Livres de la semaine
Points de fuite, Martin Michaud
«Je m’appelle Alice Lavoie et ceci est notre histoire.» Si je commence cette chronique avec cette toute petite phrase, c’est que cette Alice Lavoie est le personnage charismatique du nouveau roman de Martin Michaud, Points de fuite, et qu’après ma lecture, elle habite encore mon imaginaire, y ayant laissé une trace marquante.
Martin Michaud possède l’art de nous présenter des personnages qui nous hantent pendant et après la lecture. Pensons à son policier, mais aussi à l’inoubliable et détestable Jacinthe Taillon dans la série de romans mettant en scène Victor Lessard.
Avec son plus récent roman, Points de fuite, l’auteur réussit à nous faire oublier, temporairement j’espère, ses personnages récurrents pour nous proposer le premier tome d’une trilogie qui scrutera le monde de l’art, des tableaux de grands maîtres, mais, aussi, des marchands de faux et de la contrefaçon. Voici un des plaisirs de ce roman, pénétrer dans un milieu qui nous est inconnu, voir ce qui se cache derrière cette façade et rencontrer les acteurs d’un commerce que l’on ne fréquente pas beaucoup.
Une histoire captivante
L’histoire tourne autour de deux familles de la région de Charlevoix impliquées dans le monde de l’art: les Lavoie, propriétaires d’une galerie d’art, et les Lazarre, trafiquants de tableaux et faussaires. Auparavant, ils collaboraient, mais des histoires d’amour et de passion, la disparition d’un des frères Lazarre et l’obsession des deux familles pour un certain tableau viendront envenimer les relations… de façon violente!
Nous sommes en 1990, mais toute l’histoire commence dans la nuit du 3 au 4 septembre 1972 quand, au Musée des beaux-arts de Montréal, trois individus s’emparent de 18 tableaux d’une valeur de deux millions de dollars. Fait véridique qui servira grandement à alimenter l’histoire du roman.
Le récit débute avec l’enlèvement de Rosalie, la fillette du couple Lavoie. Évidemment, les soupçons sont tout de suite dirigés vers l’autre famille. Est-ce une vengeance de la fratrie des Lazarre? Tous les indices tendent vers cette hypothèse.
Alice Lavoie, policière à la Sûreté du Québec avec son copain Félix, décide de s’impliquer à fond pour retrouver sa petite sœur, en prenant tous les moyens possibles, légitimes, mais aussi illégaux pour arriver à ses fins. Même ceux qui la mettent en danger, elle et son entourage.
Alice entamera presque seule cette enquête contre les frères Lazarre et leurs hommes de main, qui ont tous la gâchette assez facile. Elle devra faire preuve d’un courage extrême, avec une touche d’inconscience et d’un peu de folie, pour se jeter dans la gueule des loups du clan adverse.
Comme dans tout bon polar, et surtout avec l’imagination de Martin Michaud, vous pouvez vous attendre à une enquête superbement bien ficelée, à de nombreux rebondissements, à quelques indices parsemés tout au long de l’histoire et à une montée graduelle de l’intensité dramatique. Tous les ingrédients d’un thriller efficace sont présents, et avec une bonne dose de vraisemblance.
Évidemment, on retrouve dans ce roman le style punché de Martin Michaud, une écriture nerveuse avec des touches poétiques. En plus de ses multiples références musicales, l’auteur apporte un soin méticuleux à la musicalité de ses phrases. Les dialogues sont crédibles, parfois même mordants, et quelques traits d’humour pertinents enrichissent le texte.
Ce qui ressort de ce roman, outre l’intrigue prenante et la finale percutante, c’est l’intensité et la complexité de ses personnages féminins et la confrontation aveugle entre les deux familles.
Bien certainement, le passé demeure un élément important dans l’affrontement entre les deux clans. L’auteur joue avec ce passé dans une structure romanesque bien équilibrée. Les allers-retours sont éclairants et viennent alimenter l’esprit de déduction du lecteur qui se laisse prendre au jeu.
Au centre de cette histoire, Alice Lavoie ressort d’une façon spectaculaire. D’une jeune policière efficace, elle se métamorphosera pour attraper ceux qui ont kidnappé sa petite sœur. L’auteur a tellement voulu mettre ce personnage de l’avant qu’elle est la seule à posséder une voix dans ce roman choral. Ce choix très astucieux donne accès au lecteur aux pensées de la jeune femme, mais il le soumet aussi à certaines questions éthiques. Approuve-t-on ou pas les choix de la jeune policière?
Martin Michaud nous a habitués à des romans policiers haletants, des récits qu’on ne réussit pas à lâcher avant leur conclusion. Points de fuite reste dans cette veine et, assurément, il plaira aux amateurs et amatrices du genre. Gardera-t-il ce personnage de jeune policière pour les prochains tomes de cette trilogie? En ce qui me concerne, j’aimerais bien retrouver Alice Lavoie dans un prochain roman.
Bonne lecture!
Points de fuite, Martin Michaud. Éditions Libre Expression, 2023. 470 pages