Macron: l’optimisme de centre à l’Élysée

Au terme d’une campagne présidentielle exceptionnelle où les coups de théâtre ont été nombreux, les Français ont fait leur choix. L’élu est un homme de 39 ans qui, en plus d’être le plus jeune président de la République, a littéralement dynamité les visions de gauche et de droite par lesquelles les Français avaient l’habitude de se définir.



L’élection d’un centriste en France – qui ne se réclame d’aucun parti traditionnel et qui n’avait même jamais été élu par-dessus le marché – est un tremblement de terre historique.

Lorsque  Macron a lancé son mouvement En Marche! en avril 2016, la classe politique au grand complet s’est moquée de lui. Mais le vent Macron a soufflé tellement fort que le candidat a pu faire campagne pendant presque un an sans programme établi. Le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a résumé d’un trait l’état d’esprit qui a prévalu: le dégagisme.

Macron n’est pas le premier politicien de gauche à renoncer au vieux clivage gauche/droite qui remonte à la Révolution française. Mais il est le premier à réussir à prendre le pouvoir en faisant campagne à l’extrême centre.

Son étiquette formelle est «social-libéral». Mais ce dernier mot a un sens différent au Québec, où l’on dirait plutôt social-démocrate, par opposition à néolibéral.

Il est trop tôt pour prédire ce qui ressortira des élections législatives dans cinq semaines, alors que les Français éliront leurs députés. Macron pourra-t-il gouverner avec une Assemblée nationale qui lui est favorable, ou non? Plusieurs éléments de son programme, comme sa volonté d’assouplir les lois du travail, de réduire la fonction publique et de donner plus de place à l’entreprise privée, heurtent la gauche traditionnelle. Chez la droite classique, on n’aime pas sa posture libertaire (sur les collectivités, l’éducation, l’autonomie universitaire), qui remet en question la primauté de l’État.

Il n’est pas du tout acquis qu’il saura infléchir l’électorat pour obtenir une majorité de députés de son parti. Des millions de Français se sont bouché le nez en votant pour lui, et le taux d’abstention a été plus élevé que la normale. Il a certes recueilli 65% des voix au second tour, mais Marine Le Pen a plus que doublé les appuis que son père avait recueillis 15 ans plus tôt.

Il y a plusieurs raisons de croire que le centrisme d’Emmanuel Macron est davantage qu’un simple positionnement de marketing pour gagner des votes. Quand il était ministre, Macron avait impressionné bien des députés, de la gauche comme de la droite, par sa capacité à recueillir et intégrer autant des idées de l’une que de l’autre.

Photo Facebook Page Emmanuel Macron
Photo Facebook Page Emmanuel Macron

Macron, bien qu’il soit néophyte et que son parti soit moins organisé, a plusieurs avantages dans la course aux députés. D’abord, il a déjà fait mentir tous les pronostics le concernant. De plus, les candidats qui le suivent n’appartiennent pas à la classe politique, ce qui plaît à beaucoup de monde.

À l’image de ce qu’il veut projeter, Emmanuel Macron vient de nommer un nouveau premier ministre, Édouard Philippe, qui a rapidement formé son gouvernement. Celui-ci est presque aussi centriste que lui, légèrement à droite sur les questions économiques, à gauche sur les questions sociales.

De plus, de nouvelles règles électorales restreindront la pratique très française du «cumul des mandats» – en France, les politiciens pouvaient empiler les mandats électifs simultanés, ce qui était le cas de 80% des députés, qui étaient également maires, président de conseil régional, etc. Or, la loi interdit dorénavant cette pratique, ce qui procurera un avantage aux «néophytes» de l’équipe du nouveau président.

Photo: Facebook Page Édouard Philippe
Photo: Facebook Page Édouard Philippe

Macron, l’optimiste

Si Emmanuel Macron a réussi à rejoindre les aspirations centristes d’une partie de l’électorat, c’est parce qu’il est le premier politicien issu de la gauche à comprendre la profondeur du ras-le-bol généralisé des Français envers les grands partis traditionnels.

Mais il y a autre chose, qui va au-delà de la logique politique. Ce qui est absolument nouveau, c’est que Macron a choisi d’incarner un état d’esprit rarement exprimé en public en France: l’optimisme. Cet état d’esprit teinte toutes ses prises de position.

En agissant de la sorte, il a pris le contrepied du réflexe des Français à tout voir en noir – ce qui est d’ailleurs le fonds de commerce de Marine Le Pen. En France, depuis des siècles, on hésite à afficher publiquement une attitude ou une pensée optimiste – souvent associée à la niaiserie et au ridicule.

Or, dans la sphère privée, les Français ont un discours beaucoup plus positif qu’en public. Selon certains sondages, quand on demande aux Français où s’en va la société, plus de 80% répondent: «On est mal barrés». Mais quand on demande aux mêmes personnes comment elles perçoivent leur avenir personnel, plus de 80% vous diront: «Plutôt bon, mais ne le dites à personne…»!

D’autres données et comportements suggèrent un optimisme de fond. Leur taux de natalité, à deux enfants par femme, est parmi les plus élevés en Europe. Et les Français créent davantage d’entreprises que l’ensemble de leurs voisins immédiats, et même plus que les Américains, toute proportion gardée.

Cette victoire de Macron, qui a fait sortir les optimistes français du placard, contraste avec l’élection de Trump qui, lui, a joué sur le pessimisme et les peurs pour cristalliser le vote.

Tout comme Trump aux États-Unis, Macron veut rendre la France «great again». Non pas par la fermeture et le repli, mais plutôt en faisant le pari de l’ouverture. Pour y parvenir, la France devra cependant modifier ses rapports à l’Europe et au monde.

Macron devra également composer avec la poussée du nationalisme, avec les réflexes xénophobes exacerbés par les attentats et avec les pressions protectionnistes, surtout vis-à-vis de l’Europe. Le pari de l’ouverture n’est pas gagné d’avance…

Macron chez nous

Il est encore beaucoup trop tôt pour prédire quel impact la victoire de Macron aura au Québec et au Canada, mais il produit déjà de l’effet à Québec et Ottawa où c’est le branle-bas dans les ministères à vocation diplomatique.

Car Macron soulève une inconnue. Un article du Devoir relatait que Macron n’a probablement jamais visité le Québec ni le Canada. On ignore donc tout de sa position sur les politiques canadiennes ou sur la souveraineté du Québec. Mais on soupçonne qu’il sera plus sensible aux arguments d’une solidarité francophone qu’à ceux fondés sur l’identité – ce qui, d’ailleurs, correspond aux idées de nombreux Canadiens et Québécois de sa génération.

Par ailleurs, alors que Donald Trump annonce un durcissement du protectionnisme américain et menace l’ALENA, l’arrivée de Macron pourrait ouvrir plusieurs portes. Le nouveau président est favorable à l’Accord économique et de commerce global (AECG) signé entre le Canada et l’Union européenne. Cet accord établira une nouvelle zone de libre-échange pour les Canadiens et constituera peut-être une solution de rechange au protectionnisme américain.

Macron, l’Europe et la francophonie

La victoire d’Emmanuel Macron n’est pas banale, car elle s’inscrit dans une trame politique mondiale teintée par le Brexit, la victoire de Trump et les élections néerlandaises. Une trame politique où, un peu partout, s’opposent non plus la droite et la gauche, mais les nationalistes et les internationalistes.

Photo: Pixabay
Photo: Pixabay

Qu’est-ce que cela signifie de ce côté-ci de l’Atlantique, et pour tous les francophones? Il y a le symbole et il y a l’action.

Au plan symbolique, la victoire d’Emmanuel Macron projette soudain dans le monde une nouvelle image de la France. Sa politique d’ouverture pourrait profiter à l’ensemble de la francophonie, ce qui n’aurait certes pas été le cas si Marine Le Pen avait été élue.

Macron dit vouloir insuffler une nouvelle dynamique dans les institutions européennes – c’est même la conviction qu’il exprime le plus fortement. L’élection d’un président aussi europhile aura-t-elle beaucoup d’effet sur l’Union européenne et, par conséquent, sur la place du français en Europe et dans le monde? Le président de la Commission européenne a déjà annoncé le recul de l’anglais, depuis le Brexit, ce qui sera bénéfique au français en tant que langue internationale.

Chose certaine, le nouveau président semble pressé de s’attaquer au dossier Europe. Et on peut déjà se demander à quoi ressemblera la zone euro qu’il souhaite repenser, de concert avec Angela Merkel.

Il est trop tôt pour mesurer l’effet Macron. Les fameux 100 jours et leur suite seront critiques. L’optimisme leur survivra-t-il?

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.