Livres de la semaine
La honte de Frank White, Jacques Savoie
Dans son plus récent roman, La honte de Frank White, Jacques Savoie nous propose un roman qu’il qualifie lui-même de «thriller identitaire». En tenant compte des enjeux politiques actuels dans la Belle Province, tout normalement, nous nous serions attendus à une histoire qui se passe au Québec. Mais non! L’ensemble de cette histoire se situe dans le sud des États-Unis, avec des retours sur des événements qui se sont déroulés dans le sud-est du Nouveau-Brunswick.
En y pensant bien, le survol géographique de ce roman reflète très bien le parcours de l’auteur. Jacques Savoie est né à Edmunston, dans la seule province officiellement bilingue du Canada. Écrivain prolifique, scénariste et musicien, il a à son actif de multiples romans. Il a travaillé sur des scénarios de séries télévisées et de cinéma et, pour payer ses études, il a fondé le groupe de musique traditionnelle Beausoleil Broussard. La honte de Frank White est son douzième roman.
Une enquête éprouvante
Le roman commence avec une scène hyper réaliste: François Leblanc attend impatiemment de se faire délivrer un nouveau passeport. Dans quelques heures, il prendra l’avion avec sa conjointe, Laurence Tourville, en direction d’Atlanta, en Géorgie. François y accompagne sa femme lauréate d’un prix de journalisme à la suite d’une série d’articles percutants. Ces articles ont eu un impact certain sur l’actualité. Au Québec, mais aussi aux États-Unis. Certains éléments de ces reportages auraient même choqué certains groupes d’individus.
Dès la descente de l’avion, le couple est pris en charge par des membres de l’association américaine des journalistes et des auteurs (ASJA) pour le transfert entre l’aéroport et leur hôtel. Juste avant d’arriver à l’hôtel, le couple est enlevé, drogué et grâce à un concours de circonstances, François se retrouve à la rue. Il est recueilli par un travesti qui lui sera d’une aide inestimable dans la recherche de sa femme kidnappée.
Commence alors une enquête éprouvante où François Leblanc devra évoluer dans des milieux sordides d’Atlanta, mais aussi dans certaines banlieues où l’on assiste à la montée fulgurante d’une droite extrémiste, teintée de violence et de racisme. L’enquête ayant été confiée au FBI, la confiance n’est pas au rendez-vous entre l’agence et François Leblanc.
Déjà, cette enquête au cœur des coins glauques du sud des États-Unis pourrait être à elle seule une bonne histoire, mais Jacques Savoie ajoute une couche identitaire intéressante au récit. François Leblanc enquête sur la disparition de sa femme, mais cette recherche se double de sa quête personnelle d’acceptation de son passé. Pourquoi est-il devenu Frank White? Pourquoi renie-t-il son passé acadien? Pourquoi se sent-il coupable de la mort de son petit frère? Les réponses à ces questions fourniront aux lecteurs et lectrices une intrigue riche et touffue, une complexité intéressante et une réflexion sur la place de l’identité dans la vie de chacun.
Les éléments d'une bonne histoire
Ayant fréquenté certains auteurs classiques du sud profond comme William Faulkner et Erskine Caldwell dans ma lointaine adolescence, je me suis beaucoup plu à jeter un nouveau regard sur les gens qui vivent dans ces lieux où la guerre de Sécession a laissé d’innombrables traces. Que ce soit avec l’influence du trumpisme, le machisme des Proud Boys, le racisme qui fait encore des ravages, et même l’homophobie très présente, Jacques Savoie nous trace un portrait sensible sur l’état des lieux. Son personnage de travesti, Bi Alley, bon et généreux, empathique et bienveillant, crée un contraste frappant avec les ravisseurs de la journaliste. Deux mondes à l’opposé qui partagent le même environnement, cela génère un terreau fertile à la confrontation, mais aussi pour une bonne histoire!
«Tu dois savoir… que la moitié des citoyens de ce pays déteste passionnément l’autre moitié. Et que cette haine est réciproque. Et ce n’est pas tout. Ces gens qui ne savent que haïr sont armés jusqu’aux dents, assis sur un véritable arsenal.» - Page 77
La honte de Frank White, François Leblanc la vit au centre de la rancœur et de la haine de ceux qui l’entourent. Cette plongée dans la chaleur de la Géorgie nous laisse un goût amer. La réalité vécue au quotidien dans certains coins de l’Amérique profonde vient confirmer ce que l’on ressent quand le Téléjournal nous parle de ce qui se passe chez nos voisins.
Introspection... et intrigue!
La honte de Frank White, c’est peut-être aussi notre propre acceptation de ce que nous sommes, de notre identité et du regard que l’on porte sur les autres. Jacques Savoie, dans ce roman, nous permet, comme le fait son personnage, une importante introspection sur ce que nous sommes. Voici la beauté de la littérature: passer un très bon moment de lecture en regardant le monde qui nous entoure tout en essayant de mieux nous comprendre personnellement. Le polar est un extraordinaire véhicule de compréhension du monde.
Avant de clore cette chronique qui, je l’espère, vous aura convaincu de lire ce roman, je m’en voudrais de ne pas vous présenter un personnage important de cette histoire: une femme paralysée, dans un semi-coma, aveugle, couchée sur le dos dans une chambre située on ne sait où. Comme lecteur, nous avons le privilège d’entendre ses réflexions. Et c’est franchement fascinant!
Qui est cette femme? Quel est le lien avec cette histoire? C’est ce que vous découvrirez en lisant ce roman!
Bonne lecture!
La honte de Frank White, Jacques Savoie. Éditions Libre Expression. 2024. 305 pages