L’été des premières fois
J’avais prévu passer tout l’été au Québec. Je m’imaginais gambader dans les sentiers du parc Michel-Chartrand, à Longueuil, visiter mes parents au Lac-Saint-Jean et tester toutes les terrasses de Montréal. Puis, c’est arrivé: ma fille de 16 ans a acheté son premier billet d’avion avec ses économies.
Sa destination: la France pour aller rejoindre une amie qui séjournera à Paris avec sa mère et sa grand-mère avant d’aller rendre visite à sa tante avec une autre copine dans le Beaujolais. Qu’elle prenne l’avion seule ne m’angoisse pas le moins du monde. Mais qu’elle se dépatouille en arrivant à Paris, avec le chaos du RER, du métro, etc.?
J’ai revu mes plans quand j’ai aperçu, l’espace d’un instant, l’angoisse traverser le regard de mon mari, l’homme le plus relax du monde. Au moment de donner son accord au départ, il n’avait pas envisagé le scénario de l’arrivée. En Europe, j’irai donc en ce début d’été. Pas pour m’immiscer dans son projet – seulement pour m’assurer que l’atterrissage se fasse en douceur.
Que fait une journaliste voyage quand elle planifie un séjour outre-Atlantique? Elle repère mille et une idées de reportages. Elle en profite aussi, au passage, pour réaliser quelques rêves, comme se poser sur l’île de Leonard Cohen, Hydra, en Grèce, découvrir la Corse par la mer, passer quelques jours avec des copines près de Nantes et rendre visite à Sarah Bernhardt, au Petit Palais à Paris.
J’aime passionnément l’Europe, moi qui ai pourtant repoussé ma rencontre avec ce continent le plus tard possible, me disant que j’aurais tout le temps de le sillonner «dans mes vieux jours». J’aime son histoire et ses histoires, ses spécialités culinaires, ses langues, ses cultures et, par-dessus tout, la possibilité d’explorer villes et villages à pied. J’aime moins voir les prix atteindre des sommets vertigineux, par contre.
Contrairement à ma fille, qui a eu la chance de s’y rendre à une dizaine de reprises avant ses 10 ans, j’ai foulé le sol du continent européen pour la première fois à l’âge de 23 ans. C’est un peu par hasard que j’ai choisi Lisbonne pour ce baptême riche en émotions. J’étais loin de me douter, à cette époque, que mon amour du voyage irait en grandissant, au point que j’en ferais mon métier. À ce moment, j’étais plutôt déboussolée, ne sachant pas trop ce que j’allais chercher si loin de chez moi.
J’ai vite compris. C’est grâce au voyage que j’ai appris à me délester du poids de ma propre ambition, que j’ai fixé certains traits de ma personnalité, que j’ai tissé des amitiés durables, que j’ai mieux compris comment gérer mon anxiété et que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari.
J’ai transmis à ma fille mon amour de l’ailleurs, mais aussi ma curiosité, mon besoin d’indépendance et ma soif de liberté. L’auberge espagnole, mon film-thérapie pendant des années, est devenu l’un de ses favoris. Nous avons rêvé et réfléchi ensemble en regardant la série Salade grecque, sur Prime Video, qui met en vedette les enfants de deux des protagonistes, Xavier et Wendy, une vingtaine d’années après le dernier opus de la trilogie. Dois-je m’étonner si, comme eux, ma fille contemple la possibilité d’aller vivre à l’étranger?
Au moment où je rédige ces lignes, j’en suis à valider les derniers détails de mon séjour imminent. Ma valise – de taille cabine – est ouverte au pied de mon lit. Les vêtements s’entassent à côté. C’est l’heure des décisions crève-cœur. J’apporte un ou deux chandails chauds? Mes bottes de rando ou seulement mes chaussures de course? Il me reste une petite brassée à faire, quelques courses, des textes à livrer et hop! l’été pourra officiellement commencer.
Après avoir accueilli ma fille à Paris et m’être assurée qu’elle est bien rendue chez sa tante, je reviendrai à la maison retrouver son père. Dix jours à deux. Ce sera la première fois depuis sa naissance que nous serons seuls plus de 48 heures. Je ne peux m’empêcher d’y voir une sorte de répétition pour ce qui nous attend dans quelques années. Je ressens une grande bouffée de nostalgie, bien sûr, mais surtout une grande fierté de voir notre «bébé» prêt à déployer ses ailes. Son assurance m’émeut. Le plus difficile pour moi ne sera pas de la laisser partir, mais de résister à l’envie d’aller la rejoindre!