Le dilemme pétrolier
Dans l’affaire du pipeline Keystone XL, il est tout à fait bizarre que le gouvernement fédéral se dise surpris du refus américain. La cause était entendue depuis longtemps. Le pétrole albertain sent le soufre, au propre comme au figuré. Et les Américains, étant eux-mêmes redevenus exportateurs, n’avaient aucun intérêt à laisser transiter davantage de pétrole albertain sur leur territoire.
Cette décision ramène le Canada à la case départ: par où sortira le pétrole albertain? Et que faire avec les sables bitumineux? Le nouveau gouvernement à Ottawa a devant lui une belle occasion d’orienter les choix avant que les prix et la production repartent à la hausse.
C’est une évidence souvent oubliée, mais le pétrole voyage – en bateau, en tuyau, en train ou en camion. Et il voyage parce qu’il s’agit d’un produit quasi miraculeux: son rendement énergétique est inouï, il est facile à contenir et l’on peut en tirer 6000 sous-produits industriels, allant de la vaseline au plastique, en passant par la cire, le nylon, les engrais et l’asphalte.
Le Québec aurait beau être à 100% électrique et ne consommer aucun produit pétrolier (ce qui est loin d’être le cas), le pétrole – qu’il soit albertain, américain, vénézuélien ou arabe – continuerait de passer par le Québec. À cause de la géographie. Le Québec s’est bâti sur un fleuve qui avance profondément dans le continent, doublé de routes et d’un réseau ferré est-ouest. Voudrait-on que le pipeline arrête en Ontario que l’on verrait alors les pétroliers et les wagons-citernes défiler devant Montréal.
L’énergie s’accompagnera toujours de compromis douloureux. Que l’on considère seulement notre si vertueuse énergie hydroélectrique, produite si loin des centres de consommation. Le Québec a choisi de transporter et de distribuer cette énergie par fils aériens. Si bien qu’il sera toujours exposé aux aléas de la météo – verglas, vent, feux de forêt. C’est un choix discutable, mais c’est un choix assumé – qui a son prix et ses détracteurs.
Il en va de même avec le pétrole. On peut choisir que le pétrole aille trouver son marché et laisser faire. On peut choisir que le pétrole ne passe pas, auquel cas il passera ailleurs. On peut choisir qu’il passe, mais à nos conditions. Et pour établir ces conditions, il faut faire confiance à la science, aux statistiques et au gouvernement, et assumer collectivement nos choix. Mais nous sommes certes en droit d’exiger des réponses claires et précises à un ensemble de questions. Par exemple, quels sont les moyens de transport les plus fiables? Sous quelles conditions? Le gouvernement est-il en mesure d’établir des règles et de s’assurer qu’elles soient respectées?
La tragédie de Lac-Mégantic aura d’ailleurs été un rendez-vous raté. Le gouvernement fédéral n’a jamais accepté sa responsabilité dans ce drame alors que sa politique ferroviaire est en cause. Parce qu’il a persisté à nier l’évidence, ceux qui résistent au pipeline ont beau jeu de mettre en doute la volonté des gouvernements de jouer leur rôle de chien de garde efficace – même ces opposants n’ont pas nécessairement raison sur toute la ligne.
En déclarant que le pétrole albertain aurait dû rester sous terre tant et aussi longtemps qu’il existait de meilleures alternatives pétrolières, le président Obama a exprimé un vœu pieux. Car on ne peut plus remettre le dentifrice dans le tube. Le Canada n’a pas les moyens – politiques et financiers – d’interdire cette production. Cependant, il aurait certainement le moyen de la restreindre – par une taxe sur le carbone, par exemple.
Nous sommes à un mois de la conférence de Paris sur les changements climatiques, à laquelle le gouvernement fédéral a promis de participer avec les gouvernements provinciaux. Mais ce voyage sera avant tout un exercice de relations publiques, puisque le gouvernement n’a pas de cible particulière. On aura davantage de raisons de se réjouir quand le gouvernement fédéral et les premiers ministres provinciaux auront tenu – on ne sait quand – un véritable sommet énergétique canadien, qui aura établi des cibles et des règles acceptables pour tout le monde. On n’en est pas encore là, mais on s’en approche.