Entreprendre une réorientation professionnelle à 59 ans
Après une longue carrière comme fonctionnaire à la Ville de Montréal et experte-conseil internationale, Anne-Andal Michaud a trouvé dans la pratique du yoga un bien-être sans pareil. Récit d’une réorientation professionnelle pas banale.
Avenues: Quelles sont les grandes lignes de votre parcours scolaire et professionnel?
Anne-Andal Michaud: J’ai fait un baccalauréat en sciences politiques. Pendant les deux dernières années de mes études, je travaillais en tant qu’analyste de l’information à Radio-Canada, tout en étant très impliquée dans le mouvement des femmes.
Dans les années 1970, j’ai participé à la création du Mouvement contre le viol et l’inceste (MCVI), qui existe encore aujourd’hui. En plus d’en être la coordonnatrice, j’agissais également comme représentante du regroupement québécois à l’Association canadienne des centres contre le viol (CASAC). Pendant ces années, j’ai été extrêmement engagée… et occupée!
En 1983, je suis devenue consultante à mon compte pour différents organismes communautaires, pour des questions de communication, de développement organisationnel, de financement, de gestion de personnel, etc.
En 1988, j’ai eu un contrat de trois mois avec la Ville de Montréal pour collaborer au développement de la politique de consultation publique. L’année suivante, j’ai obtenu un poste permanent en tant que conseillère en développement communautaire; poste que j’ai occupé pendant 18 ans.
Pendant ces années, j’ai notamment été coordonnatrice du projet «Femmes et ville», qui visait à augmenter le sentiment de sécurité des femmes en ville. J’ai contribué à mettre en place le service «Entre 2 arrêts», qui existe encore aujourd’hui, et qui permet aux femmes seules de demander au chauffeur d’autobus de descendre entre deux arrêts réguliers.
En 1996, j’ai développé le réseau international de «Femmes et ville», ce qui m’a emmené à voyager un peu partout, tant en Europe qu’en Amérique du Sud.
Au début des années 2000, il y a eu un changement au niveau de la direction. Mon nouveau patron, qui n’avait aucun intérêt pour la sécurité des femmes, m’a fait subir du harcèlement psychologique pendant trois ans. Cela a marqué la fin de ma carrière. J’avais 50 ans.
A.: Comment avez-vous encaissé ce choc?
A-A. M.: J’ai repris ma carrière de consultante à mon compte, mais je demeurais très fragilisée par les années de harcèlement psychologique. J’ai fait deux dépressions majeures en 2011, puis, de 2012 à 2014, ça a été la grande descente aux enfers. J’ai fait trois dépressions majeures, dont la dernière qui m’a menée aux urgences. Je me demande encore aujourd’hui comment j’ai réussi à survivre à ça.
A.: Vous ne pouviez donc plus travailler?
A-A. M.: Je n’étais effectivement pas en état de reprendre mes fonctions. J’ai alors décidé de suivre une formation pour devenir dame de compagnie, en plus de faire de l’accompagnement de personnes en fin de vie qui désiraient finir leurs jours à la maison. Je suis passée d’un salaire de 1 000$ par jour à 14$ l’heure!
A.: Est-ce encore le poste que vous occupez aujourd’hui?
A-A. M.: Non! Je suis maintenant professeur de yoga!
A.: Qu’est-ce qui vous a amené vers cette nouvelle carrière?
A-A. M.: Un jour, à l’automne 2014, alors que j’étais assise à mon bureau, j’ai vu un morceau de casse-tête qui traînait par terre. En le ramassant, j’ai vu qu’il s’agissait d’un petit morceau de plage sur lequel était écrit «Bahamas». Intuitivement, j’ai entré les mots «yoga Bahamas» dans Google et je suis tombée sur un site qui proposait des retraites de yoga. J’ai réservé ma place et deux jours plus tard, j’étais dans un ashram, sur une des plus belles plages au monde! J’ai connu là un état de bien-être immense.
En parlant avec des gens sur place, j’ai appris qu’on pouvait faire des séjours de karma yoga de quelques mois, qui étaient gratuits moyennant du travail en cuisine. J’ai donc fait un premier séjour de deux mois durant lequel je faisais du yoga et de la méditation sept jours sur sept, tout en travaillant en cuisine.
En revenant au Québec, j’ai fait l’erreur de ne plus prendre ma médication, ce qui m’a menée à faire une autre dépression. Les paroles d’une amie m’ont cependant donné l’élan dont j’avais besoin pour reprendre ma vie en main. J’ai alors décidé de vendre ma maison pour repartir aux Bahamas pendant cinq mois. Durant ce séjour, j’ai fait un cours de yoga nidra, qui jumèle respiration et méditation. Pendant une vingtaine de minutes, j’ai ressenti une foule d’émotions, dont la joie, un sentiment que je n’avais pas connu depuis de nombreuses années. Ça a été une révélation pour moi. Tout de suite après le cours, je suis allée voir mon professeur pour lui dire que je voulais enseigner ce type de yoga. J’ai fait ma première formation aux Bahamas. Je suis ensuite allée à New York pour faire mon niveau 2 avec le fondateur du iRest Yoga Nidra, et mon niveau 3, à San Francisco.
La pratique du yoga m’a carrément sauvé la vie. Je passe maintenant tous mes hivers aux Bahamas à enseigner le yoga sous plusieurs formes et à cumuler les formations pour l’offrir aux personnes ayant des capacités réduites et souffrant de maux de l’âme.
A.: Vous ne vous ennuyez donc pas de votre vie d’avant?
A-A. M.: Pas du tout! À 62 ans, je suis plus en forme que je ne l’ai jamais été!
A.: Comment voyez-vous le futur?
A-A. M.: J’espère pouvoir enseigner jusqu’à ce que je ne puisse plus parler!