La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Bienvenue au Kazakhstan!

Marie-Julie se trouve actuellement en Asie centrale pour réaliser un vieux rêve: parcourir une partie de la mythique route de la soie. Au programme: le Kirghizistan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. Deuxième épisode d’une série de quatre.



De mon perchoir, j’ai une vue imprenable sur le Marché vert (ou Zelyony Bazar) d’Almaty. Juste en bas, un vendeur posté devant son étal rempli de fruits équeute des fraises. Sur son kiosque, pastèques et ananas ont comme socle de petits pots, à la manière de plantes décoratives. Devant lui, un homme presse inlassablement des pommes grenade. Résisterai-je aux loukoums de son voisin?

De mon perchoir, j’ai une vue imprenable sur le Marché vert (ou Zelyony Bazar) d’Almaty. Photo: Marie-Julie Gagnon

Plus loin s’alignent les noix et les fruits séchés. Deux femmes voilées semblent s’ennuyer ferme devant leurs raisins, leurs pommes et leurs oranges. Je vois des images s’animer sur l’écran du cellulaire de l’une d’elles. Il faut dire qu’il est à peine 9h30. Bien peu de passants s’arrêtent tâter les fruits en ce dimanche matin.

Bien peu de passants s’arrêtent tâter les fruits en ce dimanche matin. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je lève la tête et constate qu’un nouveau client a pris place au salon de thé d’en face. Je ne vois pas son visage, caché par un immense bol.

Je me sens toujours un peu coupable d’avoir des envies bien occidentales en voyage. Mais ce flat white – le premier digne de ce nom en huit jours – est en train de me ressusciter. Non, je ne me suis pas encore totalement adaptée au décalage horaire. D’autant plus que j’ai traversé un autre petit fuseau depuis le Kirghizistan. Dans quel sens, déjà? Oui, ma boussole interne est complètement détraquée.

On voit l'endroit où j'ai bu mon café en haut à droite. Photo: Marie-Julie Gagnon

Quelques minutes avant de repérer ce café à la mezzanine, j’ai traversé la boucherie. Il m’est plus difficile de supporter l’odeur émanant de ces étals que la vue des pièces de viande. J’ai rapidement bifurqué vers l’allée des vêtements. La plupart des boutiques étaient fermées. Devant l’une des rares où déambulaient déjà des clients, une rangée de demi-mannequins en legging m’a fait sourire. Un ballon glissé sur le ventre de l’un d’eux démontrait bien l’élasticité du collant pour futures mères. Félicitations, l’enfant à naître aura la couleur de notre planète et une plastique parfaite.

La rangée de demi-mannequins en legging qui m’a fait sourire. Photo: Marie-Julie Gagnon

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Alors, le Kirghizistan, visité juste avant? En résumé: russe, rustique, intrigant et par moment un peu déstabilisant. Sous le soleil, tout paraît plus accueillant, même la froideur de l’esthétique soviétique, encore bien visible tant dans l’architecture que dans l’art public.

Les gorges de Semenov. Photo: Marie-Julie Gagnon

Si j’ai aimé explorer le canyon Konorcheck (soyez prévenus: certains tronçons du sentier ont des barrières de pierre qu’il faut franchir en s’accrochant à une corde), j’ai surtout aimé aller me balader du côté des gorges de Semenov, puis de la vallée de Jety-Oguz, dans la vallée des Sept taureaux, à environ 25 km de Karakol. C’est de là-bas que partent les trekkeurs à la conquête des hauts sommets des alentours.

Le canyon Konorcheck. Photo: Marie-Julie Gagnon

Sept rochers ocre attirent tout de suite l’attention. Selon la légende rapportée par l’écrivain russe Ivan Sergeevič Sokolov-Mikitov à la suite de sa rencontre avec les peuples nomades, un roi aurait enlevé la femme d’un autre souverain, déclenchant ainsi la guerre entre leurs clans. Ne pouvant se résoudre à rendre la belle à son roi, le voleur élabora un plan machiavélique pour mettre fin aux affrontements. Il organisa un festin où sept taureaux furent sacrifiés. Au moment où la dernière bête a été assassinée, il enfonça un couteau dans le cœur de la jeune femme, qui fut ensuite rendue à son rival. On raconte que des torrents de sang se sont écoulés dans la montagne, contaminant ainsi les sources de la vallée. Tous les invités du banquet et les membres du clan du roi voleur seraient passés de vie à trépas, empoisonnés.

En empruntant le sentier qui mène au meilleur point de vue sur la vallée, je me suis demandé si la femme kidnappée avait aimé l’un ou l’autre de ces deux rois.

La vallée de Jety-Oguz. Photo: Marie-Julie Gagnon

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Dès qu’on franchit la frontière du Kirghizistan – à pied, dans notre cas, avant de prendre un autre autobus de l’autre côté –, l’état des routes démontre bien ce qu’on lit partout: le Kazakhstan est riche. À lui seul, le pays concentre près de 50% du PIB de l’Asie centrale. Pétrole, gaz naturel, uranium, fer, charbon… Son sous-sol suscite la convoitise de ses voisins.

Le Kazakhstan semble aussi bien déterminé à attirer davantage de touristes. L’amélioration de l’état des routes est le premier élément notable pour quiconque a roulé dans les pays environnants.

Le canyon de Charyn. Photo: Marie-Julie Gagnon

Nous faisons escale au canyon de Charyn, dans la vallée des Châteaux. Quelle beauté! Encore mieux: peu de touristes y affluent. Il est encore possible d’entendre son murmure – et quelques humains qui testent son écho, en bas. Si j’ai eu le temps de parcourir seulement le sentier le plus accessible, au sommet, je recommande à quiconque de prendre aussi le temps de descendre pour l’admirer d’en bas.

Après la promenade, plus de trois heures de route nous séparent de la capitale.

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Almaty a des airs de paysanne exilée. C’est du moins la première impression – bien superficielle, j’en conviens – que me donne l’ancienne capitale malgré son histoire elle aussi très riche. Entourée de montagnes enneigées, l’ancienne oasis de la route de la soie a été dévastée par les Mongols bien avant que les Russes en fassent un poste-frontière en 1854. Puis, dans les années 1970 et 1980, Moscou a transformé la ville, souhaitant la rendre digne d’une république soviétique. On voit encore de nombreuses traces de cette époque.

Aujourd’hui qualifiée de «plus européenne» des villes du Kazakhstan, celle qu’on appelait Alma-Ata à l’époque soviétique semble un peu chercher son identité. Photo: Marie-Julie Gagnon

Aujourd’hui qualifiée de «plus européenne» des villes du Kazakhstan, celle qu’on appelait Alma-Ata à l’époque soviétique semble un peu chercher son identité. Il est vrai que, dans certains quartiers, les terrasses nous donnent l’impression d’avoir été téléportés sur le continent européen.

L’intérêt principal de Kok-Tobe, à mon avis? La vue sur la ville en téléphérique. Photo: Marie-Julie Gagnon

Au sommet de la colline verte – Kok-Tobe – règne une atmosphère de fête foraine surannée. Éclectisme ou fourre-tout? On y trouve une grande variété d’activités familiales: une grande roue, un café, un restaurant avec vue, des voiturettes et des vélos conduits par des enfants roulant parfois de façon erratique entre les badauds… Un petit zoo et un monument consacré aux Beatles font aussi partie du tableau. Bien que le groupe culte n’ait jamais mis les pieds au Kazakhstan, l’artiste Eduard Kazaryan a eu envie de leur rendre hommage en 2007. Les touristes font la queue pour se faire photographier à côté de John sur le banc. L’intérêt principal de Kok-Tobe, à mon avis? La vue sur la ville en téléphérique.

On ne peut bien sûr prétendre capturer l’essence d’un pays aussi immense que le Kazakhstan en quelques jours. C’est sans doute la raison pour laquelle les moments «micro» m’apparaissent aussi importants. Ce n’est pas seulement un café que j’ai savouré au Marché vert en ce dimanche matin, mais aussi un condensé de vie locale. Si le voyage appelle le mouvement, c’est l’immobilité – même brève – qui me permet de fixer un moment précis dans l’océan de souvenirs qui s’entassent pêle-mêle dans ma tête.

Prochaine étape: l’Ouzbékistan!

P.S. Je n’ai pas résisté aux loukoums du marché: j’ai simplement oublié d’aller en acheter en quittant mon perchoir à la hâte!

Pratico-pratique:

  • Le circuit sur la route de la soie de la collection Sélect de Groupe Voyage Québec dure 22 jours au total. Il y a un départ en automne et un départ au printemps. Des guides locaux font les visites en français.
  • D’autres lieux que j’ai eu l’occasion de découvrir à Almaty: la cathédrale de l’Ascension de l’Église orthodoxe russe, l’un des bâtiments les plus hauts au monde construit en bois, la place de la République et des musées. J’ai particulièrement aimé celui consacré aux instruments de musique.

Je suis l’invitée de Groupe Voyage Québec, qui n’a eu aucun droit de regard sur ce texte.