Tina Fontaine, ses sœurs et nous
L’acquittement, il y a quelques jours, d’un homme accusé du meurtre de Tina Fontaine, cette jeune autochtone du Manitoba dont le corps avait été retrouvé sans vie en 2014 dans la rivière Rouge, à Winnipeg, a soulevé la controverse partout au pays. En marge de ces vives contestations, Ce silence qui tue, un documentaire puissant et nécessaire, est présenté à la télé, le 5 mars à 21 h sur APTN et le 8 mars à 22 h à Canal D. C’est à voir.
Réalisé et scénarisé par Kim O’Bomsawin, doté d’un propos singulier et d’une direction photo hors du commun, ce film de calibre assez fort pour participer à des festivals partout dans le monde donne la parole à des femmes qui auraient pu, elles aussi, disparaître dans l’indifférence d’un pays soit disant «ouvert sur le monde», humain, industrialisé et rempli de ressources. L’horreur, et ce qui donne des frissons dans le dos, c’est qu’elles pourraient aussi être les prochaines victimes de ce grand cauchemar qui compte plus de 1200 femmes assassinées ou disparues. Un chiffre un peu flou, selon les intervenants du film, qui sont sûrs qu’il y en a plus.
Prescrire partout
Honnête, lucide, sincère, dépourvu de pathos, de tout esprit revanchard ou d’une quelconque forme d’apitoiement, Ce silence qui tue instruit, documente et vulgarise les mauvais traitements réservés à nos concitoyen.n.e.s d’une manière si limpide et fondamentale qu’il devrait apparaître au programme scolaire de tous, mais absolument tous les établissements d’enseignement de niveau secondaire et collégial. J’imagine – je souhaite – que ça s’est un tantinet amélioré, mais au milieu des années 1990, dans les cours d’histoire, l’espace réservé aux peuples des Premières Nations faisait pic-pic… Disons qu’il y a pas mal plus à dire que de s’émerveiller devant les splendeurs du calumet de paix et des capteurs de rêves. Aussi, si on avait passé plus de temps sur les terribles pensionnats, je m’en serais souvenu.
Ce sont quand même les autorités et le gouvernement qu’il faudrait avant tout réveiller. On a tous en tête le reportage de l’émission Enquête, à ICI Radio-Canada, dans lequel, en 2015, des femmes autochtones témoignaient avoir été victimes de violence et d’agressions sexuelles de la part de policiers de Val-d’Or. Six policiers de la Sureté du Québec avaient été suspendus temporairement à l’issue de la diffusion. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’avait, lui, porté aucune accusation criminelle contre les policiers en question.
C’est comme si, pour elles, la justice n’existait pas, comme si elles l’avaient cherchée, cette violence… «Ce ne sont pas les femmes autochtones qui se mettent en danger, c’est la société qui les met en danger», exprime dans le documentaire l’épatante députée néo-démocrate Nahanni Fontaine. Elle a bien raison de renchérir en déclarant qu’il n’y a aucune fillette qui rêve, quand elle sera adulte, d’œuvrer dans le monde du sexe et de se faire malmener par un homme. Aucune.
Au-delà de ce traitement réservé aux femmes, révélé ces dernières années dans des reportages ou à travers des projets militants, c’est l’intérieur même des réserves qui est marqué au fer, faisant des victimes qui subissent et perpétuent le cycle de la violence. Comme précisé par la cinéaste, formée comme sociologue, rappelons que les réserves sont une création de la Loi sur les Indiens adoptée par le gouvernement canadien en 1876 pour sédentariser les autochtones, les assimiler, et qu’il existe encore, en 2018, un régime de tutelle qui leur confère un statut de «mineur» au sens de la loi.
Des hommes s’excusent
Dans le documentaire, des pères autochtones font leur mea culpa. Le premier, brutalisé, abusé, violé lorsqu’il était enfant, reconnaît ses épisodes d’extrême violence envers sa femme, auprès de laquelle il tente de se réhabiliter au terme de souffrances familiales. Un autre, plus jeune, admet son alcoolisme, ses échecs et se reprend auprès de sa fille, à qui il transmet l’héritage autochtone avec amour et résilience. Parce que oui, la lumière aussi émane de ce film. L’espoir. Ces mea culpa ajoutent une couche de plus à l’œuvre. À quand le mea culpa et le changement de cap de nos dirigeants, ceux de notre justice?
C’est aussi à chacun d’entre nous de se lever. Comment? J’ai beau être un peu cultivée, politisée et instruite, j’avoue que ça ne fait pas si longtemps que je suis en mesure de comprendre – et ce ne sera jamais assez, bien sûr – l’injustice, la négligence, l’ignorance témoignées à l’endroit des Premières Nations, de leurs femmes surtout, les principales victimes d’une forme de racisme systémique épouvantable. La prise de conscience de ce grand malheur qui perdure, rendant endémique ce phénomène de la violence comme celui de l’agression sexuelle, peut peut-être débuter par la curiosité, l’intérêt, avec un regard tourné vers l’autre.
On pourrait les lire… elles. Les écrivaines. Elles s’appellent Naomi Fontaine, Natasha Kanapé Fontaine – formidable dans le rôle d’Eyota Standing Bear dans Unité 9 –, la grande Joséphine Bacon, Rita Mestokosho, Virginia Pésémapéo-Bordeleau, Marie-Andrée Gill. Elles portent tant, à commencer par notre Histoire.
Je craque pour…
La nuit blanche d’un enfantôme
Ce samedi soir, à 21h45 et à 22h45, dans le cadre des multiples activités de la Nuit blanche à Montréal, Laurence Côté-Fournier, Rébecca Déraspe, Frédéric Dubois et Alain Farah parleront de Réjean Ducharme et liront des extraits de l’œuvre du dernier «enfantôme» à la librairie Gallimard du boulevard Saint-Laurent.
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