Juste du gloss
Tant qu’on fera tout un plat des Martha Stewart, 81 ans, triomphante dans son maillot de bain à la une du Sports Illustrated, qu’on applaudira de voir ainsi des femmes âgées, bien dans leur peau, à la une des magazines, ce sera comme d’ajouter de l’eau à la mare au diable du diktat des apparences.
Certes, c’est super qu’une dame qui n’est plus toute jeune puisse jouir d’une vitrine depuis toujours octroyée à la jeunesse. Mais pouvons-nous y voir une ouverture à l’acceptation du vieillissement des femmes, de toutes les femmes? A contrario, ce que j’en comprends, c’est qu’il faudrait être en paix avec le vieillissement, à condition de bien vieillir. Puis-je rire en pleurant?
Soyez vieilles, mais soyez de belles vieilles. Heille. Gardez vos cheveux gris, c’est la mode! La mode de qui? Des Andie MacDowell? Pas sûre qu’en les portant courts, secs ou clairsemés, faute de budget pour les entretenir chaque semaine chez le top coiffeur d’Hollywood, avec les meilleurs soins qui soient, toutes les femmes pourraient s’accepter sans coloration capillaire.
Ce nouveau dogme hypocrite du «voyez comme on vous accepte comme vous êtes» m’exaspère parce qu’il y a encore là une proposition sournoise d’image normée à atteindre, doublée souvent, en plus, d’une valorisation du «rester naturel» encore loin d’être intériorisée chez toutes. Vieillissez, mais lentement. En restant naturelles... Pouvons-nous avoir une pause d’injonctions, rester du côté de la vraie vie?
La vraie vie est contenue dans un semblant de conversation matinale entre deux quadragénaires, broue dans le toupet, un mardi de semaine à Montréal: «Salut, heille, j’fais dur, j’ai pas eu le temps de me maquiller ce matin», se justifiait, gênée, Julie, mardi matin, 8h06, après être allée déposer ses enfants à l’école. Je m’entends encore lui répondre, en ouvrant la porte du café, accrochant mille personnes au passage avec mon sac, deux ou trois mèches de cheveux collées à mes lèvres: « Moi non plus, Julie, juste du gloss ce matin, juste du gloss!»
Oui, parce que, comme Julie, je suis gênée moi aussi de me montrer «à frette», comme j’aime le dire. Je garde ça pour quelques intimes. Et encore. Je me souviens que plus jeune, quand il m’arrivait à l’occasion de me réveiller avec une nouvelle personne qui ne m’avait vu qu’à mon «meilleur», je tenais à me lever avant, juste pour être certaine qu’elle ne me découvre pas toute pochée. Je m’en donnais du trouble pour être aimée... Vous savez quoi, vingt et quelques années plus tard, plus confiante, mieux armée, plus tendre envers ma propre image, le 100% naturel me fait encore peur, pire, je le refuse.
Les beaux compliments
Quand, au sujet d’une photo ou d’un passage à l’écran, des gens m’écrivent pour me complimenter sur mon apparence physique, oui, ça me fait plaisir – mea culpa judéo-chrétien de vanité –, mais en même temps, je sais, pour être honnête, tout le temps que cette amélioration a pris, le jeu de lumière, les prises et reprises de photos, l’expérience accumulée à force de me faire maquiller par des pros, les vêtements bien coupés, la chance que j’ai d’acheter des crèmes top qualité, de m’en faire offrir parfois, les traitements au laser qui me donnent un sacré coup de pouce et que je me paye à coups de contrats chèrement gagnés. Sans compter celles et ceux qui utilisent les filtres, les retouches fort flatteuses.
Oui, il y a de bonnes bases, la génétique, la santé, une propension au bonheur qui facilitent l’embellissement, mais ne jamais négliger de prendre en considération tous les à-côtés qui appartiennent aux privilégiées de ce monde, dont beaucoup de personnalités publiques vues à l’écran, dans l’univers virtuel ou parfois en présentiel, et auxquelles plusieurs se comparent, à qui ils aimeraient ressembler, en vain! En vain… à moins d’avoir un jour accès au même petit circuit lumineux de privilèges esthétiques. Et s’il peut être à portée de main, moyennant quelques bonnes adresses, il n’est pas à la portée de toutes les bourses.
J’en entends dire que les apparences ne comptent pas, que ce n’est pas important, qu’il faut arrêter de s’en faire avec ça, qu’il y a pire, d’autres combats à mener, etc. Parce qu’en plus de se sentir coupable de ne pas atteindre les standards proposés par la «société», il faudrait aussi se sentir coupable d’accorder de l’importance aux apparences? Comme si c’était superficiel, indigne, réducteur de vouloir y goûter un tant soit peu, toucher à notre tour au semblant de paradis des autres, artificiel ou pas.
Bien sûr que ce serait libérateur de pouvoir échanger d’estime personnelle avec ces personnes qui se sont affranchies des diktats de la beauté. Je rêverais, moi, de me réveiller dans la peau d’un mec qui s’habille, avale un café, se brosse les dents et qui peut ainsi commencer sa journée 15 minutes après le saut du lit. Tout ce temps gagné à faire fi des artifices. Un temps fou gagné à lire plus, à s’informer plus, à être plus longtemps auprès des enfants… Ces économies d’argent aussi! J’aimerais être capable d’en venir à me sentir si bien avec moi-même que je laisserais tomber l’application du sérum, de la crème de jour, de la crème pour le contour des yeux, du maquillage, de l’eau de toilette, du brossage de cheveux, bref, de la routine aliénante quotidienne qui varie d’intensité en fonction de l’horaire du jour.
Hélas, malgré les mantras, les thérapies, les «je-suis-donc-chanceuse- d’avoir-l’air-de-ce-que-j’ai-l’air», je sais aussi profondément et fort que la terre est ronde que tant que j’aurai toute ma raison, je ne m’accepterai jamais en mode 100% naturelle, que j’ai besoin de mon gloss, de mes «agréments d’apparence», en somme, de mon attirail de coquetterie, pour ressentir un semblant de confiance en moi.
Confidence: quand je n’applique pas de mascara, je me sens un peu désarmée. C’est ridicule, je sais. Je suis consciente que cette considération est superficielle à fond, que je vaux plus qu’un battement de cils maquillés, mais je n’arrive pas à me laisser porter par les flots du long fleuve tranquille du je-m’en-foutisme corporel. Quelle belle balade relaxante la vie doit être ainsi, à s’accepter à nue, à jeter l’éponge de la pression! C’est peine perdue. À moins d’aller vivre sur une île déserte, de ne pas craindre le jugement des animaux sauvages… ou des pirates! Je blague. Parce qu’il faut au moins commencer par savoir rire de soi. Ça, oui, je sais.