Livres de la semaine
Conte de fées, Stephen King
Il faut l’avouer, retrouver dans une même phrase «Stephen King» et «conte de fées» est plus qu’improbable. Mais voilà que Stephen King nous réserve une belle surprise, qui pourrait décontenancer tous ses lecteurs habituels. Conte de fées, le dernier roman de King, étonne, aussi bien par le sujet du récit que par l’atmosphère dans laquelle il nous baigne. Très rapidement, on se laisse prendre au jeu, on plonge dans l’histoire avec délice et on est happé du début à la fin, en oubliant presque que cet auteur a déjà écrit des romans comme Carrie, Shining, l’enfant lumière, Ça et Misery. Pour une fois, le maître fait de la place à ceux qui ont l’horreur… en horreur!
«Je restai planté là malgré tout, ma lampe à la main, paralysé par la peur. La peur de quoi? De l’inconnu: la chose la plus effrayante qui soit.» - Page 210
Les escaliers en colimaçon
Dans le premier tiers de Conte de fées, nous faisons connaissance avec Charlie, jeune adolescent de 17 ans, sportif, populaire, qui réussit bien tout ce qu’il entreprend. À la suite de la mort accidentelle de sa mère, il vit seul avec son père, qui sombre dans la dépression et dans l’alcool. Son monde s’écroule. Puis la rencontre d’un vieil homme «bougonneux» et de son chien viendra transformer sa vie. Voici le premier escalier en colimaçon: commence alors une relation qui va se développer tout simplement, marche par marche, doucement, et qui tracera le portrait de ces personnages dans une ode à l’amitié, décrite de façon magistrale par Stephen King. Des pages fascinantes!
Dans la cour arrière de la maison du vieux monsieur Bowditch, il y a un cabanon à la porte cadenassée. Parfois, Charlie y entend de drôles de bruits. Un jour, par curiosité et nécessité, Charlie franchira cette porte étrange, et dans la remise de jardin, il fera une découverte étonnante. Un autre escalier en colimaçon qui le conduira dans un monde parallèle, là où prend tout son sens le titre du roman. Le jeune adolescent y découvrira un monde post-apocalyptique où l’espoir est mort et la peur est devenue la «maîtresse des lieux».
Voilà donc un «terrain de jeu» où le maître du suspense peut laisser éclater son imaginaire. King nous décrit un monde noir où les quelques endroits encore colorés ont d’étranges façons d’être: un cheval qui parle, un cadran solaire qui remonte le temps, une cordonnière philanthrope, des gens gris et, bien sûr, quelques monstres bien méchants, pour agrémenter le tout. Pas trop d’horreur, juste une touche (il faut bien entretenir sa réputation d’auteur de romans d’horreur!).
Quand vous aurez mis la main sur l’énorme bouquin, prenez le temps de regarder l’illustration de la page couverture. Ce troisième escalier en colimaçon qui ressemble à l’œil d’un monstre trace exactement le portrait symbolique de ce qu’est ce roman: une descente lente et périlleuse vers un monde différent où l’amitié (même avec un chien) et l’amour peuvent peut-être gagner la partie. Charlie devra jouer un rôle important dans ce combat vers un monde meilleur, un scénario où son courage sera mis à rude épreuve.
Je tiens à souligner l’apport important des illustrations de Gabriel Rodriguez et de Nicolas Delort qui viennent ajouter une touche de mystère au récit tout en donnant vie à l’imaginaire de Stephen King.
Conte de fées, c’est aussi un hommage à la culture américaine, à certains auteurs marquants et à des œuvres qui ont habité l’adolescence de beaucoup de jeunes lecteurs et lectrices. Dont nous, bien sûr! Le roman est d’ailleurs dédicacé à trois grands auteurs: Robert E. Howard, le créateur de Conan le barbare, Edgar Rice Burroughs, le père de Tarzan, et à l’immense H.P. Lovecraft. En plus, tout le long de l’histoire, King parsème le récit de quelques référents culturels qui nous font sourire, entre autres Alice au pays des merveilles, Le magicien d’Oz, Le haricot magique, La guerre des mondes, Raiponce, Psychose et même quelques touches de Walking Dead. Enfin, le lecteur avisé découvrira parfois quelques clins d’œil à la politique américaine actuelle, et ce, tout en nuances et en subtilité.
Si le nom de Stephen King vous a toujours rebuté, voici un roman qui pourrait peut-être vous donner le goût de prendre (ou reprendre) contact avec ce grand écrivain contemporain. Raconteur hors pair, avec une écriture efficace et une dégaine à l’emporte-pièce, l’auteur, malgré plus de 700 pages, nous offre un récit où la lecture coule comme un ruisseau au printemps, vif, foisonnant et plein de rebondissements.
Si vous êtes fan, sautez sur l’occasion de trouver un Stephen King un peu différent, comme celui qui avait écrit Le talisman des territoires avec Peter Straub. Avec Conte de fées, Stephen King, le maître de l’horreur, nous démontre qu’il est parfaitement capable de sortir des sentiers qu’il a lui-même battus et qu’il peut en défricher d’autres avec autant de talent.
Du grand King!
Bonne lecture!
Conte de fées, Stephen King. Éditions Albin Michel. 2023. 729 pages.