La photo et vous
À voir les multiples photos circuler sur les réseaux sociaux, plus nombreuses encore que les vidéos, et l’importance qu’on leur accorde, je me dis que celui qui prédisait il y a quelques années la fin du 8e art, avalé par de nouvelles technologies, était dans le champ…
Il y a les clichés des frimousses de vos petits, celui de votre chat des quinze dernières années qui vient de s’éteindre et à qui vous rendez hommage, en noir et blanc, les visages chargés de promesses de vos défunts parents le jour de leur mariage, le vôtre, rondelet avec des yeux immenses, sur une photo aux couleurs délavées, au cœur de l’enfance, naïf et candide, avant les petits et grands drames…
Souvent, j’y vois ces images de vous en 2007, plus minces, plus chevelus, plus lisses, plus toutttttte, dans les débuts de Facebook, qui nous les retourne comme un disque qui saute, comme aussi, pourquoi pas, ce fameux Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, avant ses effets maléfiques, quand le dandy ressent une profonde jalousie à l’égard de la peinture de son propre portrait immortalisant jeunesse, beauté et hédonisme. Dans cet unique roman du grand Wilde, paru en 1890, le tableau se mettra à vieillir à la place de Dorian Gray, qui lui, ne prendra plus une ride, figé dans le temps jusqu’à ce que… (il faut lire le roman, absolument…).
De tout temps donc, dès les premières toiles peintes par les grands, jusqu’à l’avènement de la photographie, figer dans un instant précis des êtres et des situations témoigne d’une certaine magie, fascine, émeut, instruit, élève, choque, révélant ainsi la grande nécessité de l’art photographique, ne serait-ce que d’un point de vue historique, sociologique ou anthropologique.
Au-delà de l’image qui éveille en nous des sensations, il y a celle ou celui qui crée cet effet, le photographe-chasseur d’instants-kodak, créateur d’émotions par excellence, l’acteur en coulisses qui transmet un message, qui cherche à provoquer quelque chose chez celui qui verra ce que lui a d’abord observé et capturé savamment; entre l’ombre et la lumière, entre un geste et un autre, attrapant la nanoseconde qui ne reviendra jamais jamais jamais. Obsédés que nous sommes, simples mortels, par le passage du temps, par notre fin inéluctable, voilà une raison de plus pour expliquer la pérennité de cet art.
L’indémodable pouvoir du cliché
En plus des célèbres photos qui ont fait jaser ces derniers jours – la censure puis l’acceptation par Facebook de la photo de Nick Ut Cong Huynh (prix Pulitzer en 1972) de la petite fille nue brûlée au napalm et courant dans la rue pendant la guerre du Vietnam, les célèbres clichés de la tragédie du 11 septembre 2001, dont celui de Richard Drew qui montre cet homme se jetant d’un des plus hauts étages de la tour nord du World Trade Center–, trois expos majeures sont présentées en ce moment à Montréal et valent le détour.
D’abord le World Press Photo, qui se déroule jusqu’au 2 octobre au Marché Bonsecours dans le Vieux-Montréal et qui, pour une onzième année, présente les photos gagnantes de la plus prestigieuse compétition professionnelle en photojournalisme au monde.
En sortant de l’événement, un ami écrivait en fin de semaine dernière sur sa page Facebook: «Si vous entrez dans cette expo en croyant en un Dieu juste et bienfaiteur, vous risquez d’en sortir athées.» Chaque année, j’en ressors bouleversée, désireuse de changer le monde, un peu plus cynique, malheureusement, et grincheuse pour plusieurs heures. En matière d’arts visuels, selon moi, il n’y a rien de plus «rentre-dedans» que ça en ce moment à Montréal.
Des photos qui chauffent les fesses
Il faut aussi mentionner que les photographies de feu Robert Mapplethorpe, présentées pour leur part au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 22 janvier dans l’expo Focus: Perfection - Robert Mapplethorpe, peuvent être assez confrontantes elles aussi, surtout les photos d’éphèbes vêtus de cuir prises dans des poses sexuelles et dans lesquelles on y voit très clairement des attributs, des actes, des objets…
Mort du sida en 1989, Mapplethorpe a été censuré, répudié, accusé d’obscénité pour ces photos, que lui-même ne jugeait pas destinées à tous les publics. Bien sûr, elles ne sont pas toutes aussi «crues» – les plus fiévreuses d’entre elles sont placées dans des sections «spéciales» de l’expo –, mais le travail de Mapplethorpe en est surtout un qui, sans être voyeur ou racoleur, loin de là, cherchait à montrer ce qu’on ne révélait jamais, en lui donnant une vie, une esthétique singulière, un aspect de la sexualité envisagé comme œuvre d’art aussi. En ce sens, comme en celui de l’ouverture du créateur, de sa manière de rendre grâce à la différence des genres et à la multiplicité des possibles sexuels, il a contribué indubitablement aux avancées idéologiques sur l’homosexualité. Il y a dix ans seulement, aurions-nous pu présenter une telle exposition, ne serait-ce que trouver des commanditaires? J’en doute…
Cheeeeezzzzz, les femmes!
Bien que jamais assez, du chemin, on en a aussi fait du côté des combats pour la cause des femmes, menés par plusieurs groupes, notamment par la précieuse maison d’édition Remue-ménage, qui, depuis 1976, publie des ouvrages destinés à mettre de l’avant la pensée féministe.
Jusqu’au 2 octobre, à l’Écomusée du fier monde, rue Ahmerst, l’expo 40 ans deboutte présente, entre autres, des photos témoignant de ces années à se tenir «deboutte» contre vents et marées, entre les chaudrons, les flos, les préjugés, le machisme ambiant, les lois, les préjugés, les stéréotypes, la violence, alléluia!
À travers ces photos (il n’y a pas que ça), c’est l’histoire de nos grands-mères, celle de nos mères, la nôtre – et l’espoir de choses encore meilleures pour celles qui nous poussent –, qui brille. Ici aussi, les photos «rentrent-dedans», mais pour la douceur, la tendresse et les fleurs bleues, faudra repasser. Des cadeaux enveloppés dans des gants de boxe, n’est-ce pas ce que devrait être le résultat de ces clics sur les réseaux sociaux comme dans les musées? Sinon, les rayons des pharmacies regorgent de cartes Hallmark pour se faire conter fleurette.
JE CRAQUE POUR…
Ce récent sondage révélé notamment par La Presse et réalisé auprès de 930 célibataires québécois par le site de rencontres Elite Singles.
Le constat: 42% des utilisateurs disent trouver les amateurs de lecture plus séduisants! J’aime ce chiffre. Reste à savoir si on les préfère parce que pendant qu’ils lisent, ils sont silencieux et immobiles, plus sécurisants donc pour les jaloux. Or, lire, c’est aussi connaître des aventures pas mal plus excitantes dans la fiction que dans la réalité, incluant tout ce que ça rend d’accessible… Gnac gnac gnac…