Mise à jour économique du ministre des Finances

Tout ça pour ça

Ce n’est pas sans scepticisme que nous regardons le ministre des Finances Carlos Leitão jouer les grandes âmes avec sa mise à jour économique rendue publique mardi. Après avoir saigné le contribuable pendant deux ans, voici qu’il nous cuisine une belle brochette de prix de consolation.



Sa mise à jour économique annonce des investissements additionnels de 900 millions de dollars l’an prochain, dont un certain nombre seront récurrents: 400 millions pour le programme d’infrastructures, 300 millions en santé, 110 millions en éducation, 100 millions en développement régional et tourisme.

Cette bonne nouvelle s’appuie sur un excédent de 2,2 milliards de dollars constaté à la fin de la dernière année budgétaire il y a six mois. Le mot clé, «constaté», tiré du «Plan économique» du ministre, suggère une réalité que les ministres des Finances n’aiment pas admettre: un gouvernement ne contrôle pas vraiment ses entrées d’argent. En fait, quand on lit le document, il en ressort que le ministre n’a pas une idée nette de la raison de ce surplus. Pas plus d’ailleurs que les déficits ne peuvent s’expliquer que par les dépenses!

En principe, selon les prévisions, le dernier exercice financier devait se solder par un budget équilibré. Le fait que le ministre «constate» un surplus de 2,2 milliards démontre bien que ses opposants n’avaient pas tort de s’opposer à ses mesures d’austérité tous azimuts. Car si le gouvernement libéral s’était borné à contrôler les dépenses, l’augmentation «constatée» des revenus nous aurait amenés à l’équilibre budgétaire sans trop de sacrifices. Devant un tel «succès», il n’y a pas de quoi fouetter un chat!

La confection du budget de l’État n’est pas une science exacte; cela s’apparente davantage à de la cuisine. Une pincée de ceci, un doigt de cela. Au final, la seule certitude est que le ministre aime un budget salé plutôt que sucré.

Gérer le budget de l’État ce n’est pas comme gérer un budget de famille. Une famille dans le trou qui rembourse ses dettes fait des sacrifices qui n’engagent qu’elle. Les sacrifices du gouvernement engagent, eux, toute la population, à commencer par les plus mal pris.

Un gouvernement ne fait jamais «marche arrière» tout simplement parce qu’il est quasi impossible de remettre le dentifrice dans le tube. Les surplus actuels résultent de coupes importantes, et peut-être largement inutiles, dans des services qui n’existent plus parce qu’on a tué des centaines d’organismes qui dépendaient de petites subventions.

Le plan économique du ministre parle même d’améliorer «les soins à domicile, les soins en CHSLD et les soins dits intermédiaires, soit les soins spécialisés et ultraspécialisés». Il faudra plusieurs années de surplus pour rebâtir ce qui a été détruit à coup de sabre!

On serait rassuré de la volte-face du ministre Leitão si sa principale mesure sociale n’était pas réduite comme peau de chagrin. Car s’il promet 300 millions de dollars récurrents à la santé, il profite de son surplus pour couper de l’autre main la contribution santé et se priver de 250 millions de dollars de revenus — récurrents! Et nos résidents des CHSLD vont continuer de manger des patates en poudre et du jambon en conserve. On est loin du beau festin annoncé par Carlos Leitão.

Cette élimination de la taxe santé est d’autant plus incompréhensible que le «plan économique» du ministre dépend lourdement des transferts fédéraux — qui représentent 20% du budget total du Québec. Or on sait que le fédéral n’est pas chaud à l’idée de verser des transferts en santé qui servent à autre chose qu’à la santé — comme d’accorder des réductions d’impôt. L’élimination de la taxe santé à ce moment-ci risque-t-elle de conforter Ottawa dans sa résolution de ne pas toucher à ces transferts?

Avec un ministre des Finances aussi contradictoire dans la gestion de ses surplus qu’il l’a été dans les coupes, les Québécois auront besoin d’avoir la couenne dure encore quelques années.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.