L’internationale populiste
Avec l’assermentation prochaine de Donald Trump, la querelle européenne autour du Brexit et les élections françaises sur fond lepéniste, il faut reconnaître qu’une espèce d’internationale populiste s’est mise en place soudainement à la surprise quasi générale. Le hasard et le bon sens ont fait que le Canada demeure encore épargné, mais pour combien de temps?
Les éléments progressistes des sociétés occidentales ne pourront pas contrer ce mouvement populiste en méprisant tout ce qu’il représente. Après tout, même si on est pour le libre-échange ou l’ouverture des frontières, il faut reconnaître que les sacrifices et les misères de certaines classes de citoyens sont bien réels. Elles en ont ras le bol parce qu’on leur a demandé de tout avaler sans rien dire.
À ce titre, rappelons-nous d’ailleurs cette remarque éclairée de l’ancien premier ministre socialiste français Laurent Fabius, qui commentait la montée de Le Pen en ces termes: «Le Pen apporte de mauvaises réponses à de bonnes questions.»
Des vérités douloureuses
Si Trump ou Le Pen existent, c’est parce qu’ils ont parfaitement saisi les avantages politiques à tirer en exprimant des vérités parfois douloureuses que l’establishment politique a du mal à dire: sur l’Europe, sur l’immigration, sur le commerce international, sur l’internationalisme. On ne pourra donc contrer Le Pen, ou Trump, en rejetant tout en bloc. Il faut faire l’exercice de se demander: quelles sont les bonnes questions qu’ils posent? Et quelles sont nos réponses?
Si les États-Unis sont une superpuissance, c’est parce que depuis plus de 70 ans, leurs dirigeants ont inscrit le libre-échangisme au cœur de leur doctrine et qu’ils ont accepté de jouer au gendarme du monde. Cela leur a procuré des avantages immenses, mais il y avait un coût — qu’une partie de la population américaine ne veut plus payer. De même en Europe, où des segments importants des populations remettent en question des pans entiers de l’Union européenne pour exactement les mêmes raisons.
Les catégories politiques traditionnelles, la gauche et la droite, campent deux visions distinctes du rôle de l’État et de la justice redistributive. Or, les deux cataclysmes politiques de 2016 — l’élection de Donald Trump et le Brexit — signalent que le système politique des pays les plus libre-échangistes de la planète s’est brutalement reconfiguré entre un courant nationaliste et un courant internationaliste. Ce qui remet en question les fondements mêmes de tout ce qui a été construit depuis la Seconde Guerre mondiale.
Des armes efficaces
Il existe pourtant des armes efficaces. Dans une chronique courageuse publiée dans Le Nouvel Observateur cette semaine, l’essayiste Raphaël Glucksman dit fort justement que l’on repoussera l’internationale populiste non pas en reculant, mais en proposant plus — par exemple, en finissant le projet européen plutôt que de le laisser à moitié achevé.
Selon cette logique, il est probable sinon certain que la réponse à Trump n’est pas moins d’internationalisme, mais plus. La solution aux misères des classes moyennes américaines n’est pas un impossible retour en arrière, comme il le propose. Il faut dire et redire qu’on ne peut établir le libre-échange sans créer un système de redistribution: jusqu’à présent, on a réalisé l’un sans l’autre. Ce qu’il faut, c’est le libre-échange ET un véritable système d’imposition internationale sur les multinationales et les grandes fortunes privées.
Heureusement, il reste encore de fortes réserves de bonne volonté et de bon sens, malgré la victoire de Trump ou du Brexit, ou la montée d’une Marine Le Pen. Donald Trump ne représente pas la position majoritaire dans son pays: il s’est faufilé en profitant du suffrage indirect. Quant à Marine Le Pen, toute la classe politique française est tétanisée devant elle depuis cinq ans. Mais son soutien populaire, qui plafonne autour de 25% de l’électorat, ne laisse que 75% de la population qui ne pense pas comme elle…
Il n’est pas dit non plus que les classes sociales qui ont penché pour un Donald Trump ou pour le Brexit ne seront pas les premières à souffrir de leur décision.
Après la victoire...
Les tenants de la ligne populiste ont été les premiers surpris de leur succès. Les faces d’enterrement de Donald Trump et sa famille le soir de sa victoire en disaient déjà long sur son niveau d’impréparation. Au Royaume-Uni, la victoire du Brexit a suscité presque autant de démissions dans son propre camp que dans celui de ses opposants: on voulait bien dire n’importe quoi, à condition de ne pas gagner!
Évidemment, les réseaux sociaux ont joué un rôle puissant dans cette montée de l’internationale populiste. Ils ont donné une tribune médiatique directe à des idées qui n’auraient pas pu s’exprimer dans l’ancien système médiatico-politique. Et cette absence de filtre, qui confond idée et attitude, est justement le grand danger qui guette désormais nos sociétés.
Une des signatures de ces mouvements populistes est de mêler une libération de la parole avec des postures intolérantes (vis-à-vis des minorités, des étrangers, de ses adversaires). C’est une constante historique: le premier réflexe des populistes est toujours d’affirmer que tout est de la faute des «autres».
Cette intolérance est l’autre grande faiblesse de l’internationale populiste, peut-être le plus grand avantage de ceux qui s’opposent à elle. Espérons seulement que l’on saura contenir ce fléau avant qu’il provoque le pire.