La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

#ToutesLesFemmes risquent de finir dans les bois

Au moment où j’écris cette chronique se déroulent devant plus de 1500 personnes, en France, les obsèques de la jeune Philippine, étudiante de 19 ans dont le corps a été retrouvé enseveli dans le bois de Boulogne à Paris. Un suspect a été arrêté.



Chez nous, on venait tout juste de retrouver dans les bois (encore!), à Hemmingford, le corps enseveli sous la terre de Kelsey Watt. Elle avait 29 ans, se réjouissait d’être maman, aimait chanter et donner des représentations avec sa voix d’or, aux dires d’une connaissance et à la lumière émouvante de photos publiées en ligne. Son fiancé a été arrêté.

Seulement quinze jours avant ce drame, une dame de 71 ans avait été assassinée par son conjoint dans un appartement montréalais.

On dénombre déjà davantage de meurtres en contexte conjugal cette année qu’en 2023 au Québec, ce qui constitue un autre signal d’alarme dans la lutte contre la violence conjugale.

On dénombre déjà davantage de meurtres en contexte conjugal cette année qu’en 2023 au Québec. Photo: Claudia Soraya, Unsplash

Dans son texte intitulé #NotAllMen, mais qu’allez-vous faire pour arrêter les autres?, Florence-Olivia Genesse, candidate au doctorat en droit, experte en infractions sexuelles à l’Université de Durham et cofondatrice de The Sis, revenait, entre autres, sur l’affaire des viols de Mazan, en France, sur l’assassinat de Kristina Joksimovic, ancienne finaliste du concours Miss Suisse, dont le mari aurait mis à broyer ses restes dans un mixeur, et sur la championne olympique Rebecca Cheptegei, brûlée vive par son partenaire au Kenya.

Les exemples sont infinis partout dans le monde, sans compter tous ceux dont on n’entendra jamais parler. Et ils sont nombreux.

Dans son postulat, Genesse soulève la question du #NotAllMen ou #PasTousLesHommes, proclamé par certaines personnes à la défense des hommes se sentant visés par des discours qui généralisent la responsabilité des hommes dans les féminicides. Selon elle, ce slogan est une forme de déresponsabilisation des hommes quand vient le temps de parler de violence faite aux femmes. Je crois aussi que ça porte ombrage au nerf de la tragédie.

C’est tout de même étrange de devoir réajuster le tir, les rassurer en précisant chaque fois que ce ne sont pas tous les hommes qui tuent. Bien sûr que d’une manière rationnelle et pragmatique, on le sait que ce ne sont pas tous les hommes qui tuent. Mais ceux qui tuent sont presque toujours des hommes, et partout dans le monde et à toutes les époques, des femmes ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes.

Nous sommes toutes ensemble dans la posture de la victime potentielle, toutes ensemble à devoir nous tenir. C’est ce qu’on appelle la sororité. Certaines sont agressées, certaines sont tuées, d’autres survivent, en recevant la douleur et la peur en héritage. Nous sommes toutes des proies potentielles et, dans le contexte précis des féminicides, nos bourreaux sont des hommes. Inutile de jouer sur les mots et de ménager les susceptibilités. Il est temps de faire face aux violons tout le monde ensemble et, pour ça, les hommes doivent accepter de faire partie de la mêlée avec les plus fêlés des leurs.

Pour changer la mesure et faire contrepoids aux actes des fêlés, donc, les hommes doivent intervenir davantage – ils sont où? –, faire front commun pour prendre position, sortir, dénoncer, agir, faire pression sur les gouvernements. Nous n’y arriverons qu’avec eux, puisqu’à nous seules, l’actualité criminelle le démontre encore et toujours, nous ne sommes pas entendues. Pas suffisamment, du moins, étant donné que les statistiques ne baissent même pas.

La pauvreté, l’immigration, le manque criant de lieux d’hébergement pour femmes en difficulté, la stigmatisation de certaines plus que d’autres pour des questions liées à leurs origines, leur genre ou leur orientation sexuelle, le manque de ressources en santé mentale, ne font qu’accroître la vulnérabilité des femmes.

La perpétration d’autant de féminicides témoigne de l’existence manifeste d’une crise de santé publique. Il en va de la responsabilité de tous d’agir, en commençant par se lever, exercer divers moyens de pression auprès des gouvernements pour des lois plus dissuasives, davantage de soutien pour les ressources d’aide, etc.

Pendant ce temps, le gouvernement Legault octroie une subvention de 480 000$ pour que la Ligue nationale de hockey (LNH) participe en février, à Montréal, à la nouvelle Confrontation des 4 nations. J’en entends me dire que ça n’a rien à voir. Je pense qu’au contraire, en ce moment plus que jamais, ça a tout à voir, que de ne pas reconnaître les priorités nationales quant à la sécurité de la moitié de la population est aussi une forme de déresponsabilisation.