Buster Keaton : une célébration, un documentaire qui repolit l’étoile de la légende du cinéma muet
De retour après la pause. Bonne année, chers lecteurs! Il faut que je vous dise, c’est toujours pour moi un dilemme de relancer la machine après le congé des Fêtes. Pour une raison qui doit tenir des bonnes résolutions, je remets sans cesse en question mon premier sujet de l’année. Après moult tergiversations, j’ai finalement décidé de vous parler d’un documentaire sur le légendaire Buster Keaton qui prend l’affiche cette semaine. Oui, se souvenir fait encore partie de mes résolutions.
Tout le monde connait Charlie Chaplin, grande figure du cinéma muet dont le souvenir reste très vivant depuis sa mort en 1977. On ne peut pas en dire autant de Buster Keaton, disparu onze ans plus tôt, en 1966. Et pourtant!
Le film Buster Keaton : une célébration du réalisateur Peter Bogdanovich est plus qu’éloquent sur la contribution majeure de cet artiste au développement du 7e art.
Joseph Frank Keaton Junior est né la même année que le cinéma, en 1895. Enfant de la balle, il a commencé à faire de la scène avec ses parents à l’âge de trois ans dans des spectacles de burlesque. Sa mère était saxophoniste, la première femme à jouer de cet instrument en Amérique disait l’affiche. On raconte que pour faire rire l’assistance, le père promenait son fils avec une poignée accrochée dans le dos, et n’hésitait pas à le lancer dans l’assistance pour créer un effet comique.
Impressionné par la manière dont le gamin déboulait les marches, le magicien Houdini lui a donné le surnom de Buster, l’équivalent de casse-cou en anglais. Toute sa vie, Keaton s’est employé à entretenir sa réputation; jusqu’à sa mort, il a insisté pour faire ses cascades lui-même.
Buster Keaton a délaissé les planches en 1917 pour faire du cinéma aux côtés de Roscoe «Fatty» Arbuckle, une vedette du cinéma comique de l’époque. À côté du grimaçant Fatty, Buster développe un style empruntant au clown blanc.
Durant la Première Guerre mondiale, il se rend en Europe pour combattre, et dérider les troupes. À son retour, l’acteur prend du galon. Le producteur Joe Schenck crée un studio au nom de Buster Keaton. Les films qui y sont produits sont réalisés par ce dernier. Il en est aussi la vedette et le concepteur des gags.
Malgré son jeune âge, Keaton connait très bien les rouages du métier. Il sait que pour faire rire, il faut être original et insolite, et surtout surprendre. Ce qu’il ne manque jamais de faire, avec en prime un visage impassible qui transmet juste ce qu’il faut d’émotion pour que le spectateur comprenne la situation et s’attache au personnage. Le réalisateur qu’il était se faisait d’ailleurs un point d’honneur d’utiliser le moins possible d’intertitres, ces cartons qui expliquent les scènes ou transcrivent les dialogues.
Quand on revoit les films de Buster Keaton, on est médusé par la complexité des scénarios qu’il tourne, d’autant plus qu’il est prolifique. Entre 1920 et 1923, pas moins de 19 courts-métrages lui sont crédités. Suivront, de 1923 à 1928, 10 longs-métrages qu’il coréalise et scénarise, en plus d’en être le personnage principal. Quelques titres? The Boat, Cops, Three Ages, The General, Steamboat Bill, Jr…
Le documentaire de Peter Bogdanovich est riche en archives, et les extraits qu’il donne à voir sont présentés en version restaurée. Un luxe pour apprécier, presque cent ans plus tard, le génie créatif de cet inventeur du cinéma qui ne reculait devant rien pour obtenir l’effet souhaité, souvent au risque de sa vie. On nous raconte qu’une scène dans laquelle une trombe d’eau lui tombe sur la tête lui a occasionné une fracture au cou. Le bien nommé Buster a continué son tournage malgré les maux de tête.
Que dire de cette autre séquence où tout un pan de mur d’une maison tombe sur lui, le gag étant que le personnage est épargné parce qu’il se trouve exactement là où se trouve la fenêtre ouverte? Une erreur de calcul dans l’angle de la chute du mur et l’acteur était tué sur le coup par le poids du décor. Cette scène est passée à l’histoire. Le documentaire nous montre les nombreuses fois où elle a été copiée dans l’histoire du cinéma.
Pourquoi, avec une telle lancée, la carrière de Keaton a-t-elle pris du plomb dans l’aile, faisant en sorte qu’aujourd’hui Keaton est moins reconnu que Chaplin alors qu’ils ont été les deux superstars du muet?
À la fin des années 1920, Buster Keaton a accepté un contrat de la MGM, ce qu’il a appelé la plus mauvaise décision de sa vie. Dès lors, l’acteur-scénariste-réalisateur a perdu sa liberté de créateur. Plus question d’improviser sur les plateaux pour obtenir le meilleur gag, il fallait se soumettre aux diktats des producteurs, des comptables et des scénaristes. Il sombre dans l’alcool, son ménage prend l’eau et le cinéma parlant arrive. Une tempête parfaite! Après une cure, il revient au cinéma, mais il ne contrôlera plus jamais le jeu comme dans ses glorieuses années 1920.
La suite de sa vie demeure quand même intéressante, car on y voit un homme résilient qui fait tout pour demeurer présent dans le domaine public. Un second rôle dans un film de Judy Garland, une présence dans Limelight de Charlie Chaplin, du coaching auprès du comédien Red Skelton, des apparitions dans l’émission Candid Camera, des publicités humoristiques, et même un film de l’ONF pour vanter la compagnie ferroviaire CN.
En 1965, le festival de Venise lui rend hommage. Son immense contribution est ainsi reconnue quelques mois avant sa mort. Le documentaire qui prend l’affiche cette semaine joue un peu le même rôle, il célèbre Buster Keaton et repolit son étoile.
Mais on sent que les producteurs du film ne font pas totalement confiance à leur sujet pour attirer les foules. Il y a bien le nom et le visage de Buster Keaton sur l’affiche, mais il est entouré d’autres noms bien plus connus que le sien aujourd’hui, notamment ceux de Quentin Tarantino, Mel Brooks, John Knoxville (créateur de la série Jackass), Werner Herzog. Eux, et d’autres, sont là pour témoigner de l’importance de Keaton. Malheureusement, leur contribution n’est pas très relevée. On aurait bien pu s’en passer. Autre bémol, la narration faite par le réalisateur lui-même est plutôt terne. Il faut aussi savoir que le film est présenté en anglais avec sous-titres français.