Lecture: 10 suggestions estivales de Claudia Larochelle
Mes amies m’arrivent toujours à la dernière minute avec des demandes de suggestions de lectures. Pour elles, et pour tous les autres, voici une très subjective liste d’idées.
«Allô, Clo, ça va? Suis à la librairie à préparer mes vacances. Tu as quelque chose à me faire lire? Je ne veux pas me prendre la tête, j’aime le suspense, mais pas que, je ne déteste pas rire un peu et je veux surtout oublier la job.» Mes amies ne sont pas originales, elles m’arrivent toujours à la dernière minute avec ce même type de message. Je les aime bien, mais parmi le nombre de parutions annuelles, mes idées s’embrouillent. Pour elles donc, et pour tous les autres, voici une très subjective liste d’idées. À moins de m’inviter pour un rosé-piscine, merci, maintenant, de me laisser lire en prévision de l’automne. Oui, déjà… À bon entendeur. Et amitiés.
1. À nos vies imparfaites (Flammarion) de Véronique Ovaldé
Ce titre qui a remporté le Goncourt de la nouvelle cette année, un genre trop boudé, mais ô combien parfait dans nos rythmes de vies de fous, séduit avec ses personnages qui sont tous surpris à un moment de leur existence alors qu’ils sont déjoués par le sort. On s’en étonne en même temps qu’eux tant Ovaldé réussit bien son maillage accompli à la manière des poupées russes, alors que les personnages se font écho d’un texte à l’autre. Avec sa plume lucide, à la fois drôle et tragique, elle jette donc, avec ce sens de la dérision qu’on lui connaît, un regard amusé sur ses contemporains, nous rappelant en filigrane que la nature humaine demeure périssable.
2. Un jardin l’hiver (Le Cheval d’août) de Clara Grande
Les nouvelles voix prometteuses comme celle de Clara Grande m’enthousiasment toujours. En 2020, au cœur de la COVID, comme tant d’autres, Clara perd son emploi de serveuse et devient aide de service dans un CHSLD de Rosemont. Avec ses patients, pour la plupart des gens âgés privés de visite, isolés, en proie aux craintes et à la perte des leurs, elle se soumet aux tâches souvent mal-aimées, celles que les plus privilégiés de ce monde n’exécuteront peut-être jamais. D’une manière sensible, habile, concise et sans flagorneries, elle raconte ceux que la société préfère trop souvent cacher. Avec humanité, ces instants de grâce forment un collier de sagesse qui donne à réfléchir et à s’émouvoir. De quoi donner envie d’être utile…
3. Majesté (XYZ) de Candide Proulx
Le livre idéal pour trouver une certaine complicité auprès de Rosemarie, une narratrice célibataire dans la quarantaine qui raconte sa quête sentimentale à travers les méandres pas toujours glorieux des sites et applications de rencontres. On se dira en la suivant qu’il vaut mieux en rire, mais aussi que la vie moderne offre bien peu de répit à l’âme de guerrière dont il faut parfois se doter – doublée d’un solide ego – pour espérer trouver un «bon cœur – beau cœur» quelque part en ce bas monde rempli de contradictions. L’auteure, qui ne se prend pas au sérieux, a décidément le sens de la formule et de la dérision.
4. Il ne se passe jamais rien ici (Flammarion) de Olivier Adam
Un matin, sur les rives du lac d’Annecy, en Haute-Savoie française, le corps d’une femme est retrouvé. Devant le sinistre destin de l’une des leurs, les villageois sont aux abois; sous le choc, méfiants et soupçonneux, se scrutant les uns, les autres. Tour à tour, des personnages prennent la parole pour réagir au drame, y allant de leurs pensées et théories. Vu sa relation ambiguë avec la victime, qu’il a raccompagnée chez elle avant sa mort, Antoine, un trentenaire bohème un peu flanc mou qui n’a jamais su voler de ses propres ailes, et dont j’avoue m’être tout de même entichée, est dans la mire de la majorité. Bien évidemment que la vérité se terre dans les interstices… Encore faut-il se débarrasser de quelques œillères et préjugés.
5. Urushi (Actes Sud) de Aki Shimazaki
Fidèle au retour de la belle saison, Aki Shimazaki publie un nouvel opus, me rappelant à quel point cette écrivaine née au Japon et vivant à Montréal depuis 1991 est un pur mystère, se tenant loin des entrevues et des apparitions publiques. C’est peut-être en partie pour cette raison que vous en entendez si peu parler, alors qu’elle compte pourtant un important bassin de lecteurs, en France, notamment. Il faut dire qu’elle maîtrise l’art de l’ellipse avec une acuité hors du commun, appartenant à mon avis aux plus grandes écrivaines de chez nous; capable aussi de créer une tension dramatique sans jamais l’appuyer, ainsi que de singulières atmosphères brumeuses et poétiques. Cette fois, Suzuko Niré, 15 ans, aime beaucoup trop Tôru, le frère plus vieux et protecteur de sa famille recomposée. Comment s’y prendra-t-elle pour lui avouer son amour? Que signifie l’oisillon recueilli, sorte de miroir à ses propres vulnérabilités et empêchements? Pendant ce temps, l’obsession grandit et le frère reste flou jusqu’à ce que…
6. Le nid du coucou (Actes Sud) de Camilla Läckberg
Je sais que la grande reine du polar scandinave fait son effet, mais, attention, vous devrez patienter jusqu’à la mi-juin avant de pouvoir mettre la main sur ce titre au Québec. Après avoir écrit quelque temps avec le mentaliste Henrik Fexeus, elle est de retour en force et en solo avec son écrivaine-héroïne Erica Falck, preuve que la Camilla n’a pas besoin d’un mec à ses côtés pour exceller. Comme souvent, deux enquêtes sont menées de front dans ses histoires suédoises qui font plus de 400 pages, ne nous épargnant pas en rebondissements finement ciselés. D’abord, il y a ces crimes contre des proches d’un écrivain suédois sur le point de recevoir le Nobel de littérature, puis il y a le meurtre non résolu d’une personne transgenre dans les années 1980 à Stockholm qui refait surface, donnant du fil à retordre à Falck la battante qui n’a pas froid aux yeux. Une chose est sûre, elle nous fait frissonner, même en été…
7. La cuisinière des Kennedy (Les Escales) de Valérie Paturaud
Par le plus grand des hasards, Valérie Paturaud tombe un jour dans un cimetière du Vaucluse sur la sépulture d’une certaine Andrée Imbert. Sous une couronne de fleurs, elle y lit l’inscription suivante: «To Andrée, with love and gratitude. The Kennedy Family.» N’importe quelle romancière y verrait le début d’un livre, à plus forte raison quand il s’agit d’une femme dont on ne sait à peu près rien, mais dont les fréquentations peuvent donner lieu à quelques informations privilégiées... Après avoir retrouvé le petit-fils de la mystérieuse employée, l’auteure a pu mettre la main sur des boîtes remplies de souvenirs, de lettres et de photos la concernant. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle retrace le destin pas banal de cette employée qui en savait beaucoup, assez pour susciter notre fascination «naturelle» à l’endroit des Kennedy.
8. Irene (Éditions du sous-sol) de Manuel Vilas
J’ai tant parlé de ce roman! J’en ai fait mon titre estival 2024 par excellence. Il s’agit de la belle et élégante Irene, 50 ans, qui vient de perdre son grand amour, Marce, mort d’un cancer fulgurant. Héritière d’une grande fortune, pour se réparer, cette grande privilégiée quitte Madrid pour faire un road trip à bord d’une BMW 840 cabriolet autour de la Méditerranée. Elle logera dans les grands hôtels face à la mer «parce que la mer immunise contre la douleur», avec pour obsession de séduire afin de retrouver dans les plaisirs de la chair le souvenir du défunt mari. Cette quête éperdue et désespérée à travers Malaga, Aiguablava, Collioure, Sète et Nice donne non seulement à voyager dans les plus beaux endroits du monde, mais aussi à découvrir les complexités d’une héroïne perverse à sa façon, mais dont la manière d’assumer pleinement ses fantasmes rappelle sournoisement ces choses qu’on aurait tellement plus de facilité à pardonner aux héros masculins de sa trempe…
9. Cold case (Verticales) de Alexandre Labruffe
Un matin de 2017, en prenant son café, la compagne sud-coréenne de l’auteur français lui déclare qu’elle a un oncle congelé. Selon la légende familiale, il serait mort à Toronto après s’être échappé d’un hôpital psychiatrique. Labruffe ne se contentera bien sûr pas de ces explications. Il voudra remettre à l’heure les pendules de ce mythe qui ne le quittera pas. Il s’y cache sans doute là une affaire à disséquer, des choses tues ou laissées en plan qui révèlent d’autres histoires pas toujours heureuses, parfois même un peu effroyables, voire surnaturelles. Et, bien sûr, que le couple lui-même pourrait faire les frais de ce spectre glacé.
10. 48 indices sur la disparition de ma sœur (Philippe Rey) de Joyce Carol Oates
La réputation de Joyce Carol Oates n’est plus à faire. La formidable Américaine douée pour l’écriture des plus fascinants suspenses part sur les traces d’une jeune artiste qui a quitté sa demeure en avril 1991 pour ne plus jamais y revenir. Vingt-deux ans plus tard et en 48 chapitres (quelle charmante idée dans la forme!), sa sœur cadette entreprend de décortiquer le même nombre d’indices, certains plus subtils et inquiétants, mais chaque fois haletants au point de prendre au jeu le lecteur lui-même, le déroutant par moment, mais ne le laissant jamais tomber. À moins d’être doté d’un don que je vous conseillerais d’exploiter davantage advenant le cas, vous ne risquez pas d’en arriver à des conclusions avant d’avoir lu le dernier présage, celui qui éclaire tout le tableau habilement dessiné par la romancière qui aime faire vaciller le lecteur en terrains minés.