Indécence fiscale, ou tout ce qu’on pourrait faire avec 7 milliards $

En plus de favoriser les plus nantis, la baisse d’impôt que s’apprêterait à annoncer le gouvernement Legault priverait la société de 7 milliards $. Avec 7 milliards $ qu’il lance à tout vent, le gouvernement Legault serait en mesure de remplir toutes ses promesses aux aînés… et bien plus!



Une rumeur tenace veut que la pièce maîtresse du prochain budget qui sera présenté à Québec le 21 mars prochain réalise une grande promesse électorale: réduire les taux d’imposition d’un point de pourcentage pour tout le monde. Cela reviendrait à une réduction d’impôt à hauteur de plus de 800$ pour les contribuables qui gagnent 100 000$ et plus et d’un peu plus de 100$ pour les bas salariés.

Ce serait la deuxième année que le gouvernement s’abaisse à ce genre de mesure d’«indécence fiscale». Déjà, en 2022, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a versé, par deux fois, des chèques de 400$, 500$ ou 600$ pour un total de plus de 7 milliards $. Une mesure de «lutte à l’inflation», prétendument. Or, les économistes le savent, on ne lutte pas contre l’inflation par des cadeaux ponctuels en liquide, mais par des mesures structurantes comme du logement abordable, de meilleurs soins de santé ou un traitement plus équitable des aînés, comme le réclame le Réseau FADOQ depuis des années de manière répétée.

Le gouvernement caquiste se méprend s’il croit que les Québécois sont fatigués de payer des impôts. Ils sont d’abord fatigués de ne pas en avoir pour leur argent. Dans l’état actuel des services gouvernementaux, une baisse d’impôt n’a aucun sens. Elle témoigne du niveau de confiance d’un gouvernement sans vision, mais solidement réélu pour encore trois ou quatre ans. Un gouvernement brouillon, qui veut toujours aller trop vite, comme il vient encore d’en faire la démonstration avec le cafouillage numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Grâce au plein-emploi et à une économie robuste, la situation fiscale du Québec n’a jamais été meilleure. Malheureusement, ce n’est pas la vision qui caractérise la CAQ, et des baisses d’impôt récurrentes ne sont en définitive pas la chose à faire pour un gouvernement qui engrange des revenus records. Il y a 15 ans, le gouvernement fédéral sous la gouverne des conservateurs de Stephen Harper s’est mis en mauvaise posture en réduisant son assiette fiscale à travers la baisse de la taxe sur les produits et services (TPS) de 7% à 5%. Et voici qu’un gouvernement conservateur «petit c» installé à Québec veut refaire le coup du conservatisme fiscal sans vision.

Les économistes le savent, on ne lutte pas contre l’inflation par des cadeaux ponctuels en liquide, mais par des mesures structurantes comme du logement abordable, de meilleurs soins de santé ou un traitement plus équitable des aînés. Photo: Depositphotos

Des idées à la tonne

La logique voudrait que si on hésite sur la manière de dépenser cet argent, on le mette en réserve quelque temps jusqu’à ce qu’on soit fixé. Eh non! On opte pour une politique sans vision: un nouveau bonbon fiscal que le Collectif pour un Québec sans pauvreté estime à hauteur de 7,4 milliards $.

Une baisse d’impôt est encore plus obscène que des chèques versés également à tout le monde. Elle avantage les plus riches, qui ont plus de revenus discrétionnaires, alors que les moins nantis n’en touchent que des miettes malgré des besoins criants. Une société tombe bien bas quand on en est réduit à dire qu’il aurait été préférable d’envoyer un chèque à tout le monde.

Or, quand on considère le total des réductions d’impôt à gogo anticipé pour 2023 et la mitraillade de chèques fiscaux de 2022, soit deux fois 7 milliards $, cela correspond très exactement à ce que Québec réclame d’Ottawa pour régler le sous-financement de la santé. Le mois dernier, le premier ministre François Legault se désolait de la pingrerie d’Ottawa dans les transferts fédéraux en santé, qui ne lui accordait qu’une hausse de 1 milliard $ alors qu’il en réclamait six ou sept. Mais l’argent, on l’a! On le donne!

Avec 7 milliards $ qu’il lance à tout vent, le gouvernement Legault serait en mesure de remplir toutes ses promesses aux aînés, dont plus de 40% n’ont aucun régime de retraite et vivotent des aides de l’État, qui refuse de leur rembourser une prothèse auditive sur deux. 7 milliards $, c’est le double de la facture totale des 3 840 places des maisons des aînés. 7 milliards $, c’est plus qu’il n’en faudrait pour régler le problème des soins dentaires de base, qui ne sont pas remboursés. Combien de Québécois n’ont pas les moyens de payer les 300$ annuels pour leur hygiène buccale? Et que dire des centaines de milliers qui en sont réduits à se faire arracher une dent parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer les 1035$ que coûte un traitement de canal?

7 milliards $, c’est ce qu’il en coûterait pour installer durablement un meilleur soutien aux aînés à travers de meilleurs soins à domicile et des proches aidants mieux appuyés financièrement. Après tout, 630 000 Québécois agissent comme proches aidants au moins cinq heures par semaine, dont 200 000 qui dépassent 20 heures. Et le plus absurde dans tout cela, c’est que chaque dollar investi en soins à domicile et en soutien aux proches aidants permet d’en économiser 5, 10, 20$ en soins hospitaliers d’urgence. Mais non, jetons plutôt l’argent par les fenêtres!

7 milliards $, c’est ce qu’il en coûterait pour construire 160 000 logements abordables et sortir toutes les régions de la crise immobilière qu’elles traversent. Certes, la montée de l’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont freiné la folie immobilière, mais les loyers sont toujours aussi inabordables et les mal-logés sont toujours aussi mal logés pour la simple raison que la réserve immobilière est à zéro. Que faire? La solution Legault: faisons du saupoudrage. C’est misérable.

7 milliards $, cela permettrait de lancer un plan d’économie d’énergie musclé. Rappelons ici qu’Hydro-Québec, pour réussir sa transition énergétique, devra investir des milliards pour augmenter sa production de 33 à 50% d’ici 25 ans. À moins de trouver le moyen de réduire durablement la pression par des mesures d’économie structurelles. Alors, on fonce? Non, non, il faut couper un point d’impôt!

Devant l’insistance bête du gouvernement à réduire les impôts, on est bien obligé de conclure que le premier ministre François Legault, son ministre des Finances Eric Girard et la trâlée qui forme son cabinet ne veulent absolument pas régler les problèmes auxquels un gouvernement normal devrait s’attaquer.

Gouverner, ça ne consiste pas à cocher son programme électoral en disant: «On a promis une baisse d’impôt, on vous l’offre, merci de nous avoir élus.» Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais le courage et l’imagination.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.