Nathalie et sa maman Minou: histoires de Petrowski
Nathalie Petrowski est une des femmes journalistes les plus connues du Québec. On l’a beaucoup lue dans La Presse, on se souvient d’elle à La bande des six, elle a été scénariste et romancière, aujourd’hui ce sont les émissions C’est juste de la TV et Pénélope qui font entendre sa voix dans nos maisons. Depuis bientôt 50 ans, sa spécialité, c’est de dire les choses sans faux-fuyants avec une verve décoiffante. Son plus récent ouvrage, un récit sur sa mère Minou Petrowski, n’y manque pas. La vie de ma mère, aux Éditions La Presse, est d’autant plus remuant qu’on a tous une mère à comparer avec la sienne.
Nathalie Petrowski est née à Paris en 1954 d’une mère abandonnée par ses parents naturels à la naissance et d’un père qui doit son patronyme aux origines ukrainiennes de ses géniteurs. À sa naissance, la petite est confiée à ses grands-parents paternels qui vivent à Nancy. Georgette (le vrai prénom de Minou) et André délèguent leurs responsabilités parentales pendant cinq ans, jusqu’au jour où le couple décide de repartir à zéro au Canada. Dans une ville nommée Ottawa, Minou sera maquilleuse à CJOH, station de télé privée de la capitale, et André, représentant pour une compagnie qui vend des fauteuils qui vibrent.
Je me permets ces quelques détails pour illustrer un fait. Voilà une famille immigrante typique obligée d'apprendre les codes d'un nouveau pays, mais qui, 60 ans plus tard, peut s’attribuer le mérite d’avoir contribué à transformer leur société d’accueil en défendant sur les tribunes qu’ils s’approprieront des modèles différents de vivre et de penser. Minou à Femmes d’aujourd’hui et sur les ondes radio à parler de cinéma, André, à l’Office national du film (ONF), entre autres comme réalisateur, et Nathalie, comme observatrice intransigeante dans les médias.
Mais à lire Nathalie Petrowski, on comprend que le combat que ses parents mènent pour exister sera préjudiciable à leur vie de couple, et dans le cas de Minou, puisque c’est elle le sujet du récit, se sera au détriment de son rôle de mère.
Cette femme, blessée par la trivialité de ses origines, qui trouve refuge dans la fiction, qui revendique l’indépendance et la liberté dans les bras d’hommes plusieurs années plus jeunes qu’elle, deviendra au fil des ans l’exemple à ne pas suivre pour sa fille.
Dans cet épanchement de 133 pages, où le lecteur est pris à témoin, Nathalie Petrowski retourne la situation dans tous les sens. Elle dit une chose et son contraire à propos de sa défunte mère. Les anecdotes qu’elle raconte tiennent souvent du procès, mais aussitôt dites, la culpabilité l’incite à tenter de justifier les comportements préalablement dénoncés. L’auteure n’hésite pas à devenir aussi sa propre juge.
Ces mots, à mi-parcours du récit…
«… j’écris sur ma mère pour ressentir quelque chose que je ne ressens toujours pas. Comme si sa mort avait glissé à la manière du sable sur la sécheresse de mes émotions. Comme si j’étais coincée dans une sorte de désert émotif dont je n’arrive pas à m’extraire.»
C’est un livre qui est dur. Si ce n’était que la relation entre la mère et la fille, on pourrait se contenter d’observer ce duel sur les lignes de côté. Mais La vie de ma mère est aussi une réflexion sur le vieillissement qui rime avec dépérissement. Particulièrement quand le processus est empiré par la maladie. Dans le cas de Minou Petrowski, on parle d’un diagnostic tardif de la maladie à corps de Lewy, «une forme de trouble neurocognitif qui attaque les zones du cerveau responsables de la réflexion et du mouvement».
Avant de connaître les effets sournois de ce syndrome, Nathalie Petrowski croyait que les crises de sa mère n’étaient que du cinéma, un art dont sa matriarche connaissait toutes les ficelles. Une médication appropriée a fait naître l’espoir d’une fin de vie moins tourmentée, mais un jour, un accident vasculaire cérébral (AVC) a sonné le glas des illusions. Il aura fallu à la fille aussi ingrate qu’obligée se rendre à l’évidence que sa mère était fichue. Sa formule pour le dire est extrêmement touchante.
«… son esprit s’était éteint en ne laissant que la veilleuse de son corps allumé.»
Nathalie Petrowski nous a habitués à ce que les flots de sa prose créent des remous intérieurs chez qui la lit. Dans ce livre sur sa mère morte, probablement son ouvrage le plus personnel et douloureux, elle nous brasse au point de nous donner le mal de «mère». Si, comme elle, la traversée avec la mère a été tumultueuse, on sera bouleversé par ce récit. Si celle qui nous a mis au monde nous manque, on sera bouleversé aussi, mais cela permettra de réaliser combien il est précieux d’avoir eu une bonne mère.
Des anniversaires pour se souvenir
Les 20 ans du Quartier des spectacles
Cette année, le Quartier des spectacles de Montréal a 20 ans. Une belle occasion de revenir sur le chemin parcouru depuis qu’un groupe d’acteurs majeurs de la scène culturelle montréalaise ont uni leurs efforts pour faire d’un petit kilomètre carré du centre-ville, le cœur culturel de Montréal. Ce faisant, ils ont donné toute sa noblesse au mot partenariat.
Une exposition gratuite et en plein air a été conçue pour raconter au public cette réussite.
Vibre ensemble, 20 ans d’expériences mémorables se décline en six tableaux déployés le long de la promenade des Artistes, entre les rues Saint-Urbain et Jeanne-Mance.
On y évoque en son et images, les multiples facettes de ce qu’est le Quartier des spectacles: un lieu de divertissement, de création, de vie et d’apprentissage.
On décortique cette machine incroyable qui réussit à faire vivre le centre-ville à toute heure du jour, quatre saisons par année.
Les photos nous rappellent plusieurs des innombrables moments mémorables que le Quartier des spectacles a générés sur son territoire depuis 2003.
Les témoignages d’artistes, de festivaliers, de touristes, d’organisateurs d’événements, de résidents rendent concret l’intangible effet que cet environnement polymorphe peut avoir sur les cœurs et les âmes.
À l’issue de ce parcours, on réalise la chance que nous avons d’avoir un tel cœur qui bat au centre de notre cité. On comprend aussi pourquoi ce quartier fait l’envie de tant de villes à travers la planète. Je n’invente rien, le partenariat du Quartier des spectacles ne cesse de recevoir des visiteurs de partout, curieux de connaître la recette de cette réussite. Ça, c’est sans parler des créations du Quartier des spectacles qui voyagent à travers le monde.
L’exposition est présentée en tout temps, jusqu’au 12 novembre.
Si vous passez par là quand il fait nuit, vous pourrez par la même occasion voir, sur le mur du pavillon Président-Kennedy de l’UQAM, une vidéoprojection hommage à 25 personnes qui ont contribué à faire du Quartier des spectacles un carrefour culturel ouvert à toutes les disciplines, toutes les générations, toutes les origines.
Ça part d’un Yvon Deschamps, qui détient toujours le record du plus grand nombre de spectacles à la Place des Arts, aux créatrices du projet 21 balançoires. L’œuvre numérique 20 ans d’audace et de culture de l’artiste Elizabeth Laferrière dure une douzaine de minutes.
Pendant ce temps, la vie continue au Quartier des spectacles avec plusieurs propositions d’animation.
En déambulant sur la portion de la rue Sainte-Catherine comprise entre Jeanne-Mance et Saint-Urbain, vous serez amusés par quelques installations temporaires qui jouent avec les codes urbains.
En bordure de la rue piétonne, on ne peut pas résister à l’envie de se prendre en photo devant les voitures renversées du Lyonnais Benedetto Bufalino, les portières d’autos fleuries du collectif La Camaraderie ou les panneaux de signalisation ludiques de Cécile Gariépy.
Ceux qui ont la fibre plus horticole auront sans doute beaucoup d’intérêt à ausculter les arbres en pot disséminés dans le Quartier des spectacles. Dans le cadre d’un projet mené avec l’Université du Québec à Montréal, 21 des 93 arbres en pot du quartier ont été munis de capteurs qui collectent des données sur leur état de santé et les bienfaits qu’ils apportent à l’environnement. Un code QR permet aux passants de consulter ces informations. Cette initiative fait partie du plan de verdissement du Quartier des spectacles.
En complément, on pourra assister ce week-end à un déambulatoire sur le thème du verdissement. Neuf créatures sylvestres créées par la compagnie de théâtre de rue Toxique Trottoir feront une procession rue Sainte-Catherine en direction de l’esplanade Tranquille.
L’événement Le chant de l’arbre sera répété tous les soirs à 19h jusqu’à dimanche.
Les 60 ans de la Place des Arts
L’Histoire avec un grand H a ça de bon, elle permet toujours de relativiser les événements. Oui, le Quartier des spectacles a 20 ans mais, avant lui, il y a eu la Place des Arts (PDA), et ça fait 60 ans cette année qu’elle attire les amateurs d’art de la scène au centre-ville. Si chaque jour est un spectacle à la PDA, on parle de 22 000 jours depuis l’inauguration des lieux par Wilfrid Pelletier et l’Orchestre symphonique de Montréal.
Pour souligner cet anniversaire, Martin Bundock, de Montréal en Histoires, a eu la mission de dresser la ligne du temps de l’institution, du 21 septembre 1963 au 21 septembre 2023. Dans l’espace autrefois occupé par la boutique du Musée d’art contemporain et le magasin Parchemin, Martin Bundock a créé, avec ses collaborateurs, une fresque de 220 pieds linéaires qui raconte les grands moments qui ont eu lieu dans ce qui est encore, à ce jour, le plus vaste complexe culturel au Canada. Plus de 200 événements sont évoqués. Ah, tiens! Ça représente à peu près 1% de ce qui s’est passé, l’équivalent de ce que la politique québécoise d’intégration des arts en architecture exige depuis 1961.
Il y a des pépites dans cette Traversée artistique. Qui se souvient que Guilda, l’ancêtre des drag queens, y a présenté une série de spectacles en 1965? Que Léo Ferré a écrit, après un récital en 1966, que Wilfrid-Pelletier était une des plus belles salles au monde? Que les étudiants de l’École du meuble lançaient de la peinture sur les spectateurs venus voir l’Osstidcho en 1969?
Cette balade sur la ligne orange de Martin Bundock nous permet de cheminer dans le temps, de Fernand Gignac (oui, oui, il a chanté Donnez-moi des roses à la PDA) à la récente visite d’Herbie Hancock au Festival international de jazz de Montréal (FIJM), en passant par le mémorable show acoustique de Jean Leloup, et avec un coup de chapeau particulier aux piliers qu’ont été Yvon Deschamps, Claude Léveillée, Diane Dufresne, Oscar Peterson.
On sortira de là avec des étoiles dans les yeux… et le sourire de Paul Anka.