Le roman-feuilleton Les jours du Dominion: le plaisir croît avec l’usage
Qui l’eût cru? Le roman-feuilleton est de retour! L’auteur Sylvain-Claude Filion marche dans les pas d’Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Eugène Sue, et nous fait revivre cette grande époque où des écrivains prestigieux effeuillaient leurs romans populaires en plusieurs épisodes dans les journaux. La différence, c’est qu’aujourd’hui, le feuilleton de Sylvain-Claude Filion est une affaire numérique. En 60 épisodes! Une fois qu’on a lu les trois premiers gratuitement, pas le choix de s’abonner, car avec Les jours du Dominion le plaisir croît avec l’usage.
Il faut voir ce feuilleton comme un voyage dans le temps. L’auteur nous transporte en 1895, à Montréal, une ville déjà bouillonnante d’activités.
Le premier personnage qu’on rencontre, Jean-François Kerouac, est un jeune homme de Kamouraska attiré par l’effervescence culturelle montréalaise. Dès qu’il débarque du train, on le suit de la gare du Grand Tronc au Café Ayotte, angle Sainte-Catherine et Saint-Denis, le rendez-vous de la jeunesse bohème. Il rencontre là six personnages un peu mystérieux qui se révéleront au fur et à mesure de l’histoire.
Dans l’épisode suivant, intitulé Le rossignol du square Chaboillez, on suit Kerouac au Théâtre Français (aujourd’hui le M Telus), où l’Opéra français donne Le songe d’une nuit d’été. On fait alors la connaissance de l’impétueuse cantatrice, Mlle Barély, ulcérée d’avoir été snobée par le nouveau directeur artistique de cette maison d’opéra, Arthur Durieu, un Français qui arrive d’un séjour catastrophique à l’Opéra de La Nouvelle-Orléans.
Le titre de ce feuilleton fait référence à ce moment de l’histoire où le Canada était un dominion. La fresque proposée se passe donc à la fin des années 1890, une époque qui n’aurait jamais été exploitée dans le domaine de la fiction au Québec.
Qui se souvient en effet que Mackenzie Bowell était premier ministre du Canada, Joseph-Octave Villeneuve, maire de Montréal, Joseph-Adolphe Chapleau, lieutenant-gouverneur du Québec? Que le Théâtre Français, le Théâtre Royal, le Monument-National, le Queen’s et l’Académie de Musique s’arrachaient les mêmes spectateurs?
Tout ça est évoqué dans Les jours du Dominion. Et même davantage.
En effet, il y a en toile de fond du feuilleton le climat politique d’alors, exacerbé par la création d’écoles catholiques au Manitoba. Avec un Wilfrid Laurier qui tente de profiter de la division des conservateurs sur cette question pour défaire ses adversaires aux élections, et ramener les libéraux au pouvoir.
Intéressants parallèles à faire avec aujourd’hui.
Le propre du feuilleton étant de surfer sur de multiples rebondissements, en ayant parfois recours à la fiction, c’est alors que le romancier nous amène dans un monde parallèle et clandestin. On se retrouve dans une cave de la rue Jacques-Cartier où se tient une réunion secrète de la loge du Lys, chez ces Canadiens français qui ne logent ni chez les conservateurs, ni chez les libéraux. Ce groupuscule souhaite plutôt, comme le patriote Jules-Paul Tardivel, l’instauration d’une république canadienne-française, en mots d’aujourd’hui, l’indépendance du Québec.
Voilà, j’ai mis la table en vous donnant un aperçu des trois premiers épisodes. Il y en a 57 autres à découvrir avec un plaisir garanti, parce que c’est extrêmement bien écrit. Dans un style très relevé qui convient à l’époque de l’histoire.
Sylvain-Claude Filion ne répugne jamais à utiliser le mot juste, même s’il est très rare de nos jours. Quelques exemples? Les hommes portent des galurins, les femmes des Gainsborough. On formule des apophtegmes dans les assemblées. À l’opéra, on embauche rarement des locaux pour les utilités et les dugazons. Si je peux me souvenir de tous ces mots, ça me donnera certainement de bons points à ma prochaine partie de Scrabble!
Ce n’est pas tout. Comme dans la biographie de Béatrice Picard qu’il a écrite, l’auteur s’est astreint à une recherche historique méticuleuse. Sylvain-Claude Filion a entrepris ce projet il y a plusieurs années. Il dit avoir consacré 2000 heures à sa recherche et accumulé 800 pages de documentation.
La beauté de la publication numérique, c’est qu’on peut cliquer sur les mots en bleu dans le texte pour obtenir un complément d’information, ou une référence, pour apprendre, par exemple, que la rue Jacques-Cartier, où se réunit la loge du Lys, se nomme aujourd’hui rue de Saint-Timothée.
Pour un féru d’histoire montréalaise comme moi, cette lecture a été un pur bonheur. Et pour être honnête, ma lecture n’est pas terminée. Je déguste au rythme du feuilleton, un épisode à la fois. Je vous en souhaite autant.
Un abonnement complet coûte 39,95$. Les trois premiers épisodes sont gratuits, et on peut poursuivre l’essai en s’abonnant aux épisodes 4 à 10 pour 4,95$.