Texte Présenté par la Maison 4:3
Une femme respectable, un film de Bernard Émond
Pour son neuvième long métrage de fiction, Bernard Émond signe avec Une femme respectable un autre de ces portraits intimistes et nuancés dont il maîtrise si bien les codes. Une fois de plus, le réalisateur d’Une femme qui boit, La neuvaine, La donation et 20 h 17 rue Darling explore l’âme humaine avec ses contradictions, ses pulsions et ses combats intérieurs. Mettant en vedette Hélène Florent et Martin Dubreuil qui livrent ici une excellente performance toute en retenue et en intériorité, Une femme respectable prendra l’affiche au Québec le 18 août prochain. Le film se déroule au rythme des longs mois d’hiver paralysant les cours d’eau, qui pourtant continuent de bouillonner et de couler sous leur épaisse couche de glace.
À Trois-Rivières, dans le silence et la blancheur glaciale de l’hiver 1930, Rose Lemay, une femme coincée entre son sens du devoir et ses propres désirs, accepte, sur les conseils du notaire et du curé, de reprendre chez elle son mari adultère, qui l’a quittée 11 ans auparavant et qui est désormais père de trois fillettes. Exilé pendant une dizaine d’années avec sa concubine et leurs enfants aux États-Unis, Paul-Émile Lemay se retrouve désormais dans la misère des années 1930, et seul avec ses filles après la mort de leur mère emportée par la tuberculose. Rose, d’abord réticente, finira par ouvrir la porte de sa riche demeure. Rigide et froide, elle n’a pourtant rien de la femme résignée et non seulement elle imposera ses règles – il n’y aura pas de vie maritale, les filles viendront vivre avec eux et elle se chargera de leur éducation –, mais elle orchestrera également elle-même la fin de l’histoire… et obtiendra finalement ce qu’elle voulait sans doute vraiment.
Pour écrire le scénario d’Une femme respectable, Bernard Émond a adapté une nouvelle du célèbre écrivain italien, Luigi Pirandello, Toute la vie, le cœur en peine (Pena di vivera cosi), tirée du recueil Première nuit et autres nouvelles, paru dans les années 1920. Pirandello aussi aimait mettre en lumière les contradictions et la complexité humaines dans ses œuvres où les bons ne sont pas toujours parfaits et les méchants pas toujours noirs. Mais c’est surtout pour cette femme, Rose Lemay (madame Leuca, dans la nouvelle de Pirandello) que Bernard Émond a voulu adapter l’œuvre pour le grand écran. «À cause de sa force, de sa dignité, à cause aussi de ses blessures, explique le réalisateur. […] Ce mélange de lucidité et d’aveuglement me fascine.»
«Ce n’est pas la première fois dans ma vie de cinéaste, que je ‘’tourne autour d’une femme’’, ajoute le cinéaste. Les femmes courageuses qui refusent d’être victimes malgré les épreuves qui les accablent, les femmes qui prennent en main leur destin, qui aiment jusqu’au bout, m’impressionnent.»
Hélène Florent incarne parfaitement cette femme qui refuse d’être la victime. La comédienne, primée pour son rôle dans Café de Flore et qu’on a aussi vue au grand écran dans Sarah préfère la course, Les oiseaux ivres et Maria Chapdelaine, a aussi conquis le cœur du public dans des séries télévisées à succès comme La galère, Toute la vérité, La dérape, Unité 9 et, plus récemment, Eaux turbulentes. La comédienne démontre une fois de plus l’étendue de son registre.
À ses côtés, Martin Dubreuil, qui a débuté au cinéma avec Pierre Falardeau dans Elvis Gratton II, Elvis Gratton III et 18 février 1839 et s’est fait connaître dans de nombreuses séries télé et des films comme 10 ½ et Les sept jours du Talion, campe avec justesse le personnage de Paul-Émile Lemay, ce mari déchu en proie à ses désirs, ses faiblesses et ses remords, et qui, issu d’un milieu modeste, se sent écrasé par le port de tête royal de sa femme.
Lancé en première mondiale au 40e Filmfest de Munich le 28 juin dernier, le film est produit par Bernadette Payeur, qui a à son actif de productrice de nombreux titres, comme La femme de l’hôtel, Le party, Cap tourmente, L’erreur boréale, Elvis Gratton, 15 février 1839 et la plupart des films de fiction de Bernard Émond, dont le tout premier, La femme qui boit. Une femme respectable marque leur neuvième collaboration.
On retrouve également à l’écran Paul Savoie dans le rôle du curé Latreille, Normand Canac-Marquis dans celui du notaire Raymond, Brigitte Lafleur (madame Turpin), Marilou Morin (Mary) et, dans les rôles des trois fillettes, Juliette Maxyme Proulx, qui incarne avec beaucoup de justesse Claire, 10 ans, Justine Grégoire (Thérèse, 8 ans) et Thalie Rhainds (Juliette, 5 ans).
Si le film se déroule essentiellement à l’intérieur de la maison cossue, mais légèrement étouffante, de Rose Lemay, les paysages d’hiver sur la rivière gelée sont d’une saisissante beauté. À souligner: l’excellente trame sonore sous la direction musicale de Robert Marcel Lepage. La musique de Fauré, de Chopin et de Brahms qui colle parfaitement aux mouvements intérieurs des personnages et à l’avancée retenue, mais certaine, de Rose Lemay, semble émaner à la fois des murs tapissés et de la rivière gelée.
Bernard Émond, détenteur d’une maîtrise en cinéma ethnographique, a débuté sa carrière comme documentariste au Nunavik. Est-ce parce qu’il avait déjà ce regard ou parce qu’il a dû apprendre à observer pour ses premiers films qu’il sait laisser la caméra s’approcher des êtres, jusqu’à ce que leur âme transcende l’écran? Quoi qu’il en soit, il sait mettre en scène les nuances, les silences et les regards des personnages qui devant ses caméras sont émouvants de vérité et de profondeur.
Une femme respectable
En salle le 18 août