On ne le dira jamais assez, le Québec est assis sur une mine d’or de talent. Il n’y a pas assez d’une chronique par semaine pour témoigner de tout ce que les artistes de chez nous produisent sur nos scènes et nos écrans. Cette semaine, je regroupe trois spectacles musicaux qui m’ont enchanté: Marie Denise Pelletier, qui nous fait profiter de ses 40 ans de métier; Pierre Flynn, fort de 50 ans de présence dans le paysage musical québécois; et parce qu’il y a aussi de la relève à découvrir, Robert Robert et Jeanne Côté, mes surprises de la semaine.

Marie Denise Pelletier, une histoire qui n’en finit plus avec le public québécois

Il faut remonter à l’année 1982 pour marquer le début de la carrière de Marie Denise Pelletier. Cette année-là, elle remporte le prix d’interprétation du Festival international de la chanson de Granby. Le jury avait vu juste. Cinq ans plus tard, elle entre dans la légende avec son disque À l’état pur, sur lequel se trouvent Pour une histoire d’un soir et Tous les cris, les S.O.S., deux titres qui figurent, bien sûr, au programme de son nouveau spectacle en solo. Comme son dernier disque, ce tour de chant est intitulé Sous ma peau de femme. Depuis le début février, elle l’offre à travers le Québec.

Quel spectacle! À 63 ans, elle est impériale sur scène. Sa voix, qui a toujours été un atout chez elle, est plus belle que jamais. La preuve qu’elle en a pris soin toute sa vie, elle peut gravir n’importe quel Everest musical. Que ce soit la très difficile Manikoutai de Gilles Vigneault, la très exigeante Vaisseau d’or d’Émile Nelligan sur une musique d’André Gagnon ou la déchirante Évangéline de Michel Conte (cette dernière lui vaut une ovation debout).

La chanteuse nous fait aussi le plaisir de ramener un parolier oublié, le prolifique Eddy Marnay. Elle reprend deux de ses joyaux, Les moulins de mon cœur (musique de Michel Legrand) et À 17 ans (musique de Janis Ian). (Je ne serais pas surpris que cela contribue à ramener ce parolier dans l’actualité.)

Ce genre d’interprète, qui rappelle Monique Leyrac, par exemple, est une espèce en voie de disparition. Sa diction nous permet de comprendre chaque mot, et l’intelligence de son interprétation, de ressentir toutes les subtilités du texte.

Pas surprenant que les auteurs se bousculent pour lui écrire des chansons. Sur son dernier disque, on retrouve des auteurs-compositeurs de métier comme Michel Rivard, Claude Gauthier, Moran. Même le peintre Marc Séguin lui a écrit un texte. Les collaborateurs aux musiques sont aussi de renom: Robert Charlebois, Catherine Major, Louis-Jean Cormier.

L’élégance et le raffinement de ce répertoire commandent un écrin à l’avenant. Le metteur en scène Michel Poirier, l’homme derrière le succès du spectacle Pour une histoire d’un soir qui réunissait Joe Bocan, Marie Carmen et Marie Denise Pelletier, s’en est chargé. Le choix des titres interprétés, les interventions parlées de la chanteuse, ses déplacements sur la scène, l’orientation des éclairages selon le climat des chansons, tout a été pensé pour le maximum de fluidité et de naturel. Jusqu’au choix de la dernière pièce, N’insistez pas, rentrez chez vous de Normand Racicot, une manière amusante de mettre le public dehors!

Le producteur Martin Leclerc n’a pas lésiné sur les coûts de production. Marie Denise Pelletier est accompagnée de cinq musiciens, dont son pianiste de toujours, Benoît Sarrasin, et d’un quatuor à cordes.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts, où j’ai vu le spectacle le 15 février, la qualité du son était exceptionnelle, gracieuseté de Stéphane Dubé.

Ne manquez pas Marie Denise Pelletier si elle passe par chez vous. C’est une valeur sûre!

Pierre Flynn: toujours sur la route

Avec Pierre Flynn, on ne se trompe pas non plus. À bientôt 70 ans, l’auteur-compositeur-interprète nous revient pour une tournée dans son plus simple appareil, c’est-à-dire en solo, avec pour seul instrument, pour reprendre ses grandes chansons, son piano, ou sa guitare (sèche ou électrique). Et ce qu’il fait sur scène est prodigieux.

Déjà, il y a la voix. Unique entre toutes. Ce gars-là est béni des dieux d’être doté d’un tel organe. Son timbre, qui aurait pu convenir pour chanter dans les églises, propulse une poésie tourmentée, ténébreuse, engagée, d’amoureux contrit, d’homme en éternelle mouvance. Il nous atteint aux plexus.

Quelques titres pour en témoigner: Le vent se lève, Croire, Duparquet, Capitaine, ô capitaine, La maudite machine.

Cette dernière, un classique, il la fait à la guitare en réussissant à sortir de son instrument toute la fougue qu’elle contenait à l’époque où il la jouait avec ses potes d’Octobre.

C’est d’ailleurs avec une chanson d’Octobre, Le vent se lève, qu’il entame ce tour de chant. Toujours aussi majestueuse au piano à queue, 47 ans plus tard. Et que dire de celle qui a suivi, Étoile, étoile, faite de mots que Gaston Miron aurait pu écrire? Cette intensité à chanter et à toucher le piano m’a fait penser un instant que Pierre Flynn est probablement le plus digne héritier de Claude Léveillée.

Et ça se poursuit avec entre autres la puissante Le retour et une 24 secondes transformée.

Ce n’est pas le seul réarrangement qui surprend durant la soirée. Qui aurait imaginé un jour qu’une chaîne en métal puisse servir d’accompagnement à la chanson Possession? Une idée de génie!

Pour la mise en scène et les bonnes idées en dehors des sentiers, Pierre Flynn fait toujours équipe avec Michel Faubert. L’as conteur donne à ce spectacle un côté «soirée avec un ami», l’artiste y allant de toutes sortes de confidences, comme la fois où, à l’issue d’une nuit qui n’en finissait plus, le poète Gilbert Langevin lui a donné ces vers magnifiques: «Dis ma belle, si ciel il y a, dis ma belle, est-ce qu’au ciel on ira? Est-ce qu’au ciel on ira?»

Et nous de faire des hou, hou, hou avec lui, comme on fera des nan, nan, nan lorsqu’il chante La maudite machine. 

Disons-le, quel formidable public il y avait mardi soir au Gesù pour l’écouter chanter et causer! Beaucoup, beaucoup de têtes blanches, qui ne se sont pas fait prier pour jouer les choristes le moment venu. Et c’est avec l’énergie de leur jeunesse enfouie pas trop loin que ce public d’âge d’or applaudissait à tout rompre après chaque chanson. J’étais pas mal fier de notre génération! Les baby-boomers, comme à l’époque, on ne s’économise pas quand il y a de bonnes raisons de taper des mains.

Pierre Flynn sera encore et toujours sur la route en 2024. Accueillez-le dans votre coin, c’est comme recevoir quelqu’un de la famille.

Coup de cœur pour Robert Robert

C’est bien beau, les vedettes établies, mais il faut aussi aller à la découverte des artistes de demain.

Laissez-moi vous parler d’un secret trop bien gardé: Robert Robert. Sur disque, c’est de la dynamite. Sur scène, une bombe.

DJ à l’âge de 18 ans, Arthur Gaumont-Marchand s’est converti depuis peu à la chanson. En français, parce que ce natif de Villeray croit qu’on ne peut pas être plus près de ce qu’on est que lorsqu’on chante dans sa langue.

J’aimais déjà sa voix, son son électro, cette manière très française de livrer ses textes (pourtant, il me dit ne pas le faire exprès, que c’est juste pour mettre les mots sur les rythmes), mais samedi soir, à la salle de l’église du village à Tremblant, j’ai été subjugué par sa manière de bouger et d’animer une scène.

Il a vraiment une présence unique qui entraîne le public à bouger à son tour.

Impossible de résister aux chansons hyper rythmées de l’album Silicone Villeray paru en 2021 (Les gens, La nuit se plaindre, L’été je m’ennuie, Quand je veux je dors) ou aux toutes nouvelles de Bienvenue au pays, disque sorti au printemps de 2023 – À pied, Entre les mailles, Peur de tout, M’enfer.

Il est accompagné d’un trio qui produit un son d’enfer. Benoît Parent aux claviers (coréalisateur, coarrangeur des disques de Robert Robert), Fritz Anthony Pageot, solide comme le rock à la batterie, et Jeanne Gagné, à la guitare et à la voix. On entendra parler d’elle bientôt puisqu’elle sortira son premier disque en mars, Synesthésies, sous le nom de Soraï.

Mentionnons aussi que la sonorisation était impeccable, et les éclairages, excellents.

Avec le duo Bibi Club (Adèle Trottier-Rivard et Nicolas Basque) et l’auteure-compositrice-interprète Vanille, Robert Robert fera partie, en avril, de l’opération Spécimens canadiens, une vitrine qui permet aux artistes québécois émergents de se faire entendre en France dans le cadre du prestigieux festival Le Printemps de Bourges.

On vient aussi de confirmer sa présence au Festival Santa Teresa de Sainte-Thérèse le 24 mai. Une scène parfaite pour sa musique.

Si la prestation de Robert Robert a été une découverte pour moi, la salle où il se produisait au village de Mont-Tremblant samedi l’a été tout autant. Quel endroit chaleureux et intime que cette église transformée en salle de spectacle! Vraiment un endroit formidable pour voir un show. En plus, la bière et le vin sont vendus 5$ seulement!

À venir prochainement: les Sœurs Boulay, Ingrid St-Pierre et Fouki.

Oh, la belle découverte, que cette Jeanne Côté, la fille d’A. Côté

En première partie de Pierre Flynn, j’ai fait une autre découverte: Jeanne Côté, la fille d’Alan Côté, le directeur général et artistique du Festival en chanson de Petite-Vallée en Gaspésie.

Et ce n’est pas parce qu’elle est la «fille de» qu’elle est bonne. Cette gagnante des Francouvertes 2023 a un talent naturel qui lui est propre. Ça se sent dès qu’elle commence à jouer du piano et se confirme lorsqu’on entend sa voix singulière qui chante une poésie inspirée des contrastes entre sa vie d’avant, sur le bord de la mer en Gaspésie, et celle d’aujourd’hui, le long du canal de Lachine à Montréal.

On le sait, faire des premières parties est un passage obligé et périlleux. Après avoir entretenu le mystère, le visage plutôt fermé, pendant deux chansons, Jeanne nous fait la causette, tout sourire. En bonne Gaspésienne qui a vécu parmi une ribambelle de tantes têtues et les visites à répétition de passeurs tous plus célèbres les uns que les autres (Flynn, Rivard, Boulay, Séguin, etc.) venus chansonner chaque été depuis qu’elle est toute petite, cette Jeanne a du bagout et nous mets dans sa poche le temps de le dire. La salle a même chanté en chœur avec elle Y peut mouiller, la sixième et dernière chanson de son banc d’essai. Elle aussi a eu droit aux applaudissements généreux du public de Pierre Flynn.

Notre nouvelle venue de 28 ans a un disque, Suite pour personne, sorti l’an dernier. Prêtez-y attention, c’est un début. À suivre, comme on dit…