Le cocktail rose et sucré d’Éliane Gamache-Latourelle
J’ai toujours été en guerre avec mes finances personnelles et je pleure de désespoir dans le bureau de Sarah, ma comptable, devenue un peu psy, qu’elle le veuille ou non.
J’envie mes copines qui réussissent en affaires. Elles me fascinent avec ce don de faire fructifier l’argent, d’ouvrir des bureaux partout et de gérer des tonnes d’employés qui, en plus, se disent heureux et valorisés. Jeunes mamans échevelées, elles ne roulent pas en BMW de l’année, n’aspirent pas à marier Justin Bieber; elles restent prudentes dans leurs investissements, demandent souvent conseil à des mentors expérimentés et ne font pas briller publiquement leurs avoirs. Certaines ne vont même pas sur Facebook... Surtout, elles n’ont pas le temps de donner des conférences de coaching en série ou d’écrire des livres sur leur réussite... «C’est le genre de chose que je ferai quand je serai ben ben vieille et je le ferai écrire par un vrai auteur... », me confiait l’une d’entre elles.
On est très loin du «modèle de réussite» d’Éliane Gamache-Latourelle, pharmacienne, coauteure du livre La jeune millionnaire (éd. Un monde différent) avec Marc Fisher, qui a aidé la jeune femme d’à peine trente ans à publier à l’automne 2014 et dont La Presse faisait état mercredi, témoignages à l’appui de gens se disant floués, des déboires financiers et humains de celle qui est devenue une conférencière et coach convoitée. Le livre s’est vendu à plus de 10 000 exemplaires, un très grand succès à Bouquinville…
Loin de la Beauvoir
Par curiosité, j’ai parcouru le livre, qui n’a absolument rien d’un essai de Simone de Beauvoir, mais qui est fidèle à beaucoup de livres de «mieux-être», sorte de recette typique, écrite en gros caractères, dotée de faits vécus et de conseils pour s’enrichir rapidement en partant de zéro. LE genre d’histoire personnelle qui fait rêver. Rêver et saliver. Saliver les aspirants entrepreneurs avides d’argent, les médias avides de nouvelles sensationnelles et les éditeurs avides de retombées financières. Or, dans ce cas précis, la salive est devenue un cocktail rose et sucré qui a enivré tout le monde.
«Un exemple de réussite pour les jeunes femmes d’affaires», «Inspire-toi avec Éliane Gamache-Latourelle», «Un modèle à suivre… », lit-on dans les articles trouvés sur elle. Articles écrits par de «vrais» journalistes, pas des fakes news… Elle a fait la tournée des grands médias, s’est fait photographier avec des personnalités publiques, des «veuuuudettes» et des têtes dirigeantes d’entreprises, elle filmait ses déplacements et rencontres glamours, les diffusait sur ses réseaux sociaux, qui gagnaient évidemment en «suiveux», etc. Pendant ce temps, d’après les témoignages rapportés dans La Presse, la jeune femme s’endettait, n’honorait pas tous ses engagements, manipulait ses clients, etc. Le cocktail a explosé et la femme aurait pris la poudre d’escampette dans le Sud. Un classique par les temps qui courent…
Sans vouloir pointer du doigt qui que ce soit dans cette vilaine affaire, je me demande comment des gens, que je suppose éduqués et instruits, ont pu la croire au point de lui donner sous, énergie, temps d’antenne, attention, etc. Même constat dans l’affaire du chef et entrepreneur Giovanni – Jean-Claude – Apollo, qui aurait lui aussi floué tout le monde, je le rappelle, et qui a été à la barre d’émissions télé et radio en plus de publier des livres, etc.
Premiers, mais à quel prix?
Certains médias et éditeurs manquent-ils à ce point de ressources (recherchistes, journalistes…) pour fouiller, vérifier les informations avant de publier ou de diffuser? Nous sommes au 21e siècle; Internet et l’accès rapide au monde entier devraient offrir une forme de protection. À moins que l’envie d’être les premiers à faire goûter le fameux cocktail rose et sucré occulte rigueur et discernement… C’est Claude Robillard, mon ancien prof d’éthique et journalisme à l’UQAM, qui leur taperait sur les doigts!
Le public va-t-il devoir, en plus d’activer son intuition naturelle, faire lui-même le travail de vérification chaque fois qu’une nouvelle étoile viendra briller dans sa télé ou sa librairie? Il n’est pas lui non plus sans faille en entrant aveuglément dans ces «mirages». Est-il à ce point assoiffé de solutions miracles, d’accès rapide au succès et au bonheur pour se laisser berner par une figure charismatique? Visiblement, il a désespérément besoin d’espoirs et de rêves. Triste.
Quant aux imposteurs, c’est peut-être eux au fond qui m’inspirent le plus la pitié avec leur narcissisme, leur mythomanie, leur désir inextinguible de reconnaissance et de visibilité, au point d’en perdre la raison. Ces gens ne vont pas bien, de grâce, éloignons-nous de leur maladie, la grippe est forte cet hiver et les hôpitaux débordent.
Je craque pour… Un clip du nouvel album de Cœur de pirate
En ligne depuis vendredi dernier, Prémonition, le nouveau clip de Cœur de pirate, est très fort visuellement, autant que les paroles de la chanson elle-même sur les relations toxiques qu’on répète en boucle. Ce premier extrait de son nouvel album, disponible au printemps seulement, est accrocheur, vif, d’une puissance inouïe. J’ai comme une prémonition: ça parlera aux grands romantiques qui nous lisent et qui ont un jour été aveuglés par l’amour…