#moiaussi, un an plus tard: viens-t’en mononcle, je t’emmène au théâtre!
«Clo, dis-moi… Tsé la fois où… ben tu sais… j’ai tu été trop insistant. Il me semble que, ben, que c’était limite. Bref, j’étais déplacé, je suis allé trop loin, j’étais chaud, mais je sais ce n’est plus une excuse qui passe. Clo, je m’excuse. J’ai honte.»
J’ai copié l’intégral d’un message d’une connaissance de l’université. Le gars, un père de famille au début de la quarantaine que j’appellerai Jack (j’adore ce prénom de Far West), m’avait envoyé ses excuses au cœur de l’ouragan #moiaussi. Il paniquait. Il venait de réaliser qu’il lui était arrivé d’avoir des comportements déplacés de loup dans la bergerie. Il ne recommencera plus, j’en suis sûre.
Depuis #moiaussi, je remarque deux types de mononcles: le sensible qui s’est remis en question, qui évite – désormais – les blagues machistes, ne «catcall» plus les filles et garde ses fantasmes pour ses gros dodos; puis, il y a le tata éternel, celui qui continue de regarder en salivant les filles de l’âge de sa progéniture comme des pièces de viande, sans la moindre sournoiserie, celui qui envoie une photo de son «beau pénis» à une collègue en message privé sur Facebook (voir le texte de la semaine dernière) ou qui profite du verre de trop pour s’essayer sur une inconnue… Celui-là, en 2018, un an après la déferlante #moiaussi, il n’a visiblement pas inventé le bouton à quatre trous pour ne pas réaliser que la «mononclitude» est passée de mode depuis le «Lâche pas mon Gérard» dans Cruising Bar.
Ce mononcle-là, la prochaine fois que je le verrais sévir, je m’inventerais policière des mœurs, je lui assenerais une amende salée dont l’argent serait versé à des groupes de femmes victimes d’abus et je l’obligerais à suivre des cours de respect et de conscientisation avec la sexologue Jocelyne Robert dans un sous-sol d’église rempli d’autres mononcles en transformation. Après, je le traquerais pour m’assurer qu’il sache se comporter. À la moindre faiblesse, je vous laisse imaginer ce que j’en ferais… Hahum. Ben non, je ne prône pas la violence, je le garderais vêtu (c’est ainsi qu’on le préfère, hein, mononcle…) et je l’emmènerais voir le retour, 40 ans plus tard, de la pièce Les fées ont soif, d’après les mots de la grande Denise Boucher, dans une mise en scène de Sophie Clément au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 10 novembre. Trois figures féminines y sont entendues: la vierge, la maman et la fille de joie, toutes trois en quête de liberté, toutes trois voulant sortir de leur carcan et des rôles qu’on leur impose. La durée est de 1 h 20, ça devrait bien aller, mononcle… Avec les talents de Bénédicte Décary, Pascale Montreuil et Caroline Lavigne, ça risque de passer vite.
Pour être bien certaine de mon coup, il devrait aussi assister à une représentation de Consentement chez Duceppe (du 12 décembre au 2 février), un texte de Nina Raine dans une mise en scène de Frédéric Blanchette. Avec Anne-Élisabeth Bossé et Patrice Robitaille, entre autres, cette pièce créée à Londres en 2017 fait la distinction entre loi et justice en matière de consentement, un mot qui n’aura jamais été autant prononcé que durant la dernière année. La traduction est de Fanny Britt: il va comprendre le sens des mots, le mononcle.
Mononcle, je te présente Safia
Ensuite, avec dans les oreilles la musique de Dans le noir, nouvel album de Safia Nolin qui chante la violence, l’exclusion, les complexes méandres de l’âme humaine, l’impact des abus en tous genres, je le ferais lire.
Côté lectures, on ne peut pas dire que je sois en panne de recommandations. Je m’attendais à ce qu’il y ait déferlante de titres de fictions, de biographies ou d'essais en lien plus ou moins clairs avec #moiaussi, mais jamais autant! Or, c’est peut-être dans ce secteur culturel que #moiaussi connaît les meilleurs lendemains, ici comme ailleurs. Thelma, Louise et moi de Martine Delvaux, Tu t’appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider, Le malheur du bas de Inès Bayard, Pêche de Emma Glass, Beyoncé est-elle féministe ? de Margaux Collet et Raphaëlle Remy-Leleu et La route du lilas d’Éric Dupont, roman fort/phare attendu d’ici quelques jours et dans lequel de fortes figures féminines sont à l’avant-plan, tout comme les injustices dont elles sont victimes, ainsi que leurs combats.
Dans le milieu du cinéma, les Réalisatrices équitables ont lancé en septembre dernier le portail Dames des vues pour mieux faire connaître le travail des réalisatrices québécoises, auprès du public certes, mais aussi auprès des producteurs... À peu près en même temps, en France, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, annonçait pour 2019 la mise en place d'une nouvelle mesure permettant de favoriser l'égalité femmes-hommes dans le monde du cinéma. Dans son discours, prononcé à l’issue des Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma, elle avait déclaré vouloir «agir pour convertir le choc des consciences en choc des comportements. Agir pour passer de l’indignation à la révolution», rapportait Le Monde du 24 septembre.
Et si on riait?
Si elle laisse le collectif des Courageuses dans l’attente – le dossier traîne lamentablement –, que leurs allégations n'ont pas encore subi le test des tribunaux et qu’aucune accusation criminelle n'a été déposée contre Gilbert Rozon, cette «affaire Rozon» aura tout de même fait naître en juillet dernier, à Montréal, le Comédie Fest, où a été entre autres présenté à l’Olympia le fabuleux cabaret Fuck la culture du viol avec Judith Lussier et Richardson Zéphir à l’animation. Qu’on réussisse à utiliser l’humour politique pour dénoncer les agressions à caractère sexuel et à le faire avec ruse et intelligence, me confirment des critiques bien informées, me rassure, alors que je ne voyais pas comment on pourrait traiter du sujet sur la scène humoristique, qui semble plaire beaucoup aux Québécois à en croire l’immense présence d’humoristes dans tous les secteurs de la culture…
Avec ce beau programme sommaire, difficile de ne pas atteindre nos mononcles-aux-mains-longues. C’est la patience qu’il faudra cultiver. La patience. 78 ans après l’obtention du droit de vote des femmes au Québec, voilà qu’on a enfin atteint la parité à l’Assemblée nationale. C’est ce que nous rappelaient quatre élues à Tout le monde en parle le 7 octobre dernier. À les entendre débattre, convaincre, briller sans que quiconque ait ressenti le besoin de commenter leurs vêtements me rassure. J’espère que mononcle était à ce poste-là devant sa TV.
Je craque pour…
L’album Vingt de Catherine Durand
Ça fait vingt ans que l’auteure-compositrice-interprète Catherine Durand fait carrière. Pour marquer le coup, elle revisite ses chansons fétiches avec la grâce et la sensibilité qu’on lui connaît. En nous, elle fait naître l’ivresse grâce à cette manière qu’elle a de raconter de courtes histoires poignantes, comme autant de tableaux qui tombent à point avec la saison des couvertures chaudes. «Je vais rester, je vais rester, je vais rester…»