La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La lectrice de Liratoutâge

Quand je serai grande, je voudrais être comme elle: Godelieve De Koninck qui, à bientôt 86 ans, continue de faire rayonner Liratoutâge, son escouade de bénévoles fondée il y a 16 ans et qui offre des séances de lecture à voix haute dans les milieux d’hébergement pour aînés. Une sorte de version pour gens âgés de l’organisme Lire et faire lire qui, lui, s’adresse aux petits.



Je ne connaissais pas Liratoutâge avant de rencontrer, il y a quelques mois, chez des amis, cette fameuse Godelieve qui, c’était écrit dans le ciel, allait me plaire. Juste de l’entendre me présenter ce projet qui a pris de l’ampleur au point d’être désormais présent dans 240 établissements, je me suis promis qu’à ma retraite ou mon «semblant de », je ferais partie de ces centaines de bénévoles, des retraités de plus de 60 ans pour la plupart, que je débarquerais moi aussi avec ma valise de livres (des contes, des fables, de la poésie, des biographies… Kukum de Michel Jean ferait partie des préférés) dans les CHSLD ou RPA, du moins, celles qui seraient encore là après la présente hécatombe…

Quand elle me parle de Liratoutâge, l’octogénaire passionnée a les yeux qui brillent. Quand elle regarde son amoureux aussi, mais ça, c’est une autre histoire… Il faut dire que dans la lignée d’origine belge des De Koninck, incluant parmi les plus connus Jean-Marie De Koninck, le fondateur d’Opération Nez rouge, ou le géographe Rodolphe De Koninck, les implications sont tournées vers les autres. «Enfant, j’accompagnais mon père à l’Hôtel-Dieu de Québec. À la réception, il demandait à voir les patients qui n’avaient pas eu de visite depuis longtemps. Juste avant, on s’arrêtait au marché acheter des oranges qu’il distribuait. Ma mère, elle, préparait des plats pour des amis malades. J’ai réalisé, il y a quelques années, que je refaisais comme eux, à ma manière», m’explique-t-elle au deuxième étage de la RPA de son compagnon.

Quand elle me parle de Liratoutâge, l’octogénaire passionnée a les yeux qui brillent. Quand elle regarde son amoureux aussi, mais ça, c’est une autre histoire…

La fille de son père

Mort trop tôt à 57 ans, ce père dont elle me parle, Charles De Koninck, ancien doyen de la faculté de philosophie de l’Université Laval en l’honneur duquel a d’ailleurs été nommé son pavillon des sciences sociales, était résolument tourné vers son prochain, toujours enclin à faire la conversation avec le laitier ou le facteur, jamais prétentieux malgré son savoir et ses fonctions. Curieux des autres, surtout. Comme Godelieve, qui revendique plus d’interrelations entre les gens âgés et la jeunesse.

Après Noël, elle a invité quelques-uns de ses 22 petits-enfants à venir chez elle pour ce qu’elle appelle en riant «la soirée des restants». «J’en ai corrigé des travaux, j’ai aidé à faire des devoirs, et encore… C’est une manière de garder le contact avec eux. C’est précieux, c’est nécessaire. Il faut les créer, ces moments-là. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus des bébés ou de jeunes enfants qu’ils n’existent plus», précise celle qui a fait un road trip sur la Côte-Nord avec l’un d’eux et du camping dans le bois avec un autre.

Ça donne une idée de l’esprit de Liratoutâge: rien de ringard ou de suranné. Aidée par une employée et sans jamais se payer, Godelieve forme ses bénévoles et vaque aux affaires de l’organisme, dont l’idée germa en 2008, alors qu’elle cherchait une résidence pour sa propre mère de 95 ans. Dévastée de constater l’ennui de plusieurs résidents, elle pensa à son propre désennui par les livres. «La lecture ne connaît pas de limites, vous savez. Ce n’est pas parce que ces gens, eux, sont limités qu’ils ne peuvent pas continuer à apprendre, à voyager, rire, pleurer, se souvenir... Personnellement, certains personnages de romans m’ont aidée à vivre», exprime Godelieve, qui n’a pas à me convaincre de cela.

Ce qui me fascine aussi dans cette aventure qui se poursuit depuis toutes ces années, c’est que la fondatrice continue de s’y adonner alors que la plupart des gens de son âge auraient décidé de ralentir enfin. «Quand j’étais jeune et qu’un garçon m’invitait à sortir, je préférais rester à la maison pour lire, s’esclaffe-t-elle. Non, le livre, c’est indispensable, et tout le monde devrait y avoir accès. Les gens atteints d’Alzheimer font partie des plus attentifs. On ne soupçonne pas l’ampleur des bienfaits. Pour ça, ça prend des gens qui s’engagent.»

À l’entendre s’emporter dans un dynamisme fort contagieux, une question brûlait mes lèvres:

- Vous, là… Vous considérez-vous comme une dame âgée, Godelieve?

- C’est sûr que oui! Mais j’espère surtout que quelqu’un viendra me faire la lecture à un moment donné quand j’en aurai besoin. Moi aussi, je peux tomber demain matin, faire un AVC… C’est pour ça que je me dis que je dois en faire le plus possible dès maintenant. Vous comprenez ce que je veux dire, Claudia?

En la quittant, je l’implore de prendre soin d’elle. «Ben oui. Ben oui…», qu’elle me répond. Ces jeunes-là! Pas moyen de s’inquiéter pour eux!

Vous souhaitez faire la lecture aux aînés? Consultez liratoutage.com.