René Derouin, Michel Rabagliati et Frédéric-Back
Le 29 mai dernier, j’ai eu l’honneur d’animer la cérémonie de remise des insignes aux nouveaux membres de l’Ordre des arts et des lettres du Québec. Parmi les 14 récipiendaires, il y avait deux créateurs dont je veux vous parler aujourd’hui: l’artiste multidisciplinaire René Derouin et le bédéiste Michel Rabagliati. Cette semaine, je suis allé à la rencontre de leur œuvre la plus récente.
De la Chapelle au mur des rapaces de René Derouin à Val-David
René Derouin est né en 1936 à Longue-Pointe sur l’île de Montréal mais depuis 50 ans, il est surtout identifié à Val-David, car c’est dans ce charmant village des Laurentides que ce citoyen des Amériques a établi son port d’attache.
L’exposition De la Chapelle au mur des rapaces, que le Centre d’exposition de Val-David présente depuis le 24 juin et jusqu’au 4 septembre, s’est imposée comme une surprise dans la programmation estivale. René Derouin m’a raconté qu’après avoir présenté ses nouvelles œuvres à Montréal, Québec et Ottawa sous le titre Rapaces, il était mûr pour passer à une autre étape, mais c’était sans compter sur l’insistance de la mairesse de son village. Nicole Davidson trouvait que le peintre le plus célèbre de sa ville était bien peu présent depuis qu’il avait décidé de cesser en 2016 les activités de sa galerie en plein air, les Jardins du précambrien. Elle voulait son événement Rapaces.
René Derouin est vraiment un enfant chéri de la place. En connaissez-vous beaucoup des artistes qui s’engagent pour préserver une épicerie comme il l’a fait en 2010? Pour rappel, René Derouin a réalisé une murale sur les quatre faces du marché Métro de la rue de l’Église, un coup d’éclat qui a sauvé le commerce alors menacé de fermeture. La murale de 160 mètres est toujours là et l’épicerie semble bien occupée.
Pour revenir à l’exposition du Centre d’exposition de Val-David, René Derouin a donc laissé faire, et c’est tant mieux. Je vous avais parlé de Rapaces en novembre, mais ce que j’ai vu cette semaine est autrement plus complet.
Il y a d’abord ce nouveau tableau monumental, Mur des rapaces. Cette œuvre murale de 48 pieds de long reprend la même thématique que les gravures présentées à l’automne. René Derouin dépeint le gracieux ballet aérien des oiseaux de proie pour mieux dénoncer la rapacité des humains. Le texte de l’artiste expliquant sa démarche est sans équivoque.
Ma réflexion sur la société actuelle à travers l’observation des oiseaux me fait découvrir des mondes parallèles, sans scrupule, sans éthique et sans morale, une société de rapaces…
En étudiant les oiseaux de proie dans leurs mouvements et leur agilité, je fais le lien entre ces deux mondes. C’est dans la nature des rapaces de chasser des proies pour leur survie tandis que chez l’humain, c’est une idéologie dominante qui élimine tous les droits acquis de nos sociétés…
Lorsqu’on prête attention aux différents documents vidéo qui tournent en boucle dans les quatre coins de la galerie, on constate à quel point la démarche de René Derouin a toujours été cohérente. C’est un combattant qui n’a jamais oublié ses origines modestes. Aussi, continentaliste depuis toujours, il n’a pas attendu l’arrivée de Trump pour s’opposer aux murs et aux frontières.
L’exposition se poursuit sur un autre registre à l’ancienne église Saint-Jean-Baptiste située de l’autre côté de la rue. L’installation La Chapelle, qui prend place où se trouvait autrefois l’autel, porte à la contemplation. Une vidéo raconte dans le détail la création de cette œuvre. Sur les murs de côté de l’église, quelques reliefs de sa série Derniers Territoires sont exposés. Le territoire, voilà une autre dimension que René Derouin n’a jamais cessé d’explorer!
De la Chapelle au mur des rapaces n’est pas une exposition rétrospective, mais peu s’en faut. Elle embrasse large et nous fait réaliser à quel point ce grand artiste, qui creuse son sillon en solitaire depuis 60 ans, méritait d’être fait compagnon de l’Ordre des arts et des lettres du Québec.
Paul à Montréal de Michel Rabagliati sur le Plateau-Mont-Royal
Une nouvelle aventure pour Paul! À l’occasion du 375e anniversaire de Montréal, la maison d’édition La Pastèque a eu la bonne idée de faire prendre l’air au célèbre personnage du dessinateur Michel Rabagliati. Ainsi, après les albums Paul à la campagne, Paul a un travail d’été, Paul en appartement, Paul dans le métro, Paul à la pêche, Paul à Québec et Paul dans le parc, voici donc Paul à Montréal, une bande dessinée dont les planches sont disséminées en 11 lieux extérieurs du Plateau-Mont-Royal.
Chaque case évoque une période de l’histoire de Montréal. Le récit commence en 1642 au fort de Ville-Marie alors que Paul remarque un tablier rouge tombé du panier d’une belle aux airs de Bécassine. Il lui faudra 375 ans pour arriver à lui remettre l’objet perdu, et c’est au belvédère du mont Royal que ça se passe, sous les feux d’artifice.
Chaque tableau évoque une époque de Montréal et fourmille de détails. Par ses dessins, Michel Rabagliati nous rappelle les débuts du Ouimetoscope, l’âge d’or du Jardin des merveilles, la popularité de l’Orange Julep, l’inauguration du métro. Mais au-delà de ces évidences, le dessinateur a placé dans ses planches des célébrités montréalaises, des lieux méconnus, des institutions disparues que l’application mobile vous fera découvrir. Je vous mets au défi de trouver, non pas Charlie, mais l’allumeur de réverbères, Michel Tremblay ou Thérèse Casgrain.
Pour respecter l’ordre chronologique de Paul à Montréal, il faut partir de la station de métro Laurier. Onze cases, et à peu près une heure plus tard, on se retrouve au parc Lafontaine pour la conclusion de l’histoire. Au fil de nos déplacements, on marche et on découvre le très bel arrondissement du Plateau-Mont-Royal, qui réserve plein de surprises et de ravissements.
Par exemple, depuis son réaménagement, la rue Laurier, entre Saint-Denis et Saint-Hubert, dégage une grande convivialité. On a envie de s’y attarder. Que dire du parc Lahaie, angle Saint-Joseph et Saint-Laurent? Sinon que son réaménagement en 2014 s’avère une grande réussite qui, entre autres, met en valeur la très belle église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End. En croisant l’avenue de Chateaubriand, oh bonheur!, je retrouve ce petit bijou de rue qui n’a rien à envier à Boston ou à Paris. Rue Saint-Hubert, étonnement à la vue de religieuses en soutane s’occupant à faire jouer les enfants d’une garderie et tentation de m’arrêter au coin de Duluth pour prendre une bière à l’invitant Mtl Resto-Bar.
Bref, Paul à Montréal s’est un peu transformé en Claude à Montréal. Je pense que c’est aussi l’ambition de cette BD en ville de Michel Rabagliati: faire de ceux qui empruntent le parcours les acteurs de leur ville. Les planches seront accrochées aux murs jusqu’au 10 décembre.
On termine ça au parc Frédéric-Back
Au lieu de désespérer du monde cette semaine, je suis parti à la découverte d’un lieu plein d’espoir et d’avenir, mais malheureusement méconnu. Dans ce qui fût autrefois un dépotoir municipal, la Ville de Montréal est en train de faire surgir un espace vert aussi grand que le parc du Mont-Royal et qu’on a eu la bonne idée de baptiser du nom de l’illustre cinéaste d’animation Frédéric Back. Le parc a déjà sa piste cyclable.
Avec mon vélo, j’ai fait la boucle de 5,5 km qui ceinture l’ancienne carrière Saint-Michel. Le tracé de la piste passe dans la cour de la Tohu et du siège social du Cirque du Soleil, nous fait longer les jardins communautaires du quartier Saint-Michel, nous conduit au Stade de soccer de Montréal (formidable réalisation du cabinet d’architectes Saucier-Perrotte) et chez son voisin, le TAZ. On conclut la randonnée au parvis Papineau, un vaste espace public qui est en quelque sorte l’entrée principale de ce nouveau parc qui compte une vingtaine d’accès dans son pourtour.
Si je vous en parle, c’est que le samedi 26 août, on procédera à l’inauguration d’un nouveau site appelé le Boisé Est. Et vous êtes invités! C’est la première fois que le public aura accès à un espace situé au centre du parc. Les arbres qui ont été plantés sont encore petits, il y a de hautes herbes et un sentier de gravelle mène à un promontoire où se trouve la première œuvre publique du parc, Trou de mémoire, de l’artiste Alain-Martin Richard.
Comme le parc est construit sur 40 millions de tonnes de déchets enfouis, il faut laisser la terre digérer tout ça. C’est pourquoi le site est aussi parsemé de plus d’une centaine de capteurs de biogaz qui ont fière allure avec leur forme ovoïde.
Il y a quelques années, j’ai vu à Séoul, en Corée du Sud, un parc semblable. J’avais été étonné par l’exploit de faire disparaître un site d’enfouissement en bordure de la rivière Han pour en faire un vaste espace vert ouvert au public. La même chose est en train de se produire ici, chez nous. D’ici 2023, c’est un total de 157 hectares de verdure qui seront restitués aux Montréalais. N’est-ce pas que ça fait du bien de voir qu’il y a des choses qui s’améliorent? Et en passant, ma blonde insiste pour que je vous dise que le parc Frédéric-Back sent déjà bon!