Écrivain public: le poids de votre crayon
Vous êtes-vous déjà demandé si vous étiez vraiment utile pour la société à travers votre travail? Vraiment vraiment utile? J’adore mon boulot – qui n’en est même plus un à force d’être une passion –, mais je me pose cette question tous les jours, regrettant parfois de ne pas être devenue médecin (je sauverais des vies), policière (j’attraperais des vilains), travailleuse sociale (j’écouterais, j’agirais), éducatrice en garderie – ok, non, elles sont au top de ma liste de gens utiles et sous-payés, à mon avis (c’est un autre sujet…) –, je les béatifierais, mais je n’aurais JAMAIS leur patience. Que me reste-t-il? Devenir écrivaine publique. Bingo.
C’est ce qu’a fait Michel Duchesne pendant deux ans dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Il fait paraître ces jours-ci L’écrivain public, un premier roman dans lequel il raconte, à travers Mathieu, un narrateur dans la trentaine, son quotidien à ce poste dans un centre communautaire central montréalais: écrire des lettres, lire des contrats, remplir des formulaires pour ceux qui appartiennent au 1 million d’adultes analphabètes présents au Québec. Un service gratuit, il va sans dire. Les premières pages du livre de Duchesne ont même été adaptées en une websérie éponyme primée, disponible sur tou.tv et sur le site de TV5 avec le très talentueux et crédible Emmanuel Schwartz dans le rôle de Mathieu. Dans la websérie comme dans le roman, on suit les rendez-vous du scribe moderne avec ses clients dont certains, on l’imagine, ont des demandes aussi farfelues qu’écrire une lettre d’amour à une femme pour la reconquérir après l’avoir trompée. Oh que j’en aurais du plaisir à rédiger ce genre de missive…
Donneurs de mots, donneurs de cœur
Il y a aussi son ex, sa fille, son patron, ses collègues, son monde, mais l’essentiel concerne sa job d’écrivain public, qui, bien qu’existant ici et là en Europe, certainement en France et en Belgique, avec même des programmes d’études pour l’exercer dans les règles de l’art, est à peu près absent ici, du moins à ma connaissance, ou éclairez mes lanternes si je me trompe. Je me souviens de l’événement Les Donneurs, dans Lanaudière, organisé chaque année par l’écrivain Jean Pierre Girard, qui invitait des écrivains québécois à offrir leurs services de rédaction. Qu’est-il donc advenu de ce précieux rendez-vous? S’il y a des dérivés des Donneurs ou d’écrivains publics, dans Lanaudière, ou ailleurs au Québec, pourquoi n’en entendons-nous pas plus parler? Internet et la force des réseaux sociaux m’apparaissent d’ailleurs d’une redoutable efficacité pour joindre plus de gens que jamais, dans un contexte discret qui peut sembler plus invitant pour tellement d’analphabètes gênés de se dévoiler sur la place publique. Je me souviens de la mère d’une amie d’enfance qui avait inventé un tas de subterfuges et de comportements particuliers pour éviter de dévoiler ses lacunes en lecture et écriture. J’imagine aujourd’hui à quel point ce service lui aurait évité des sueurs froides.
Bien qu’agréable à lire, bien écrit, drôle par moment, touchant à d’autres, dans ce billet, ce roman de Michel Duchesne ne sert que de prétexte pour remettre sur la table l’importance du métier datant d’aussi loin que l’Antiquité, et qui, j’en suis absolument certaine, saurait être utile à une moitié de la population d’ici qui ne maîtrise toujours pas assez bien la langue pour faire son cv, écrire son testament ou ne serait-ce qu’inscrire son enfant sur l’interminable liste d’attente des CPE, puis peut-être plus tard lire le bulletin dudit enfant…
Le premier qui crée un service d’écriture public sur Facebook méritera mon affection la plus chère. Si nul ne se lance, je le ferai. Être utile en donnant un peu de soi avant de quitter ce monde, n’est-ce pas ce à quoi on devrait tous aspirer?
Célibataires et nonos
Avez-vous regardé le beau programme Célibataires et nus diffusé sur MusiquePlus? Je suis gênée. Gênée pour celles et ceux qui y participent en y racontant des niaiseries qu’on ne saisit souvent qu’à moitié tellement le langage est négligé, les comportements sexuels vulgaires, stéréotypés et malaisants. C’est pire que tout ce qui s’est fait en téléréalité ces dernières années et qui faisait déjà couler tellement d’encre à l’époque du bain-tourbillon pas toujours propre propre de Loft Story. Que messieurs se promènent quéquette à l’air et que mesdames montrent leurs seins, allant même jusqu’à dire le poids de chacun passe encore, mais qu’on en fasse une saison télé en présentant chaque semaine ce grand vide abyssal de l’esprit me semble surréaliste. Ça se passe chez nous? Des gens en sont rendus là? Je me pince encore.
JE CRAQUE POUR…
La pluie entre nous, nouvel album de l’auteure-compositrice-interprète Catherine Durand. Disponible à compter du 9 septembre, cette merveille réalisée par Emmanuel Éthier, bercée par le talent d’amis musiciens comme José Major, Joe Grass, Salomé Leclerc et Ariane Moffatt, raconte à chaque chanson, comme autant de courtes nouvelles littéraires prenantes, l’amour fragile, l’impermanence des liens du cœur, la volatilité des unions, etc. Un grand cri de lucidité qui, à défaut de nous réconcilier avec l’amour au 21e siècle, nous prouve que les meilleurs artistes sont encore là pour nous raconter comment tenter d’y faire face. Somptueux travail de dentellière.