Madame Duranceau, réveillez-vous!
Avec son projet de loi 31 (PL 31), la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a une chance en or de régler enfin plusieurs injustices qui frappent les personnes aînées en matière de logement, notamment pour les résidences pour aînés (RPA).
Comme l’a fait valoir le Réseau FADOQ en commission parlementaire, il est impératif que la ministre rééquilibre le marché en faveur des locataires. Et ce n’est pas un petit problème: 17% des aînés québécois de plus de 75 ans vivent en RPA, soit le double de la moyenne canadienne. Une politique d’habitation décente doit donc tenir compte des RPA et corriger la situation, qui pour l’heure avantage outrageusement les propriétaires. Le système de santé commence enfin à valoriser le maintien à domicile des aînés, mais encore faut-il qu’ils aient accès à un domicile convenable!
La réglementation actuelle est une courtepointe de règles disparates. Ces dispositions remontent à une trentaine d’années, à une époque révolue où les taux d’inoccupation très élevés offraient de réelles possibilités de relogement pour les locataires insatisfaits. Nous sommes maintenant à une tout autre époque, où cette option a quasi disparu. Le PL 31 pourrait faire une différence à condition qu’il règle des injustices dont les aînés font les frais.
La fameuse clause F
La disposition la plus injuste concerne le droit pourtant fondamental de contester une hausse de loyer. Or, les propriétaires de RPA profitent d’une clause, surnommée clause F, qui empêche de contester toute hausse de loyer pour une RPA neuve de moins de cinq ans! Cette exclusion inclut les immeubles anciens réaffectés en RPA.
Les propriétaires justifient cette exception sur la base des imprévus. Les surprises étant nombreuses sur les chantiers de construction et de rénovation, ils exigent une politique de fixation de loyer qui leur permet de se reprendre.
Dans sa formulation actuelle, le projet de loi 31 exigerait seulement des propriétaires qu’ils dévoilent d’avance la hausse maximale possible sur ces cinq années. Un tel effort de transparence n’a aucun sens puisque c’est l’exclusion qui est injuste. À la rigueur, on peut imaginer que les factures du nouveau propriétaire ne sont pas toutes entrées la première année, mais cinq ans? Dans le contexte où les solutions de rechange au relogement n’existent pratiquement plus, cette exclusion équivaut à un chèque en blanc qui autorise tous les abus – ce dont certains propriétaires de RPA ne se privent pas.
Dans la même veine, le PL 31 doit absolument autoriser les contestations conjointes de hausses de loyer en RPA. Actuellement, ce n’est pas possible. Si un propriétaire impose une hausse démesurée à ses 350 locataires, chacun doit, individuellement, faire une contestation et la décision du Tribunal administratif du logement (TAL) ne s’applique qu’au locataire en question, pas à ses voisins!
En plus de favoriser l’engorgement du TAL, une telle interdiction équivaut à un déni de droit pour des locataires, dont la moyenne d’âge est de 82 ans, souvent affaiblis et malades, et qui redoutent les représailles.
Cette restriction est d’autant plus injuste que la refonte précédente de la loi en 2022 (le projet de loi 37) avait justement autorisé les contestations groupées pour les dispositions illégales (par exemple, l’exigence d’un dépôt de garantie) ou pour un service non rendu. Le gouvernement avait même permis aux locataires de se faire représenter au TAL par un mandataire de leur choix. Ce progrès devrait être étendu à l’injustice la plus flagrante, qui est celle des hausses abusives. Logiquement, toute hausse au-dessus des seuils annuels permis par le TAL devrait être considérée comme suspecte, ce qui autoriserait la contestation conjointe.
Autre revendication: l’encadrement des prix des services. Actuellement, les services à la personne offerts (prise de sang, lavage, frais administratifs, etc.) peuvent varier grandement d’une RPA à l’autre. De telles variations n’ont pas beaucoup de sens. Le ministère devrait instaurer une grille tarifaire comme il le fait en santé, par exemple, et cette grille devrait être uniformisée régionalement.
Mais cet encadrement devrait également inclure la valeur des parties collectives du loyer. Bien des locataires choisissent une RPA pour sa salle commune, sa salle de sport, sa bibliothèque, sa cafétéria, ou sa piscine. Mais si un service est interrompu temporairement ou de manière permanente, à combien doit se chiffrer le remboursement? Parce que cette information est indisponible sur le bail, les querelles sont longues et l’équité des décisions du TAL est toujours remise en doute.
Enfin, le PL 31 devrait absolument réviser l’article 1959.1 du Code civil qui interdit l’éviction de locataires de plus de 70 ans. Si le principe est juste, les seuils d’admissibilité sont trop contraignants.
À 70 ans, c’est tard – soit huit ans après la moyenne des départs à la retraite au Québec. De plus, le locataire doit avoir occupé son logement plus de 10 ans: la chose devient de plus en plus rare. Enfin, le seuil de revenu annuel admissible devrait être haussé d’au moins 50% sinon doublé. Il est actuellement basé sur le règlement sur l’attribution des habitations à loyer modique (HLM) et le montant varie selon la région (entre 13 000$ par an à Matane, et un peu plus de 19 000$ à Montréal). Au prix du marché locatif actuel, ce seuil correspond presque au coût annuel d’un logement!
La vocation sociale du logement
Mais le PL 31 ne sera qu’un pansement sur une jambe de bois si la ministre Duranceau n’agit pas de manière fondamentale pour favoriser davantage de diversité par la gestion collective.
On assiste à une réduction dramatique du nombre de petites RPA, une situation qui affecte d’abord les régions. Entre 2008 et 2019, le nombre de RPA de neuf logements et moins a diminué de 55% en 20 ans. La catégorie des 10 à 29 logements a diminué de 16% sur la même période et de 11% pour celle des 30 à 49 logements. Sur seulement 11 ans, c’est énorme quand on considère qu’inversement, les RPA de 100 logements et plus ont augmenté de 70%, et ce mode d’habitation favorise surtout les grands centres.
Le ministère, s’il souhaite réellement favoriser le maintien à domicile des aînés et entretenir le tissu social des régions, doit donc faire deux choses.
D’abord, moduler ses règlements et ses subventions pour favoriser les RPA de moins de 100 logements, et plus particulièrement les moins de 50. Il l’a d’ailleurs fait pour son programme de soutien financier pour l’installation de gicleurs. Or, la tendance est plutôt à offrir les mêmes subventions à toutes les RPA sans tenir compte de leur taille, ce qui avantage évidemment les grosses.
L’autre chose à faire serait d’encourager les modèles alternatifs de propriété. Il faut davantage de RPA en coopérative ou en organisme à but non lucratif (OBNL). La gestion collective, qui n’est pas orientée sur le profit, favorise des loyers plus abordables et donc les aînés financièrement vulnérables. Ces immeubles en gestion collective sont également moins sensibles aux conversions en simples immeubles à logements, une autre plaie qui guette les locataires de RPA. Le gouvernement devrait carrément interdire cette pratique, ou à tout le moins l’encadrer afin que le repreneur soit une coopérative ou un OBNL d’habitation.
En fait, au-delà de la propriété collective, le ministère de l’Habitation devrait encourager tous les modèles alternatifs, comme les maisons intergénérationnelles. Mais de nombreuses municipalités interdisent de rediviser des maisons unifamiliales, une mesure qui favoriserait le maintien à domicile des personnes vieillissantes, et qui réduirait la pression sur les RPA.
Il est donc impératif que la ministre France-Élaine Duranceau, qui est comptable et courtière immobilière, comprenne que son ministère n’est pas simplement à dimension économique. Sa première vocation est avant tout sociale et sa ministre devrait agir dans ce sens avec conviction au lieu de se borner à des réformes cosmétiques.