Auto électrique: le Québec sur la bonne voie
Les vacances de la construction approchent. Et avec les vacances, voici qu’arrive la saison des hausses du prix de l’essence. À mesure qu’on approche du 1,50$ le litre à la pompe, de nombreux automobilistes se prennent à rêver du jour où ils seront «électromobiles». Libérés de l’auto à essence, ils feront alors le plein de leur voiture électrique tranquillement à la maison pour à peine un sixième du prix de l’essence.
Ce rêve devient une réalité pour un nombre croissant de Québécois. Les 29 000 voitures électriques et hybrides rechargeables que compte le Québec représentent plus de la moitié du total canadien de ces véhicules. Et cela pourrait être beaucoup plus avec les nouveaux incitatifs que le gouvernement met en place. Car l’objectif du gouvernement québécois est d’atteindre 100 000 véhicules électriques sur les routes d’ici la fin de 2020, 300 000 en 2026 et un million en 2030.
L’enjeu est énorme. Le Québec importe du pétrole à hauteur de 10 milliards $ par an (au prix actuel), dont les trois quarts servent au transport terrestre. Plus il y aura de voitures, de camions et de bus électriques sur les rues et les routes, moins il y aura de pétroliers dans le Saint-Laurent et plus le Québec conservera ses pétrodollars pour en faire autre chose.
Au plan environnemental, le gain serait aussi phénoménal, car l’électricité qui remplacerait ce pétrole est produite à 99% de source renouvelable, principalement hydroélectrique. C’est un avantage énorme pour le Québec par rapport à la plupart des États dans le monde, qui n’ont pas cette chance. S’il y a bien un domaine où le Québec a tous les atouts pour devenir champion mondial, c’est bien en matière d’électrification des transports.
Le Québec est sur la bonne voie. Certes, 29 000 voitures électriques, cela paraît bien peu par rapport aux 5 millions de voitures qui circulent — c’est à peine 0,5%. Mais les concessionnaires québécois perçoivent un intérêt très net. Actuellement, il s’en écoule près de 2 500 par mois, soit 7% des ventes de voitures neuves au Québec, et la cadence augmente de mois en mois.
Subventions et bornes
Ces ventes mensuelles peuvent paraître modestes par rapport à la Norvège, qui vient d’atteindre le cap des 50% de ventes de voitures neuves électriques, mais elles sont considérables à l’échelle du continent américain. Et puis on peut espérer une augmentation significative avec la série d’incitatifs financiers ou techniques d’inspiration norvégienne que Québec met présentement en place.
Au Québec, tout acheteur d’un véhicule électrique profite d’un rabais qui peut s’élever à 8 000$ pour une voiture de moins de 75 000$. On lance également un programme pilote pour les voitures électriques d’occasion — un rabais de 4 000$. Quant à la borne de recharge à domicile, elle est éligible à une subvention de 600$. Cela dit, il y a encore du progrès à faire et le gouvernement offre moins que celui de la Norvège, où l’on offre non seulement un congé de taxe de vente (qui est de 25%), mais aussi le stationnement et les péages gratis, en plus du droit de circuler dans les voies réservées.
Les économistes et les environnementalistes débattent fortement du bien-fondé de ces incitatifs pécuniaires. La politique norvégienne coûte des milliards et les Norvégiens, s’ils ont marqué des points en matière de voiture électrique, commencent à se demander ce qui arrivera lorsqu’ils cesseront d’être aussi généreux. Tout le monde ne peut pas être dans la voie réservée! L’approche québécoise, plus mesurée, a peut-être l’avantage d’être plus soutenable à long terme.
De toute manière, des incitatifs trop généreux ne tiendraient pas compte des progrès techniques. Les voitures électriques n’existaient pas il y a 10 ans. Les premières avaient une autonomie de tout juste 120 kilomètres, et encore, sans climatisation ni chaufferette. Désormais, leurs batteries assurent une autonomie de 200 à 300 kilomètres, et cela augmente d’année en année, alors que leur prix et leur poids diminuent. D’ici 2025, on prévoit que leur autonomie et leur prix seront identiques à une voiture à essence de taille comparable. Autrement dit, les ventes d’automobiles électriques pourraient très bien progresser naturellement du simple fait de leurs avantages, sans incitatifs financiers directs aux utilisateurs.
L’autre incitatif important, c’est le programme de développement des bornes de recharge. Au Québec, il y en a plus de 3 300. Parmi celles-ci, on en compte 1 400 dans le cadre du Circuit électrique, un partenariat entre Hydro-Québec et plus de 273 entreprises, universités et municipalités participantes.
L’enjeu des bornes de recharge, c’est ce que les spécialistes appellent «l’angoisse de l’autonomie» (range anxiety). Comme les batteries n’assurent pas l’autonomie d’un bon réservoir plein, tout le monde redoute de tomber en panne. Dans les faits, les bornes de recharge servent très peu, à peine 5% des recharges, qui se font largement à domicile. Mais leur présence est essentielle pour rassurer les automobilistes, en particulier les premiers acheteurs de voiture électrique.
À 3 300 bornes, le Québec se rapproche de la Norvège, qui en compte plus de 8 000. Mais ce n’est pas suffisant. On manque notamment de bornes de recharge rapide — il y en a actuellement à peine 170 — capables de recharger une voiture en 20 minutes. Ces bornes sont tellement chères — plus de 70 000$ au lieu des 6 000$ qu’elles coûtaient pour le Circuit électrique — que les Rona, Saint-Hubert et les municipalités participantes ne se bousculent pas au portillon.
Le gouvernement a donc changé d’approche. Par la nouvelle loi 184, il vient de demander à Hydro-Québec d’en faire la prise en charge complète et permanente. C’est donc Hydro qui va débourser 10 millions $ par an pour installer, entretenir et remplacer 1 600 bornes de recharge rapide sur 10 ans — un projet dont elle aura la maîtrise complète.
Les bornes de recharge rapide sont très chères à installer et à exploiter, et ce service n’est pas rentable. Mais elles s’inscrivent dans une logique de service et de couverture du territoire pour encourager l’électrification. Et c’est par les recharges à domicile — en croissance exponentielle — des voitures qu’Hydro-Québec se repaiera pour cet investissement.
Cette nouvelle approche du gouvernement s’inspire de l’approche prise par Tesla, le fabricant californien de voitures électriques, qui dispose ses propres bornes à recharge rapide partout selon une planification centralisée. La logique de Tesla est évidemment de vendre plus de Tesla. Celle de Québec sera de multiplier les voitures électriques.
Le Québec doit également lancer, à travers l’agence Transition énergétique Québec, une campagne de sensibilisation sur l’auto électrique afin de dissiper certains mythes. Une voiture électrique coûte plus cher à l’achat, mais beaucoup moins à l’exploitation. Non seulement l’électricité revient beaucoup moins chère au kilomètre parcouru, mais une auto électrique exige moins d’entretien, car elle ne comporte ni transmission ni système de refroidissement. Bien sûr, il faut encore des pneus d’hiver, mais adieu les changements d’huile!
Des incohérences
Néanmoins, malgré ces avancées, il faut déplorer le manque de cohérence du gouvernement québécois dans la poursuite de sa politique énergétique.
En effet, celui-ci ne fait aucun effort pour contrôler ou réduire la vente de VUS, qui représentent la moitié des 500 000 voitures achetées annuellement au Québec. On aura beau se féliciter que la voiture électrique représente 7% des achats de véhicules neufs, ce n’est encore qu’un septième des VUS ultra-énergivores.
Ils sont nombreux les économistes à penser qu’une fiscalité cohérente ne devrait pas encourager l’achat de voitures électriques. Ces subventions soutiennent des convertis qui en achèteraient de toute façon! Il s’agirait plutôt de décourager l’achat de VUS, qui sont une très mauvaise utilisation des ressources.
En Europe, l’État décourage l’achat de certains types de voitures par des taxes d’achat et des surprimes à l’immatriculation.
De même, faut-il rappeler que la voiture électrique, même si elle a bien des vertus, ne corrige pas l’indigence de nos politiques en matière d’étalement urbain (auquel le gouvernement ne veut pas s’attaquer) ni en matière de transport en commun?
Une politique de transport en commun, même quand celui-ci est non électrique, mène à des économies substantielles d’énergie et de gaz à effet de serre. Un autobus au diesel avec 50 passagers à bord consomme moins de carburant que 50 voitures à essence et produit moins de gaz à effet de serre que 50 voitures électriques. Et imaginez si le même autobus fonctionnait à l’électricité!
Le gouvernement donne des signes de vouloir agir, notamment avec l’annonce du prolongement de la ligne bleue du métro à Montréal et du projet de transport urbain à Québec, mais on demande à voir, tant il a fait de promesses non tenues.
Mais pour en arriver à un État qui découragerait la vente de VUS et encouragerait les transports en commun comme il se doit, encore faut-il que le gouvernement gouverne en fonction de l’intérêt supérieur du Québec et pas seulement selon une logique de concours de popularité. On en reparlera après les élections.