Les Plouffe, le MEM et Aliocha Schneider
À l'agenda de Claude Deschênes cette semaine: la pièce Les Plouffe au Théâtre Denise-Pelletier, l'inauguration du MEM – Centre des mémoires montréalaises et le dernier album d'Aliocha Schneider.
Les Plouffe, comme des ronds dans l’eau
Soixante-quinze ans après la publication du roman Les Plouffe par l’auteur Roger Lemelin, 70 ans après le début du téléroman La famille Plouffe à la télévision de Radio-Canada, 42 ans après le film de Gilles Carle, voici que la célèbre famille de Québec débarque sur les planches dans une émouvante coproduction du Trident de Québec et du Théâtre Denise-Pelletier. L’onde créée par cette histoire écrite en 1948 atteint encore nos rivages. En 2023, les Plouffe font toujours des ronds dans l’eau.
Dans cette histoire campée dans la Vieille Capitale à la veille de la Deuxième Grande Guerre, l’auteur se sert de la cellule familiale pour développer une multitude de sujets lourds de son époque: le poids de la religion, les tourments de la condition ouvrière, la répression des pulsions sexuelles, l’oppression du conquérant, le fardeau de la situation politique internationale.
Il y a donc la mère qui gère sa marmaille en s’assurant d’avoir toujours l’imprimatur du curé. Le père qui se met à risque en affichant son nationalisme. Cécile, qui ronge son frein de vieille fille. Ovide, l’intellectuel incompris de la famille qui aspire à une vie meilleure, celui qui a la plus crève-cœur des répliques: «Y a pas de place nulle part pour les Ovide Plouffe du monde entier!»
Quant à Napoléon, l’aîné un peu simplet, et Guillaume, le fils prodige, ils complètent ce tableau familial en amenant insouciance, légèreté et optimisme à cet univers plombé.
Sur scène, tout ça prend vie dans un décor qui évoque à la fois l’exiguïté de la cuisine de maman Plouffe, les escaliers reliant la Basse-Ville à la Haute-Ville, les gradins du stade de baseball local, la salle de bal du Château Frontenac, et assez de place pour accueillir les fameux vélos de Théophile et Napoléon. On appelle ça la magie du théâtre.
L’adaptation qu’Isabelle Hubert a faite à partir du roman septuagénaire et du scénario du film est parfaitement réussie. Il n’y a rien de plus universel et contemporain que la famille. Or, elle a réussi à ce qu’on s’attache à chaque personnage comme si c’était un membre de la nôtre. Captivé par ce qu’on nous raconte sur scène, on oublie qu’il y a trois quarts de siècle que cette histoire a été écrite. Les vraies émotions n’ont pas d’âge.
Vous vous rappelez ce film que Gilles Carle a tourné à Québec en 1981, avec ses scènes de ruelles, son défilé du roi d’Angleterre, ses parties de fers à cheval et de baseball, ses soirées de bal, et le sex-appeal de Rita Toulouse? À part la procession de la Fête-Dieu, la metteuse en scène Maryse Lapierre a réussi à tout recréer ça sur l’immense plateau du Théâtre Denise-Pelletier, habité par une imposante distribution de 14 comédiens de haut calibre. Chacun amène un ton différent à cette partition. J’ai été particulièrement impressionné par trois acteurs de Québec qu’on voit peu à Montréal: Marie-Ginette Guay, sensationnelle dans le rôle de maman Plouffe, Jean-Michel Girouard, redoutable d’efficacité en Napoléon, et Frédérique Bradet, émouvante en Cécile.
La pièce dure 2 heures 10 minutes et ne souffre d’aucun temps mort. Comme dans Gas Bar Blues récemment, on a même droit à des numéros chantés du meilleur effet.
Lors de sa présentation à Québec à l’hiver 2020, la pièce Les Plouffe a ébloui public et critiques et remporté plusieurs prix de théâtre. Cette production, reprise à Montréal jusqu’au 21 octobre, nous arrive après plusieurs reports en raison de la pandémie de COVID. Cela ne pouvait mieux tomber. Le Théâtre Denise-Pelletier, qui doit son nom à la comédienne qui a joué Cécile Plouffe à la télévision de novembre 1953 à juin 1959, célèbre ses 60 ans cette année. Quelle belle manière d’entamer cette saison anniversaire!
Le MEM – Centre des mémoires montréalaises, un miroir de Montréal et sa population
Le 18 novembre 1983, le maire de Montréal Jean Drapeau inaugurait le Centre d’histoire de Montréal dans l’ancienne caserne de pompiers no. 1 sur la place d’Youville. Quarante ans plus tard, Valérie Plante procédait, le 28 septembre dernier, à l’ouverture officielle du MEM – Centre des mémoires montréalaises. Ce musée, situé à l’angle des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine dans le Quartier des spectacles, remplace l’autre avec une vocation rafraîchie au goût du jour et des pratiques muséales contemporaines.
Quand on entre au MEM, on est immédiatement téléporté dans le passé. Au-dessus de nos têtes, dans l’escalier qui mène à l’étage du musée (il y a également un ascenseur), sont rassemblées des parties d’enseignes qui ont illuminé le paysage montréalais pendant des années jusqu’à ce qu’on les décroche. Le CBC jaune et rouge qui trônait au 1400, Dorchester Ouest, le Bens, le 281, la Boîte noire, le spectaculaire néon de l’église Saint-James, toutes ces pièces font partie de la collection du professeur de l’Université Concordia Matt Soar, initiateur du Projet d’enseignes de Montréal. On ne pouvait trouver meilleur lieu d’exposition pour ces vestiges du passé.
Une fois qu’on a passé cette impressionnante entrée, on débouche sur un espace public qui sera accessible gratuitement en tout temps. Dans ce foyer, on retrouve à droite la boutique du MEM, qui prend des allures de dépanneur, à gauche, l’entrée du Cabaret, une nouvelle salle de spectacle pouvant accueillir une centaine de spectateurs, un hommage aux peuples autochtones, une murale du collectif EN MASSE, un rappel des boules multicolores de Claude Cormier, des éléments du décor urbain montréalais comme un escalier, un balcon, un lampadaire, des bancs de parc, et même une installation qui s’amuse de la complexité du stationnement sur rue, avec en prime un cône orange. Bref, ce condensé de Montréal nous prépare aux salles d’exposition, qui ont comme vocation de raconter l’histoire de cette ville à ses habitants.
Disons-le, le MEM a joué de malchance. Son fournisseur de service pour la mise en place de l’exposition permanente du musée a fait faillite il y a quelques semaines, arrêtant net le montage plutôt complexe de ce genre de présentation qui compte une bonne part de technologie. L’ouverture de cette partie payante du musée devra donc attendre.
En attendant, on peut visiter gratuitement deux expositions temporaires, une montée par Urbania, Détours – Rencontres urbaines, et l’autre, intitulée Célébrer Le Chaînon: 90 ans de dévouement pour les femmes. Cette dernière est présentée dans un espace citoyen que le MEM met à la disposition d’organismes communautaires.
Si vous pensiez connaître ce lieu qui héberge des femmes dans le besoin et qui sert annuellement 72 000 repas, eh bien, vous allez être surpris de la longue histoire de cette organisation.
Quatre-vingt-dix ans, cela nous ramène en pleine crise économique. Devant les immenses besoins de son époque, Yvonne Maisonneuve fonde l’Institut Notre-Dame-de-la-Protection, qui offre un hébergement sécuritaire et gratuit aux femmes défavorisées. Cette laïque, qui sera très encouragée par le cardinal Léger au fil des ans, s’entoure de bénévoles pour l’aider.
En 1951, Yvonne Maisonneuve a cette phrase qui porte encore aujourd’hui: «Quand on n’a rien à donner, on donne de soi.»
On apprendra au fil de l’exposition comment le principe des Associées s’est ajouté au mode de fonctionnement de cette mission, pour ensuite intégrer, devant l’ampleur de la tâche, du personnel salarié. L’œuvre, qui est devenue Le Chaînon en 1978, a aussi bénéficié d’un grand soutien de la communauté artistique, qu’on pense à la contribution inestimable d’Yvon Deschamps et Judi Richard pendant plus de 30 ans.
L’exposition sur les 90 ans du Chaînon débouche sur un bel espace lumineux baptisé le Belvédère, qui offre une vue splendide sur l’esplanade Tranquille, de l’autre côté de la rue Sainte-Catherine.
Un dernier mot sur l’œuvre résultant de la politique du 1% du budget du projet consacré à l’art public. On la retrouve dans la fenêtre de la salle du Cabaret donnant sur le boulevard Saint-Laurent.
Les constellations de l’hippocampe de l’artiste Raphaëlle De Groot est constitué de pièces en métal reliées ensemble comme s’il s’agissait d’un collier géant. L’artiste parle plutôt d’un «ruban lacté» formé de «clefs de mémoire» serti de «sept nébuleuses en bronze». Plus de 350 personnes ont contribué à ce projet. Elles étaient invitées à faire un dessin de ce que Montréal représentait pour eux. Les dessins des participants ont été reproduits sur les 665 pièces métalliques que compte l’œuvre.
Voilà une installation à l’image de la mission du MEM, c’est-à-dire qu’elle célèbre la mémoire des Montréalais.
Le MEM – Centre des mémoires montréalaises ouvrira ses portes à compter du 6 octobre (fermé les lundis). L’accès est universel.
Aliocha Schneider: Y a tout à espérer de lui
Acteur, auteur, compositeur, interprète, le Montréalais Aliocha Schneider a tous les talents, le physique avantageux de sa fratrie (Niels, Volodia, Vassili), et une blonde qui s’appelle Charlotte Cardin. À 30 ans, il vient tout juste de faire paraître un troisième disque qui tranche avec ses deux précédents en anglais et plutôt rock (Eleven Songs, Naked). En français, il a trouvé un ton, un son, un propos qui colle davantage à son image. Ça arrive de moins en moins souvent, mais voilà un disque dont j’aime tous les titres. La bulle qu’il a créée est séduisante de la première à la dixième chanson. Contrairement à ce qu’il dit sur l’excellente Avant elle, y a tout à espérer de lui.