Livres de la semaine
Vénérables de Jacques Nadeau
Vénérables, du photojournaliste Jacques Nadeau, va bien au-delà du beau livre de photos, c’est carrément une œuvre poétique. En choisissant d’aller à la rencontre de 80 personnes de tous horizons et toutes âgées entre 75 et 105 ans pour saisir leurs regards, écouter ce qu’ils racontent, revoir leur parcours, Jacques Nadeau, avec ses photos extraordinaires et ses textes sobres, parfois écrits par un proche de l’interviewé, nous livre ici l’authentique poésie, celle de l’âme et du cœur, celle qui parcourt les êtres humains à fleur de peau, celle capable de suivre une ride pour y voir le chemin de la vie.
J’ai été profondément touchée, émue par ce livre magnifiquement édité par Cardinal et qui rend bien tout le talent de Jacques Nadeau qui, depuis 50 ans, arpente Montréal et l’actualité, saisit les êtres humains dans toute leur complexité et leur humanité.
Au fil des pages, on y retrouve des personnalités qui ont marqué le Québec, comme Kim Yaroshevskaya, en couverture du livre, qui vient de souffler ses 101 bougies, le sculpteur Armand Vaillancourt, l’artiste Françoise Sullivan, l’auteur Jacques Godbout, Fernand Dansereau, des comédiens comme Béatrice Picard et Marcel Sabourin, l’architecte Phyllis Lambert, des artistes, et d’autres personnes moins connues, mais qui ont œuvré, des médecins, infirmières et des gens ordinaires qui ont, comme le souligne Jacques Nadeau en introduction, cet immense courage d’avoir passé au travers tous les aléas de la vie, le courage de vieillir et d’aimer encore la vie, et pour bon nombre, d’y être encore très actifs.
Il y a des perles tant dans les photos que dans les textes. On y voit des regards si habités, des visages si attendris par les années et si pleins de vie et de dignité! Photographiées cheveux au vent, devant un chevalet, un piano, un livre, un arbre, dans un jardin, sur un lit ou un fauteuil, au bras d’un conjoint ou seules, toutes ces personnes ont un point commun (sauf peut-être Gilles Archambault qui, on le sait, n’aime guère les vicissitudes du grand âge): un immense amour de la vie qui refuse de se tarir, qui les fait continuer leur chemin.
«La vieillesse n’est pas là pour nous apprendre à mourir mais pour nous apprendre à vivre.»
– Joan qui, à 92 ans, enseigne toujours le yoga au centre qu’elle a fondé.
«Mais je suis maintenant à un tournant où je dois me réinventer une vie, et, oui, reconnaître enfin que je suis vieille… à 91 ans. […] Je me dis qu’au printemps, il faudrait que je prenne des mesures énergiques pour me réinventer une vie.»
– Élisabeth Gallat-Morin
Le regard à la fois vif et tendre du sculpteur Raymond Barbeau, 91 ans, posé devant un arbre, est une ode à la vie. Cette photo, à elle seule, témoigne du talent de Jacques Nadeau. Et il y a Maria, qui dit garder ceux qu’elle a aimés et qui sont partis dans son cœur. «C’est mon cimetière…»
Et Jean Robert, un pilier de la médecine communautaire au Québec, émouvant de fragilité et de force dans son jardin. Et il y a Céline, 87 ans, et Ovid, 104 ans, qui se promènent encore main dans la main, amoureusement, et Yvette, arrivée de son Haïti natal à 22 ans et qui a ouvert la résidence en pédiatrie à Sainte-Justine. Cette pédiatre hématologue a réalisé la première greffe de moelle osseuse, sur une fillette de 12 ans. Et puis il y a Martin, 90 ans, qui malgré une chute il y a quelques années, s’est remis à la course à pied, et Louis qui, à 93 ans, s’intéresse encore, comme à ses 22 ans, à l’environnement et qui, avec sa conjointe et leur fondation, cherche à faire préserver l’habitat des bélugas par l’UNESCO. Et puis ces quatre amis adorables, Ilon, Yolande, Karl et Élise, qui se retrouvent au parc pour refaire le monde et écouter Karl jouer de l’accordéon, tous unis par un esprit d’entraide, ou encore Dilma, qui était sage-femme en Uruguay et qui est toujours infirmière dans un hôpital de Montréal à 77 ans. Et il y a ceux qui vivent en résidence et s’y sont fait des amis et une nouvelle vie.
«Je suis dépendant de mon désir de créer et de travailler tout le temps.»
– Le sculpteur André Fournelle, 83 ans
«Je vivrais encore 700 ou 800 ans! Le plus important aujourd’hui? La santé, la famille, les petits Être ensemble, manger ensemble, rester côte à côte.»
-Le comédien Marcel Sabourin, qui se tient encore amoureusement auprès de sa Françoise.
Et finalement, je m’arrête sur cette phrase d’une des protagonistes de cet album incomparable:
«Quel privilège, quel savoir-faire dans la capture de ces humeurs humaines, Monsieur Nadeau. Vous avez créé pour moi, un tout petit moment à retenir, mon visage qui comptabilise les années et qui m’étonne car je le regarde avec les yeux d’une jeune insouciante.» – Tecia Werbowski
Elle résume bien l’esprit de cet ouvrage et l’immense talent de Jacques Nadeau. C’est un livre cadeau à offrir, un livre pour la table à café, pour que les invités jeunes et moins jeunes le parcourent, un livre hommage à la vie que je vais conserver longtemps. Merci Jacques!
Vénérables, Jacques Nadeau, Cardinal, automne 2024, 224 pages, 42,95$
Jacques Nadeau a travaillé plus de 50 ans pour différents médias canadiens et américains, dont près de 30 ans au quotidien Le Devoir, en plus d'avoir enseigné à l'Université de Montréal. Il a fait paraître quelques ouvrages, notamment Québec, quel Québec? (2003 Fides), Jacques Nadeau 2017 Toute l'actualité québécoise en photos, (Fides), Covid-19 100 jours du grand confinement (Éditions de L'Homme, 2020). Nous avons eu le plaisir de le recevoir lors d'un de nos Rendez-vous Avenues.ca comme conférencier Passion photo avec Jacques Nadeau en 2018 et avons eu le privilège de publier une galerie photo de ses photos: 12 photos coup de cœur de Jacques Nadeau en 2020 que vous pouvez revoir en cliquant ici.