Passionnantes ces élections fédérales!

Contrairement à ce qu’en disent les cyniques, nous amorçons la cinquième semaine d’une campagne électorale fédérale passionnante. Oui, oui, vous avez bien lu: passionnante.

Passionnante, d’abord, parce que le Québec a une chance de redevenir le pilier d’un gouvernement majoritaire à Ottawa pour la première fois en 22 ans. En 2011, les Québécois ont surpris tout le monde en abandonnant le Bloc Québécois et en se tournant majoritairement vers le NPD. Soudain, les Québécois sont devenus moins cyniques par rapport à la politique fédérale – et cette fraîcheur ou cet intérêt semble persister quatre ans plus tard. Quelle surprise nous réserve la prochaine élection?

Passionnante, aussi, parce que l’argent ne produit pas les résultats attendus. Le 2 août dernier, Stephen Harper a lancé la plus longue campagne de l’histoire politique canadienne parce qu’il espérait vaincre par attrition des opposants aux coffres moins garnis. Mais après quatre semaines, il est évident que le plus riche ne contrôle pas l’agenda.

Passionnante, enfin, même d’un point de vue médiatique, parce que tous les médias, sauf trois, boudent les avions des chefs de parti. C’est totalement nouveau. Auparavant, les médias payaient le gros prix pour avoir un, deux ou trois journalistes dans l’avion ou la caravane des chefs de partis, couvrant la joute politique au plus près et régurgitant des nouvelles prédigérées. Depuis 2008, bien des journaux remettaient en question l’intérêt de ce cirque médiatique. La longueur de la présente campagne (onze semaines) et le prix énorme a fait pencher la balance. Les rédactions ont jugé que les journalistes locaux et les agences pourraient très bien rapporter les déplacements des chefs, étant mieux au fait de la situation locale. Dans cette réorganisation du travail, les journalistes politiques et chroniqueurs vedettes se concentreront sur certains grands rendez-vous, creuseront les dossiers et chercheront les exclusivités pour se distinguer de la concurrence. Une couverture médiatique différente, donc, qui a déjà donné place à quelques analyses et papiers bien sentis.

Du cynisme ambiant…

Cela dit, aussi particulière ou passionnante soit-elle, une campagne électorale est un vaste compromis entre une foultitude d’enjeux. Jusqu’à présent, les trois principaux partis n’en ont eu que pour la classe moyenne, les taux d’imposition, la fiscalité. S’ils ont si peu parlé aux plus démunis, c’est parce que la course est très serrée en Ontario, où les trois principaux partis se disputent le centre. Ce silence sur les démunis est malheureux, mais il n’est pas nécessairement permanent. Et puis – faut-il le rappeler? –, la politique électorale fera toujours des mécontents. Chaque lobby prêche pour son saint et déplore qu’on n’aborde pas les «vrais enjeux»– qu’il s’agisse d’environnement, de recherche scientifique ou d’économie. C’est le côté «bar ouvert» de la politique.

Mais il faut se méfier de tous ceux qui n’ouvrent la bouche que pour dénoncer le cynisme électoral des politiciens sans s’en justifier. Il y a une certaine noblesse à faire de la politique. La plupart des politiciens entretiennent des idéaux, ce qui est en soit honorable même si on n’est pas d’accord avec eux. Cet idéalisme est toujours présent chez ceux qui durent, malgré les compromis. Mais la politique est un sport violent où presque tous les coups sont permis. Que les politiciens au pouvoir doivent faire des pirouettes, omettre des faits, ne pas tout dire, voire mentir n’a rien de particulièrement québécois ou canadien: c’est universel.

Alors «tous pourris», «tous pareils»? Ce genre de posture n’est au fond qu’une forme de «prêt-à-penser», qui est à la pensée politique ce que la peinture à numéro est à la peinture. À la limite, ce cynisme réflexe est même foncièrement antidémocratique. Comme le disait Winston Churchill, la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres. Il n’y a pas d’autre possibilité que la démocratie, et donc le jeu électoral. Condamner le jeu électoral pour ses excès est illogique, et même contre nature: la politique électorale sera toujours une joute et il y aura toujours des excès.

Le cynisme à l’égard de la politique traduit souvent de l’immaturité et des attentes démesurées, voire irréalistes. Ceux qui reprochent aux politiciens de dire n’importe quoi sont bien souvent les mêmes qui leur demandent d’avoir une opinion sur tout, et de la formuler en huit mots.

Mais les cyniques ont raison sur un point, tout de même: le pouvoir gangrène toujours un peu ceux qui l’ont. C’est inévitable et inhérent à son exercice.

D’où cette nécessité impérieuse: le parti au pouvoir doit se soumettre au tribunal de l’opinion. C’est ce que l’on appelle une élection. Et le cirque électoral, malgré ses excès, ne change rien à l’essence même du processus électoral. Les cyniques oublient un peu vite que l’électorat a presque toujours la sagesse de purger le système, parfois très brutalement. Les raisons de chaque électeur ne sont pas toujours les bonnes, mais, quelles que soient les motivations individuelles, l’effet demeure le même. Les Libéraux y ont goûté en 1984 puis en 2006. Les conservateurs ont subi le même sort en 1993.

Le tout est maintenant de savoir quel jugement les électeurs porteront sur les conservateurs après neuf ans au pouvoir, et la décision ne se prendra pas dans l’avion des candidats, mais entre les deux oreilles de presque 28 millions d’électeurs le 19 octobre. Le verdict dans sept semaines!

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.