et mettre en œuvre cette mesure. Le budget prévoit également 1,1 milliard $ pour l’embauche de personnel en soins (infirmières, préposés…) pour l’ensemble du réseau de la santé. Une mesure nécessaire, car pour l’heure, le réseau est en pleine pénurie de personnel.

Travailleurs d’expérience

Sur le front de l’emploi, le ministre Girard met sur la table 900 millions $ sur cinq ans pour encourager les travailleurs de plus de 60 ans à rester au travail. Le «crédit pour la prolongation de carrière», qui remplace le «crédit pour les travailleurs d’expérience», permettra aux travailleurs de 60 à 64 ans de gagner 10 000$ de revenus supplémentaires à l’abri de l’impôt. Les travailleurs de ce groupe d’âge peuvent désormais se prévaloir de ce crédit dès l’âge de 60 ans. Le montant à partir duquel un travailleur d’expérience sera admissible à ce crédit d’impôt passe de 18 000 à 28 226$ (auparavant c’était un système compliqué de seuils qui variaient d’une année à l’autre). Ce qui frappe, outre les montants, c’est la progressivité de cette mesure, qui vise d’abord les petits salariés. À partir de 34 610$ de revenus, ce crédit fondra pour atteindre zéro à 64 610$. Déception toutefois, la mesure n’est pas bonifiée pour les travailleurs de plus de 65 ans, pour qui le crédit d’impôt reste à 11 000$.

Pour les PME, le ministre Girard crée également un crédit d’impôt remboursable de 1 250$ par employé de 60 à 64 ans et de 1 875$ pour les employés de 65 ans et plus. D’autres mesures devraient suivre, du moins si on en croit le ministre des Finances, qui a clairement signalé son intention de voir le Québec rattraper l’Ontario sur le front de l’emploi. On souhaite hausser le nombre d’aînés au travail de 48% à 54%, comme en Ontario, ce qui signifie 89 000 travailleurs de plus parmi les gens âgés de plus de 64 ans. Le ministre Girard avait d’ailleurs à peine terminé son discours que ses collègues Danielle McCann (Santé) et Jean-François Roberge (Éducation) déclaraient déjà qu’ils comptaient sur les retraités des réseaux de la santé et de l’éducation pour combler une partie des besoins actuels. Comme cette mesure ne suffira sans doute pas pour répondre à la pénurie actuelle, notamment dans le secteur manufacturier et des hautes technologies, il est quasi assuré que le prochain budget poursuivra dans cette veine. Et pour être conséquent, les mesures fiscales pour travailleurs de plus de 65 ans devront suivre.

Par exemple, Retraite Québec s’obstine à percevoir des cotisations pour les travailleurs d’expérience qui retirent une rente de retraite! Si on veut encourager les PME à embaucher des travailleurs expérimentés et si on veut faire en sorte qu’un certain nombre de retraités de la santé et de l’éducation remettent l’épaule à la roue, il faudra ajuster ces irritants. Et que dire des prestations de la CNESST qui discriminent les travailleurs âgés et des autres irritants dont nous parlions dans un récent éditorial sur le sujet?

Au fédéral: priorité à l’emploi

Au plan fédéral, les avancées pour les aînés sont plus modestes. Dans un communiqué de presse, au lendemain du budget, le Réseau FADOQ parlait notamment d’un «rendez-vous manqué», déplorant, comme d’autres associations, le manque de mesures pour les aînés les plus démunis et vulnérables.

De fait, les mesures les plus concrètes du budget libéral concernent l’emploi. Le gouvernement créera une «Allocation canadienne pour formation» de 250$ par an, cumulable, pour un maximum de 5 000$ par travailleurs. Les travailleurs pourront s’en prévaloir dès 2019. En 2020, il créera également une nouvelle prestation associée à l’assurance-emploi qui permettra d’obtenir une compensation pour formation de quatre semaines pour 55% du salaire. Cette politique, si elle peut permettre à des travailleurs de plus de 60 ans de se recycler ou de mieux vivre une période de transition, n’est pas mirobolante. Après tout, un travailleur de 60 ans qui voudrait se former n’aurait droit qu’à un crédit sur ses cinq dernières années admissibles, soit 1 250$ de crédit sur un maximum théorique de 5 000$. Pour encourager l’employabilité des travailleurs de plus de 55 ans, particulièrement les moins instruits, qui sont le plus à risque, il faudrait que ce crédit cumulable puisse être pris de façon rétroactive. La prestation salariale de quatre semaines est sans doute insuffisante pour ceux qui ont de grands besoins de formation.

L’autre grande mesure fédérale en matière d’emploi touche la fiscalité. Le ministre des Finances Bill Morneau a augmenté l’exemption des gains associés au Supplément de revenu garanti (SRG) de 3 500$ à 5 000$, et autorisé une exemption partielle à 50% sur les gains jusqu’à 15 000$ sur les revenus d’emploi et de travail autonome, une mesure intéressante et qui fera une différence. Mais le bémol, c’est qu’on n’a pas augmenté le montant octroyé par le SRG, qui n’est pas faramineux. Actuellement, le total est plafonné à un peu moins de 18 000 $, ce qui est sous le seuil de la pauvreté. Le Réseau FADOQ réclame plutôt «50 $ par mois de plus.»

Les aînés devront rester vigilants

Toutefois, à Québec comme à Ottawa, il reste encore bien du boulot à abattre sur plusieurs grands chantiers. Il faut déplorer notamment que ces deux budgets ne fassent rien pour corriger une série d’injustices qui pénalisent particulièrement les aînés parmi les plus démunis. Ce sont de petites iniquités qui ne représentent en fait presque rien dans le budget d’un pays, mais qui pourraient changer la vie de bien des gens. Rembourser deux prothèses auditives au lieu d’une, rembourser les prothèses dentaires et les lunettes (qui peut s’en passer?) ne coûterait que 100 millions par an, selon les calculs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. On a payé davantage pour une prime à la ponctualité des médecins ou la fameuse prime à la jaquette. Le peu que le gouvernement rembourse déjà sur ce plan devrait être sujet à un crédit d’impôt remboursable plutôt qu’à un simple crédit, qui n’avantage que les plus riches.

Il serait également urgent que les gouvernements actualisent plusieurs mesures fiscales, dont les montants ont été calculés il y a 20 ans et n’ont pas été mis à jour. Le crédit d’impôt pour activités (physiques, culturelles ou artistiques) est plafonné à un ridicule 40$ – il faudrait le doubler. De même pour la prestation de décès du Régime des rentes, figée à 2 500$ – de nos jours, cela ne couvre que la crémation, sans visites, ni urne, ni cérémonie. D’autres agences gouvernementales, comme la SAAQ et la CNESST, versent le double pour rembourser les frais funéraires.

Bref, les organismes de défense des droits des aînés auront encore bien du pain sur la planche. Souhaitons que le fédéral les entende davantage et que Québec ne s’arrête pas en si bon chemin…

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.