Art Souterrain 2017: Jeu et diversion dans le sous-sol de la ville
Froid cinglant, pluie diluvienne, trottoirs glacés... Au cours des derniers jours, toutes les raisons étaient bonnes pour prendre part à Art Souterrain, cet événement qui, en mars, transforme les entrailles du centre-ville de Montréal en galerie d’art contemporain.
Bien à l’abri, on peut se laisser taquiner, interpeller, charmer, confronter par près de 60 artistes du Québec, du Canada et de l’international qui ont créé des œuvres faisant écho au thème de cette année.
Le directeur d’Art Souterrain, Frédéric Loury, et son équipe de commissaires ont choisi, pour cette 9e édition, de nous amener sur le terrain du jeu et de la diversion. Après tout, le divertissement, le jeu, les concours, le gaming envahissent plus que jamais nos vies.
Faire le parcours de six kilomètres a déjà quelque chose de ludique. Se promener du Complexe Guy-Favreau à la Gare Centrale, sans pratiquement ne jamais sortir dehors, donne le sentiment de jouer au touriste dans sa propre ville. Le Montréal souterrain ce n’est pas seulement des commerces et de la restauration rapide, c’est aussi un dédale de couloirs qui s’apparente au labyrinthe. Vous ne devriez pas vous perdre, car les organisateurs ont mis un soin particulier à la signalisation, mais attendez-vous à monter et descendre des escaliers, à pousser des portes, à croiser des travailleurs pressés et quelques itinérants en quête de chaleur ou même à être fin seul.
On n’a pas seulement soigné la signalétique; Art Souterrain fait un important travail de médiation culturelle. Les œuvres sont très bien identifiées et expliquées. Si vous voulez maximiser votre expérience, il y a possibilité de télécharger un audioguide qui donne la parole aux artistes. Si vous préférez le contact humain, les commissaires de l’exposition et certains artistes seront sur place le week-end, et moyennant des frais de 10$, on peut s’offrir une visite guidée d’une heure.
Laissez-moi partager avec vous quelques impressions de ma visite.
J’ai commencé mon parcours au Complexe Guy-Favreau. Dans l’Atrium, l’installation de José Luis Torres, Argentin établi au Québec, s’amuse à nous jeter au visage notre tendance à accumuler des objets. Qui ne s’est pas battu pour réussir à ranger ses cossins d’été pour l’hiver?
Le duo québécois Doyon-Rivest joue sur la diversion. Des objets familiers servent de support pour des photos qui n’ont pas rapport. Il en résulte une mise en scène qui surprend le spectateur.
Ceux qui ont joué au Pac-Man dans les années 80 prendront plaisir à voir la transposition que l’artiste-vidéaste suisse Guillaume Reymond en a faite. Dans Not So Noisy, les pixels sont remplacés par des humains. Une centaine de personnes se sont prêtées au jeu.
Voici la proposition que j’ai préférée. L’Américaine Alice Wielinga a visité la Corée du Nord. Elle en a rapporté des photos de la vie quotidienne qu’elle a mariées à des images idylliques fabriquées par l’État pour vanter la grandeur du régime de Kim Jong-un. Jeu et diversion, ça définit bien ce qu’est la propagande.
Quelques œuvres sont interactives. C’est le cas de Block Bill Board de Catherine Laroche, qui a créé ce qu’elle considère comme la version concrète de nos médias sociaux virtuels. Elle offre la possibilité au citoyen d’exprimer quelque chose de personnel avec ses blocs colorés. On écrit bien des messages avec 140 caractères, dit-elle!
Ici une critique du capitalisme de Grier Edmunston. Dans le motif, on reconnaît le personnage du banquier du jeu Monopoly.
An Te Liu s’est aussi inspiré du Monopoly pour dénoncer la spéculation. La photo montre une demeure abandonnée que l’artiste a peinte en vert, comme les petites maisons du célèbre jeu de société dont on souhaite se départir au profit des hôtels rouges.
Avec Pseudo-moteur, Jérôme Dumais, de Rimouski, offre au visiteur la possibilité de se laisser aller à «rincer» un moteur sans nuire à l’environnement. Vroum, vroum comme disait l’annonce.
Et une dernière, spectaculaire et parfaitement dans le thème Jeu et diversion. Cette toile, Peinture canadienne IV, qui pastiche un Riopelle des années 50, a été réalisée par Marc-Antoine K. Phaneuf à partir d’un millier de cartes de hockey. L’artiste, qui est aussi poète (trois recueils chez Le Quartanier), a mis un soin méticuleux à placer les cartes de joueurs pour faire de son tableau une vaste partie de hockey presque cosmique.
Art Souterrain, c’est gratuit jusqu’au 26 mars. À la Gare Centrale, au 1000 de la Gauchetière, à la Place Bonaventure, à la Place de la Cité internationale OACI, à la Place Victoria, au Centre de commerce mondial, à l’Édifice Jacques-Parizeau, au Palais des congrès et au Complexe Guy-Favreau. Partez à l’aventure, le jeu en vaut la chandelle!
Coup de cœur pour Réparer les vivants
Un coup de cœur, c’est le cas de le dire. Le film Réparer les vivants de Katell Quillévéré, qui prend l’affiche cette semaine, raconte une histoire de don d’organe somme toute assez classique. Un adolescent en pleine santé meurt accidentellement. Son cœur prolongera la vie d’une femme.
Dans le roman très récent de Maylis de Kerangal qui a inspiré le film, l’action se déroulait sur une période de 24 heures. Au cinéma, ce n’est pas la course contre la montre qui domine. On est plutôt dans une sorte de lenteur. Un rythme qui permet d’aborder ce sujet grave avec délicatesse et en offrant tous les points de vue. Le spectateur a le temps de s’attacher à chaque personnage: du donneur à la greffée en passant par leurs entourages respectifs et bien sûr le personnel médical. Tout y passe. Le drame de parents atterrés qui doivent consentir à ce qu’on prélève les organes de leur fils pour sauver d’autres vies. La crainte de celle qui reçoit ce cadeau inespéré venant d’un inconnu. La délicate tâche des équipes médicales. Tout cela est magnifiquement lié par des images d’une grande poésie. Il n’en demeure pas moins que c’est un film chargé émotivement. Devant ces différents tableaux, je vous mets au défi de ne pas verser de larmes d’autant plus que les comédiens sont tous d’une justesse remarquable, notamment notre Anne Dorval dans le rôle de la receveuse.