La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Alanis Obomsawin au MAC: difficile, mais nécessaire

La grande entreprise de réconciliation entre les peuples autochtones et le reste de la population du Canada ne passe jamais mieux que par l’art. Les Premiers Peuples ont l’occasion d’y montrer le meilleur d’eux-mêmes, et les Blancs, de réaliser tout ce qu’ils ont manqué de cette grande richesse culturelle en niant leur existence. Dans mon cas, l’exposition Les enfants doivent entendre une autre histoire consacrée à Alanis Obomsawin, qui vient d’ouvrir au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), a eu le même effet que l’exposition d’Alex Janvier au Musée des beaux-arts d’Ottawa, le film Kuessipan de Myriam Verreault, les livres Kukum de Michel Jean et Je marche contre le vent de Florent Vollant. Pas toujours facile, mais nécessaire.



La rétrospective Obomsawin a pris l’affiche dans les locaux du MAC à Place Ville Marie le 26 septembre. Elle est arrivée à temps pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre (depuis 2021, cette journée est fériée dans les institutions fédérales).

La rétrospective Obomsawin est à l’affiche dans les locaux du MAC à Place Ville Marie.

 

Il y a dans cette exposition, préalablement présentée à Berlin, Vancouver et Toronto, la conjonction des deux grands défis que nous avons en regard de notre rapport aux Autochtones: l’obligation d’entendre la vérité et la nécessité de se réconcilier.

Il y a dans cette exposition l’obligation d’entendre la vérité et la nécessité de se réconcilier. Photo: Claude Deschênes

Alanis Obomsawin est l’exemple parfait d’une artiste qui a passé sa vie à nommer sa réalité d’Autochtone pour soustraire ses semblables de l’ostracisme ambiant, et de le faire dans une approche d’espoir et de paix.

C’est au cinéma que cette Abénaquise de la réserve d’Odanak, sur les bords de la rivière Saint-François, a surtout fait entendre sa voix. On lui crédite 64 films en carrière, tous réalisés à l’Office national du film (ONF). Ils lui ont valu une notoriété sans pareille à travers le monde. Cette icône du cinéma autochtone a d’ailleurs toujours son bureau au siège social de l’ONF à Montréal, où elle se rend régulièrement travailler, à l’âge vénérable de 92 ans.

Cette icône du cinéma autochtone a toujours son bureau au siège social de l’ONF à Montréal, où elle se rend régulièrement travailler, à l’âge vénérable de 92 ans. Photo: Julie Artacho

La rétrospective est donc principalement basée sur des projections de ses films. Les organisateurs de l’exposition, Richard Hill et Hila Peleg, ont retenu 13 films sur les 64 réalisés par Obomsawin.

La rétrospective est principalement basée sur des projections de ses films. Photo: Claude Deschênes

On voit comment son discours s’est transformé au fil des ans, passant de matériel pédagogique expliquant la vie sur les réserves, à des contes fantastiques inspirés de la culture autochtone, jusqu’aux documentaires fracassants, notamment sur les événements de Restigouche en 1981 ou la résistance de Kanehsatake en 1991.

L'affiche du documentaire sur la résistance de Kanehsatake en 1991. Photo: Claude Deschênes

Il est assez troublant de revoir les événements d’Oka tels que filmés par Alanis Obomsawin cette année-là. Deux ans après que les tanks de l’armée chinoise eurent foncé sur des manifestants sur la place Tiananmen, le même scénario se reproduisait chez nous avec les chars de l’armée canadienne.

L’exposition nous permet de constater que la violence des Blancs à l’égard des Autochtones n’a pas toujours été aussi tonitruante que lors de ces deux grandes crises ultras médiatisées. Elle a été souvent sourde.

Au fil du parcours, les films d’Alanis Obomsawin, les entrevues qu’elle donne, les discours qu’elle prononce témoignent d’un combat incessant pour exister.

Qu’on pense aux maladies qui décimaient les gens de sa race (très jeune, la tuberculose lui a enlevé ses cinq frères et sœurs ainsi que son père), ou aux humiliations qu’elle a subies étant la seule «sauvagesse» de sa classe au couvent.

Il faut la voir, alors qu’elle est devenue une aînée, ravaler ses sanglots lorsqu’elle évoque dans un discours un souvenir douloureux qu’elle a pourtant porté à l’écran en 2010 dans un film autobiographique intitulé Quand toutes les feuilles seront tombées. On ressent de la culpabilité à l’écouter.

L'entretien accordé à Denise Bombardier en 1983. Photo: Claude Deschênes

On se sent aussi mal en visionnant un entretien accordé à Denise Bombardier en 1983 dans la foulée des négociations pour inclure les Autochtones dans la Constitution. Le peu d’empathie de l’animatrice à l’égard des réserves d’Alanis Obomsawin devant cette prétendue avancée constitutionnelle donne froid dans le dos. L’émission s’intitulait Noir sur blanc et avec notre regard d’aujourd’hui, il n’y a aucun doute, cette entrevue manquait de nuances. C’était l’époque….

À travers cette offre de documents vidéo bouleversants, on peut se raccrocher à quelques belles œuvres picturales qui mettent en valeur les talents d’artiste visuelle de cette femme polyvalente.

Mère de tant d’enfants III et VII. Gravures d’Alanis Obomsawin, 2004. Photo: Claude Deschênes

Pour rendre hommage au legs de la battante qu’a toujours été et continue d’être Alanis Obomsawin, on a demandé à Caroline Monnet, artiste anichinabée par sa mère et française par son père, de réaliser une murale sur l’impact de sa contribution.

Wabigon, murale de Caroline Monnet que l'on peut voir dans le corridor de la galerie marchande de Place Ville Marie. Photo: Claude Deschênes

L’œuvre, qu’on peut voir dans le corridor de la galerie marchande de Place Ville Marie, à côté de l’entrée du MAC, met en scène huit femmes autochtones et une enfant dans une forêt enchantée, vêtues de leurs plus beaux atours.

Détail de «Wabigon» avec la chanteuse Elisapie. Photo: Claude Deschênes

Les femmes représentées sont chacune un exemple de réussite dans leur domaine, qu’on pense à la chanteuse inuit Elisapie, à Swaneige Bertrand, la cheffe de la Première Nation Acho Dene Koe dans les Territoires du Nord-Ouest, ou à la soprano innue Elisabeth St-Gelais.

Comme quoi il y a de l’espoir.

Détail de «Wabigon» avec Elisabeth St-Gelais. Photo: Claude Deschênes

D’autres propositions d’art autochtone et inuit

Manasie Akpaliapik. Univers inuit, Musée McCord

Le Musée McCord vient d’ouvrir Manasie Akpaliapik. Univers inuit, une exposition mettant en vedette le travail de cet artiste du Nunavut reconnu pour ses sculptures en os de baleine, en bois de caribou et en pierre blanche.

Le Musée McCord vient d’ouvrir une exposition mettant en vedette le travail de Manasie Akpaliapik, artiste du Nunavut. Photo: Claude Deschênes

Deux œuvres autochtones

Le 30 septembre dernier, Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, la Commission des champs de bataille nationaux dévoilait à Québec deux œuvres qui viendront marquer de façon permanente la présence autochtone au cap Diamant. Des perles en mémoire, de l’artiste wendat Ludovic Boney, représente les perles utilisées dans la confection de colliers tissés, alors que la statue de bronze Les trois sentinelles de 7IDANsuu James Hart, de la nation Haïda, est un rappel des sentinelles qu’on retrouve au sommet des totems.

C’est la première fois depuis 1938 que la Commission des champs de bataille nationaux se porte acquéreur d’œuvres d’art public.

Des perles en mémoire, de l’artiste wendat Ludovic Boney. Photo fournie par Commission des champs de bataille nationaux

Une nouvelle œuvre numérique au MBAM

Depuis le 1er octobre, une nouvelle œuvre numérique est projetée à la tombée du jour sur la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein du Musée des beaux-arts de Montréal. Intitulée ulitsuak/marée montante/rising tide, elle est le fait de l’artiste Glen Gear, d’ascendance inuit et terre-neuvienne.

ulitsuak/marée montante/rising tide. Photo: courtoisie MBAM

Premiers jours. Œuvres autochtones de la Collection McMichael d’art canadien, Musée national des beaux-arts du Québec

À compter du 17 octobre, le Musée national des beaux-arts du Québec accueillera Premiers jours. Œuvres autochtones de la Collection McMichael d’art canadien, une exposition qui rassemble des éléments d’art historique et des œuvres d’artistes contemporains comme Norval Morrisseau, Nadia Myre, Kent Monkman et Caroline Monnet.