Environnement: pour finir la transition énergétique
Le gouvernement Legault n’a certes pas été élu sur son programme environnemental! L’indifférence du chef caquiste en la matière était assez éloquente. Et la nomination de MarieChantal Chassé, qui n’avait de toute évidence ni l’intérêt ni les compétences pour ce poste, témoigne en partie du peu de cas que M. Legault faisait de ce ministère qui jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été considéré comme un ministère majeur.
Mais voilà qu’après son élection, M. Legault semble avoir pris acte de l’importance des enjeux environnementaux, enjeux qu’il ne peut plus écarter ou minimiser. Le limogeage de la ministre résulte sans doute de cette prise de conscience tardive. Mais tout n’est pas encore gagné. Et si le Québec a quelques fleurons à son actif en matière environnementale, le gouvernement a tout de même une bonne pente à remonter. Et il faudra plus que la nomination de Benoit Charrette pour y parvenir.
On peut donc certes saluer François Legault pour avoir eu le courage de reconnaître son erreur et d’avoir compris que son gouvernement devait rapidement ajuster son discours et sa compétence en matière d’environnement. D’abord parce que ça presse, et ensuite parce que le public est réellement inquiet de l’indécision des gouvernements en la matière.
Il nous reste maintenant à espérer qu’une volonté réelle d’agir va se dessiner – au gouvernement et au sein de l’État. Il n’y a qu’à constater le désastre de la politique québécoise de recyclage pour mesurer à quel point l’ensemble de l’appareil étatique se fiche de l’environnement comme de l’an quarante. Sur ce point, le décalage entre la population et la machine est absolu. Quant au recyclage, il faudra bien trouver des solutions et des débouchés à court terme pour que l’effort collectif porte fruit. D’autres pays ont réussi le virage récupération grâce à une approche novatrice, mais le gouvernement québécois – tous partis politiques confondus – ne montre pas beaucoup d’initiative en la matière.
Une première transition réussie
En matière d’environnement, le premier ministre Legault aurait pourtant une grosse carte à jouer, un bel as, dont aucun gouvernement avant lui n’a fait usage.
L’opportunité vient du fait que le Québec a déjà réussi une partie de la transition énergétique vers les énergies renouvelables. Les Californiens, les Vermontois, les Ontariens ou les Allemands se gaussent sur toutes les tribunes de leurs progrès en la matière, mais le Québec a réussi cette transition deux générations avant eux. À l’échelle du continent, il n’y a pas une province, pas un État, pas un Estado plus vert que le Québec.
Dans l’histoire, le monde a connu plusieurs transitions énergétiques depuis l’introduction du moulin à vent au Moyen-Âge. Il y a eu la vapeur, le pétrole, l’électricité. Les historiens montrent que ces transitions sont toujours lentes et leurs progrès se mesurent en générations. Ce qu’il y a de nouveau avec les énergies renouvelables, c’est qu’elles s’imposent par la nécessité de la lutte au réchauffement climatique.
Or, un peu par chance, en raison de sa géographie qui favorise l’hydroélectricité, le Québec a réussi presque d’un seul coup une première transition énergétique. Au Québec, 99% de l’électricité provient des énergies renouvelables, grâce principalement à l’hydroélectricité, et un peu aussi au parc éolien – 2 000 éoliennes, c’est considérable. Ailleurs, c’est rarement plus que 20% de l’électricité qui est de source renouvelable et souvent beaucoup moins. Au Québec, presque 80% des maisons sont chauffées à l’électricité. Une grosse partie du parc industriel tourne aussi à l’électricité. Dans l’ensemble, c’est presque 50% de la consommation énergétique globale des Québécois qui est basée sur des énergies renouvelables.
«Fait à 100% avec de l’électricité renouvelable»
Il n’y a pas beaucoup de sociétés qui ont accompli une transition de cette ampleur et les Québécois auraient de bonnes raisons d’en être fiers s’ils en étaient seulement conscients. Ce que nous tenons pour un acquis banal est en fait une réussite colossale sur le plan environnemental.
On présente trop souvent l’environnement comme une espèce de repoussoir économique. Or, dans le contexte de la lutte aux changements climatiques, un gouvernement normalement constitué devrait être conscient que cette première transition réussie procure aux Québécois un très gros avantage concurrentiel – celui d’une énergie réellement verte. Il est tout à fait bizarre que le gouvernement du Québec ne prenne pas tous les moyens pour communiquer cette réussite et la faire valoir – en particulier un gouvernement aussi préoccupé d’économie que celui de la CAQ.
C’est une opportunité fantastique qui ne se présente pas une fois par siècle, et qui donne aux Québécois une longueur d’avance sur toutes les économies du continent pour peu qu’on sache la faire jouer. C’est vrai pour les perspectives québécoises en matière d’exportations d’électricité, mais c’est vrai en fait pour tous les produits québécois à l’exportation, qui devraient être labellisés «Made with 100% renewable electricity».
Une transition à finir
Pour François Legault, la réussite québécoise en matière de transition énergétique devrait orienter son gouvernement et l’État vers sa suite logique. Le prochain grand chantier consistera à terminer la transition énergétique québécoise en s’attaquant au dernier bastion de résistance: le transport terrestre.
Le transport terrestre, qui représente presque 30% de la consommation énergétique québécoise, repose essentiellement sur les hydrocarbures. Le Québec importe chaque jour 350 000 barils de pétrole. Une saignée de 12 milliards de dollars par an. Une transition énergétique en transport signifierait que le Québec cesserait non seulement de jeter son argent par les fenêtres, mais qu’il consommerait quelques milliards de dollars d’électricité québécoise – et verte.
Parce que le Québec a réussi la première phase de la transition énergétique, le Québec est aussi l’un des rares endroits sur le continent où une électrification des transports terrestres a du sens. Presque partout, sauf au Québec, 80, 85, 90% de l’électricité est produite à partir de grosses bouilloires aux hydrocarbures – qu’on appelle des centrales thermiques. Si on s’attaquait avec succès à la dominance des hydrocarbures dans les transports, on pourrait alors réellement dire que tout au Québec est fait à 100% d’énergie renouvelable.
Opérer une transition énergétique en transport est délicat parce qu’elle suppose de toucher au plus gros poste de dépense des citoyens, leur automobile. Laquelle n’est pas un simple moyen de transport, mais une valeur et même un but dans la vie pour certains. Mais en même temps, une telle politique est relativement facile à orienter sur le long terme parce que les 4,8 millions de voitures de promenade québécoises durent en moyenne 7,6 ans.
C’est ici que la dureté du climat québécois a son utilité. La plus vieille voiture immatriculée au Québec est une Fiat de 1912, mais dans les faits, rares sont les voitures québécoises de plus de 15 ans qui ne sont pas rongées par la rouille. Donc, il est possible de modifier complètement le parc automobile en une demi-génération grâce aux bonnes politiques.
L’électrification des transports n’est d’ailleurs pas la seule avenue possible. Certes, la moitié des automobiles électriques canadiennes sont québécoises, mais ça ne représentera toujours que 100 000 voitures d’ici 2020. Si le Québec est sur la bonne voie, ce n’est pas une voie rapide et il existe toutes sortes d’autres mesures de transition (écofiscalité, autopartage, transport en commun) qui permettent d’atteindre le même objectif. Une politique de transport en commun n’a même pas besoin d’être électrifiée pour apporter des bénéfices. Cinquante personnes dans un vieux bus au diesel produisent moins d’effets sur l’environnement que cinquante personnes dans cinquante autos.
Le Québec a déjà réussi la moitié du chemin de la transition énergétique et il serait plus que temps de le dire. Et de la finir.