Il n’y a pas qu’à l’approche de la prochaine élection présidentielle américaine que l’enjeu de la vieillesse fait réfléchir. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, à Montréal, le sujet est au cœur de Coup de vieux, la nouvelle création du dramaturge Larry Tremblay, dans une mise en scène de Claude Poissant. Voilà une pièce de théâtre qui tend un fichu miroir à cette génération issue du baby-boom, dont nous sommes si nombreux à faire partie.

Réglons une chose au départ. À part Clovis, un jeune clown qui manifeste épisodiquement sa présence durant l’heure et demie du spectacle, la distribution, le metteur en scène et l’auteur sont tous des sexagénaires, directement concernés par le sujet.

Dans un style qui n’est pas sans rappeler Ionesco ou Beckett, Larry Tremblay a imaginé un groupe d’amis qui se connaissent assez bien pour savoir l’essentiel de la vie de l’un et de l’autre. William a enterré sa femme après qu’elle eut souffert d’une longue maladie. Il veut écrire sa vie, mais il bloque sur les mots, notamment le mot «grosse», alors il pense au suicide. Lucie a perdu son mari. Cette femme au cœur dur chérit la pluie qui l’aide à dormir. Pierre, ancien sous-ministre à la Culture, exaspère un peu tout le monde avec l’étalage de ses connaissances et son optimisme. Adèle a eu une brillante carrière de journaliste, mais en raison d’un cancer à la gorge, ses petits-enfants se sont retournés contre elle et elle doit désormais communiquer avec un électrolarynx. Géraldine, elle, peine à pratiquer la peinture depuis que les paysages et les portraits n’ont plus la cote. Et rien pour aider, elle se crache continuellement les poumons. Bref, c’est à qui sera le plus vieux, le plus à plaindre.

Les personnages échangent entre eux à bâtons rompus. La discussion est constamment déviée, soit par manque d’attention des uns et des autres, soit par lassitude d’entendre toujours les mêmes rengaines, quand ce n’est pas parce que les propos tenus manquent de clarté, ou parce que les points de vue se sont radicalisés avec l’âge.

Larry Tremblay nous montre des gens qui, à cause de la fragilité induite par leur vieillesse, se replient sur eux-mêmes. Leurs perceptions changent. Ça va de la crainte des immigrants dont la présence en grand nombre apparaît comme une menace à ce qu’ils ont été, au mépris des médias, qui n’ont plus le lustre d’autrefois, en passant par les reproches aux jeunes de ne pas avoir la même couenne dure qu’eux, ou leur incompréhension devant la dérive des genres.

Dans un décor épuré (une fenêtre avec un rideau, un piano droit et son banc), le metteur en scène fait évoluer nos cinq personnages dans une sorte de vide qui est le miroir de leur pensée qui ratatine.

Plus leurs idées s’étiolent sous l’effet de leurs angoisses, leurs inquiétudes, leur insécurité, plus ils peinent à se déplacer. C’est la volonté de l’auteur de montrer ses créatures théâtrales vieillir au fur et à mesure que la pièce avance.

Fidèle à sa signature, Larry Tremblay ne fait pas dans le réalisme. Ce sont des personnages de théâtre. Rien à voir avec les séries à la télévision qui font tout pour ressembler à la vraie vie.

Cela peut sans doute dérouter le spectateur, mais avec des archétypes, on a l’avantage de ne pas être dans le jugement des individus. On peut à la fois rire, car il y a de l’humour (souvent absurde), réfléchir, et frémir, car le scénario qui est esquissé correspond pas mal à ce qui nous attend tous.

Ça a été un bonheur pour moi de revoir Sylvie Drapeau sur scène. Elle est toujours aussi incandescente. Cette production, qui a d’abord vu le jour au Trident en janvier dernier, nous amène à Montréal trois excellents comédiens de Québec: Jacques Girard, Jacques Leblanc et Marie Gignac. Leur chimie est manifeste. Il y a aussi Linda Sorgini dans la distribution. Elle arrive plus tard dans la pièce, et en raison d’un rôle moins bien défini, elle manque de temps pour s’imposer.

Et Clovis le clown, incarné par Thomas Boudreault-Côté?

Larry Tremblay l’a imaginé comme un contrepoint. Plus proche du mime que du clown, je n’ai pas tant aimé sa présence muette parmi ces soliloques échevelés. Comme si je me méfiais de ce qu’il pense vraiment.

Ce n’est que quelques jours plus tard (parce que la pièce nous habite longtemps après l’avoir vue) que j’ai compris mon inconfort par rapport à la présence du «Que-Clown». De le voir distribuer des suçons à ces aînés de plus en plus perdus, ressemble beaucoup trop au scénario qui se répète chaque fois que je vais visiter ma belle-mère au 3^e étage du «Foyer du bonheur». Dans les couloirs des CHSLD (centres d’hébergement et de soins de longue durée), la fin de vie offre un spectacle affligeant de vieilles personnes condamnées à s’en remettre à des préposés pour faire le dernier petit bout jusqu’à trépas. Qu’on me comprenne bien, les employés de ces institutions ne sont pas des clowns, on les a comparés à des anges pendant la pandémie. Avec raison. Il reste que quand la raison nous abandonne, il y a de bonnes chances qu’on nous parle et nous traite comme un enfant, quelle qu’ait été notre vie.

Est-ce ce spectre qui a plombé l’accueil à la pièce? Toujours est-il que j’ai été plutôt surpris de la réception polie le soir de la première. Larry Tremblay est un de nos grands dramaturges, célébré à travers le monde, mais c’est vrai que le miroir qu’il nous tend avec son Coup de vieux n’est pas si plaisant à regarder. Au moins, on aura été prévenu.