MK2: une compagnie française qui veut donner du oumf au Quartier latin de Montréal
Vingt ans après son ouverture, le cinéma Quartier latin, rue Émery à Montréal, changera d’opérateur*. Le bail échu de la compagnie Cineplex de Toronto sera repris par une compagnie française à compter du 1er septembre. Il s’agit du groupe mk2, plus connu ici pour son rôle de distributeur et de producteur de films (Le sens de la fête, Juste la fin du monde, La pianiste) que comme exploitant de salles. Lire l’autobiographie de son fondateur, Marin Karmitz, Comédies (Fayard, 2016), est une bonne façon de faire connaissance avec ce nouveau joueur qui devrait bousculer le marché du cinéma à Montréal.
Marin Karmitz, au 485e rang des 500 plus grandes fortunes de France, est né en Roumanie en 1938. D’origine juive, sa famille échappe au pogrom de juin 1941 et fuit en France en 1947, le seul pays où la mère de Marin souhaitait aller car elle parlait déjà le français. Avant de devenir millionnaire et défenseur de l’exception culturelle, Karmitz sera maoïste, soixante-huitard, assistant de Jean-Luc Godard, d’Agnès Varda, et réalisateur de quelques films. «J’ai voulu faire du cinéma, dit-il, parce que j’étais incompétent ailleurs.»
C’est la nécessité qui fera de lui un producteur auprès de plusieurs grands noms du cinéma français, dont Claude Chabrol, Alain Resnais, Louis Malle, Cédric Klapisch. Son plus grand succès sera Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski avec 15 millions de spectateurs dans le monde. Il remporte sa première Palme d’or à Cannes avec le film Padre Padrone des frères Taviani, réédite l’exploit avec Elephant de Gus Van Sant. Pas mal pour un homme qui se targue de ne parler que le français.
Un exploitant de salle singulier
En 1974, Marin Karmitz ajoute à sa palette le métier d’exploitant de salles pour permettre à des films qui n’ont pas de tribunes d’être vus. Dans ses salles, il accueille le cinéma français plus pointu ainsi que des productions étrangères qu’il présente avec sous-titres. Il révèle au monde le cinéma iranien de Moshen Makhmalbaf et d’Abbas Kiarostami, qu’il produit, distribue et diffuse. Sa fibre militante fait qu’il aime aussi sauver de vieilles salles de la démolition ou s’installer dans des quartiers difficiles. Son complexe mk2-Quai de Seine sera précurseur du développement du 19e arrondissement de Paris.
Cet homme de cinéma opiniâtre et réputé cassant en affaires a cédé les rênes à ses fils Nathanaël et Elisha il y a quelques années. Marin Karmitz laisse à mk2 plus que les initiales de son nom. L’entreprise demeure imprégnée des principes qu’il a légués à ses enfants: donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, défendre une vision du monde singulière et créer un modèle d’alternative culturelle. Pour cet homme qui conçoit la culture comme un enjeu démocratique, le spectateur doit être vu comme un citoyen et pas seulement comme un consommateur de films.
Les nouveaux projets de MK2
Avec leur jeunesse, les frères Karmitz font tout de même évoluer le circuit mk2. Par exemple, en 2007, mk2 est le premier exploitant de cinéma en France à lancer une plateforme de vidéos sur demande. La banque compte 1 000 titres et un conseiller cinéphile disponible pour clavarder.
En décembre 2016, ils inaugurent le premier lieu permanent dédié à la réalité virtuelle, le mk2-VR dans le 13e arrondissement de Paris. La programmation offre des expériences sur trois technologies différentes: Oculus Rift, HTC VIVE et Playstation VR. Il y a également deux simulateurs: le rameur Holodia et Birdy, un simulateur de vol d’oiseau.
En 2014, les frères Karmitz font leurs premières acquisitions de salles à l’étranger. D’abord en Andalousie et ensuite à Madrid, en 2017. Et bonne nouvelle, les canards boiteux qu’ils ont achetés se portent mieux. Le réseau mk2, troisième en importance en France et en Espagne, compte désormais 22 cinémas, 196 écrans et approche les 10 millions de spectateurs cumulés.
Un vent de renouveau pour le Quartier latin
L’arrivée de mk2 à Montréal sera la première manifestation d’une transformation majeure du cinéma Quartier latin et de son voisinage selon Jean-Claude Chabot, directeur du développement chez France Film, propriétaire des lieux. «Nous les accompagnerons dans leur implantation. Nous prendrons toutes les bonnes choses de Paris, les projecteurs au laser, les sièges hyper-confortables dont le loveseat et leur talent pour animer les cinémas, et nous rajouterons les besoins d’ici.»
Une entente a été signée pour la présentation de pièces de la Comédie française en direct. La salle 9, qui compte 353 fauteuils, sera équipée pour présenter des spectacles. Un bar sera exploité dans la partie qui servait autrefois d’arcade.
Jean-Claude Chabot connait bien le potentiel du Cinéma Quartier latin. C’est lui qui a conçu le projet initial inauguré en 1997. «On l’avait construit pour que ce soit la maison du cinéma français en Amérique. J’ai l’impression que c’est ce qu’on est en train de faire avec mk2.»
Et ce n’est pas tout, France Film ira finalement de l’avant avec la modernisation du Théâtre Saint-Denis voisin qui est aussi sa propriété. La transformation se fera en quelques phases, la première consistant à construire une tour de six étages à l’intersection des rues Saint-Denis et de Maisonneuve qui accueillera entre autres les bureaux de France Film et un restaurant dirigé par un chef réputé dont le nom demeure pour le moment secret.
Les travaux commencent à la mi-avril. Ensuite, le Saint-Denis 2 sera transformé en cabaret qui pourra aussi faire office de studio de télévision avec un équipement à la fine pointe de la technologie. Et finalement, la façade Art déco, qui date de 1990, sera refaite, et on procèdera à la restauration de la salle 1 pour lui donner son lustre de 1916.
*Nouveau développement
Mercredi dernier, La Presse + rapportait que le groupe Cineplex avait déposé une demande d’arbitrage en Cour supérieure concernant la fin de son bail avec France Film. Cineplex a refusé notre demande d’entrevue.