Maria by Callas: plaidoyer en faveur des drama queens
On disait de la célèbre actrice française Sarah Bernhardt qu’elle se reposait souvent dans le cercueil capitonné qui trônait chez elle, de Dalida qu’elle portait malheur à ses amants qui se suicidaient les uns après les autres, et de Maria Callas qu’elle était divine et capricieuse à la fois, accro aux opioïdes comme à son Aristote Onassis d’armateur grec qui jouait avec son cœur. Toutes trois avaient en commun d’avoir le sens du drame, d’être douées pour l’incarner sur scène comme au quotidien. Les journaux s’en faisaient un régal, et elles ne pouvaient s’en empêcher, elles.
Leur type de personnalité n’appartient pas qu’à l’Histoire. En 2018, les Bernhardt, Dalida et Callas ont bien sûr des héritières et héritiers dont on parle avec un sourire moqueur ou en roulant des yeux, les qualifiant de drama queens, terme qu’on accole plus souvent aux femmes qu’aux hommes, mais qui va aussi à ces derniers, on s’entend là-dessus. Avec cette nature entière et attachante vient la plupart du temps l’intensité des émotions, l’exubérance, la flamboyance, un esprit bouillant, une promptitude, la démesure aussi parfois, bref, plein de facettes trop souvent jugées loufoques, risibles et condamnées par plusieurs qui préfèrent conformisme, pragmatisme et réserve. Comme si ce qui retroussait et dépassait des lignes à suivre était dangereux. Comme si la menace venait avec l’indomptable alors qu’on sait tous que le diable se cache dans les détails et qu’au cœur du volcan, c’est la vulnérabilité qui tient les guides. Pourquoi donc faudrait-il que tout le monde entre dans des cases savamment construites par la «bien-pensance» et la rectitude?
En voyant Maria by Callas, splendide documentaire de Tom Volf qui prend l’affiche au Québec le 26 octobre, je me suis fait la réflexion que le monde manquait cruellement de ces drama queens à la Callas qui bouleversent l’ordre établi, qui secouent, ébranlent et injectent de la vitalité au monde par la démonstration de leur singularité. À moins qu’il y ait de ces icônes contemporaines… Beyoncé? Madonna? Lady Gaga? À sa manière, près de nous, Hubert Lenoir?
Faire fi de tout
Dans ce film, on voit que la soprano en quête d’absolu et devenue icône planétaire avait cette attitude de travaillante acharnée, de courageuse qui fait fi des croche-pieds et qui fonce, portant fièrement ce qui retroussait – défauts et qualités –, et qui mises ensemble auront fait d’elle ce qu’elle est devenue, allant jusqu’à s’extirper des bras de sa mère étouffante. On la redécouvre à travers des lettres inédites, entourée d’autres célébrités, et des extraits d’entrevues. Fascinant de constater d’ailleurs à quel point, clope au bec, les journalistes des années 1950 et 1960, des hommes pour la plupart, ne cessaient de la questionner sur son caractère fort, ce qu’ils n’auraient jamais entrepris avec un ténor célèbre… Il aurait fallu qu’elle demeure sage et douce comme Jackie Kennedy, qui lui aura d’ailleurs fait de l’ombre jusqu’à la mort d’Onassis, leur mec. J’aurais pris plus de cette «saga sentimentale», certes, mais ça prendrait un documentaire entier. Volf a plutôt réalisé des rencontres avec des proches de la Callas et réussi à mettre la main sur une entrevue inédite et perdue avec David Frost en 1970 et dont le majordome de la soprano gardait en sa possession la seule copie existante. Les moments chantés ont été laissés dans leur intégralité et les quelques fois où la Callas se raconte, comme si on l’avait ressuscitée à travers sa correspondance avec Elvira de Hidalgo, sa professeure de chant, c’est la voix de Fanny Ardant qu’on entend.
Les drama queens font du bien autour d’elles. Elles donnent au monde entier une vitalité qui secoue et fait renaître de ses cendres. Disparue trop jeune au début de la soixantaine le 11 octobre dernier, la comédienne et conférencière Johanne Fontaine incarnait aussi cette passion callassienne. Le 21 octobre dernier, à la fin de son dernier hommage au salon funéraire, à la demande de ses proches, les gens présents ont été invités à danser sur «Je veux» de Zaz. C’était ça, Johanne, une drama queen à sa manière, une «déplaceuse» d’air, une authentique généreuse. «Je suis née ici, entre les roseaux lumineux. Je suis née libre et sauvage comme les falaises qui résistent aux bourrasques», a-t-elle écrit un jour. Mes sincères sympathies à sa famille et à ses proches. Vive les drama queens ! De grâce, gardons-les vivantes.
Je craque pour…
Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard, Les éditions de Minuit
Vous dire à quel point ce roman m’a traversé le corps, des pieds à la tête… C’est l’histoire d’une passion entre deux femmes écrite dans une forme hors du commun avec une écriture envoûtante. Tout peut sembler anodin sans l’être dans le décryptage de cet amour qui donne un premier roman qui connaît un succès fou dans l’Hexagone, mais ici aussi déjà. Aura-t-elle le Goncourt? Je lui souhaite. Je le relirais de ce pas, s’il n’y en avait pas tant déjà dans ma pile.