Lambert Wilson chante Montand: quand les souvenirs remontent
Wilson chante Montand est le coup de cœur culturel de Claude Deschênes.
Il y a de ces personnalités qui meurent en nous laissant bien tristes, mais leur absence de nos vies fait qu’on finit quand même par les oublier, jusqu’au jour où une étincelle rallume la flamme et nous fasse réaliser à quel point ces chers disparus nous manquent. C’est le cas d’Yves Montand. Ces jours-ci, son souvenir est généreusement ravivé par Lambert Wilson, qui reprend 27 de ses chansons au Théâtre du Nouveau Monde.
Dans une entrevue qu’il donnait cette semaine au journaliste de La Presse+ Marc-André Lussier, l’extraordinaire acteur du film Des hommes et des dieux s’inquiétait que Montand soit si peu connu des moins de 40 ans. «Vous pouvez être une star mondiale incontournable et ensuite tomber très vite dans l’oubli. Cette évaporation est phénoménale…»
Le 9 novembre, cela fera 26 ans qu’Yves Montand est mort. Il avait 70 ans. Aurions-nous déjà oublié comment Ivo Livi, fils d’immigrants italiens communistes, est passé d’autodidacte à référence mondiale en matière de show-business? En son temps, cette bête de scène a fait rayonner la culture française à travers le monde. Sans parler de son immense stature d’acteur. Personnellement, je tiens ses trois films avec le réalisateur Costa-Gavras, Z, L’Aveu et État de siège, comme des moments marquants de ma vie de cinéphile.
La, la, la, mine de rien, la voilà qui revient
Il suffit d’entendre La chansonnette, Les feuilles mortes ou La bicyclette pour prendre la mesure du vide que Montand a laissé en quittant notre monde. Ces chansons font toutes parties du tour de chant de Lambert Wilson. Luna Park, À Paris, Barbara, Syracuse aussi, de même que des titres moins connus comme Il a fallu, Sanguine ou Cœur de mon cœur. En fait, le choix de chaque chanson est déterminé par les moments de la vie du chanteur qu’on a choisi de nous raconter.
Il y a l’évocation des docks de Marseille où le jeune Ivo a travaillé, les débuts timides dans les cabarets, l’arrivée à Paris, la rencontre avec Piaf, le coup de foudre pour Simone Signoret, l’engagement politique, le parti-pris pour les ouvriers, l’idylle avec Marilyn Monroe.
C’est ainsi que le rappel de ses années de cancre au lycée nous mène à la chanson En sortant de l’école et que Les feuilles mortes suivra tout naturellement le récit du retour de Montand au foyer après son infidélité avec sa plantureuse partenaire de jeu américaine.
De la haute couture
Le spectacle qu’accueille le TNM jusqu’au 5 novembre est très théâtral. Avec un souci du détail et de l’élégance digne de la haute couture, les chansons sont liées entre elles par des textes empruntés aux poètes Prévert, Cocteau, Hikmet et à la biographie que Jorge Semprun a écrite sur Montand (Montand, la vie continue, Éditions Denoël). À partir de cette partition, le metteur en scène Christian Schiaretti a créé une chorégraphie millimétrée, veillant aux moindres déplacements et mouvements de son comédien. Lambert Wilson joue tout ça avec grâce, aisance et panache au milieu d’un orchestre de six musiciens dirigé par Bruno Fontaine. Il chante bien, mais concédons qu’il n’a pas la voix chaude et juste du monstre sacré auquel il rend hommage.
Selon le programme remis à l’entrée, le spectacle se conclut avec Come back to me, seul titre en anglais de la soirée. Je pense que Lambert Wilson a compris qu’il valait mieux laisser son public québécois avec une chanson en français. On a donc eu droit à un rappel: Les grands boulevards. On sort du TNM enchanté et en chantant, submergé d’une joie immense d’avoir renoué avec cette légende de la chanson française tapie dans nos souvenirs.
Sur Facebook, la semaine dernière, le comédien Renaud Paradis se demandait s’il devait toujours aller de l’avant avec son projet de monter un spectacle avec le répertoire d’Yves Montand maintenant que Lambert Wilson est venu présenter le sien au Québec. J’ai envie de lui répondre de ne pas hésiter à le faire. D’abord, s’il y a quelqu’un capable de s’attaquer à ce patrimoine, c’est bien lui. Et on ne chantera jamais trop souvent ces chansons qui ont le secret pour durer toujours, comme le suggère la belle Roses de Picardie: «Dire que cet air nous semblait vieillot, aujourd’hui il me semble nouveau». Il suffit de les chanter encore et encore…