Gaz Bar Blues chez Duceppe: plein de super!
C’est le genre de spectacle comme on n’en voit pas si souvent. L’adaptation théâtrale du film Gaz Bar Blues de Louis Bélanger, chez Duceppe, mérite tout plein de superlatifs. Drôle, pertinente, efficace, d’actualité, cette production est une occasion de faire le plein d’émotions diverses. Gaz Bar Blues, qui est présentement à l’affiche à Montréal, partira ensuite en tournée* avec notamment une vingtaine de représentations au théâtre La Bordée de Québec. Faut voir ça!
En 2003, le film Gaz Bar Blues a fait plus d’un million de dollars au box-office. Le Québec était tombé sous le charme de ce long-métrage qui mettait en vedette un Serge Thériault à mille lieues de ce qu’il faisait dans Paul et Paul, Ding et Dong, et La petite vie.
Il faut dire que le personnage de François Brochu, «le Boss», est un rôle en or. Voilà un bon père de famille, veuf, atteint de Parkinson, qui voudrait tellement que ses garçons prennent le relais de son commerce. Mais le monde change autour de lui, les valeurs dans lesquelles il croit se perdent. Même son gaz-bar est menacé de disparition par la nouvelle manière de vendre de l’essence, le si impersonnel libre-service.
On retrouve tout ça sur la grande scène du théâtre Duceppe. C’est Martin Drainville qui prête ses traits au bon Monsieur Brochu avec une humanité aussi touchante que réservée. Vous savez, ce genre d’homme qui impose le respect par l’exemple, qui résiste sans jamais lever le ton.
Pour accentuer le clash entre le bon boss et le monde rock’n roll qui l’entoure, la metteuse en scène Édith Patenaude a eu la bonne idée de faire un mur autour du gaz-bar de François Brochu. Sa station-service est encerclée par un band, celui de son fils Guy, qui ne jure que par la musique. (Rappelez-vous le célèbre «es-tu debout, Guy?»)
On comprend que pour Guy, il y a plus de plaisir à faire de la musique qu’à s’ennuyer à périr à attendre des clients qui ne viennent plus et subir les propos creux de ceux qui ont fait de la station-service leur seconde maison.
Qu’ils aient une réplique à dire ou pas, les comédiens sont constamment sur la scène. Ils restent là pour ponctuer l’action avec l’instrument de musique qu’on leur a attribué. Guitare, basse, batterie, percussions, saxophone, harmonica, on ne peut qu’être admiratif devant la polyvalence des acteurs qui sont aussi bons à être leur personnage (certains incarnent plus d’un personnage) qu’à interpréter l’excellente et omniprésente trame musicale du compositeur Mathieu Désy. Ce mélange de théâtre et de musique donne quelque chose d’unique et rare à ce spectacle.
C’est le comédien Steve Lee Potvin, très actif à Québec et peu connu à Montréal, qui a hérité du rôle de Guy, le fameux frère de Louis Bélanger devenu le formidable harmoniciste que l’on sait. Le vrai Ti-Guy Bélanger lui-même m’a confié que le comédien choisi pour l’incarner ne maîtrisait pas la musique à bouche lors de son audition. Il lui a donc prodigué quelques conseils. Le soir de la première, le musicien était ébahi du résultat sur scène. Et pour cause, c’est assez stupéfiant!
Il faut dire que cette production a bénéficié de nombreuses sessions de travail en résidence. Juste pour la musique, on parle d’une centaine d’heures de répétition. Ça paraît!
Dans le rôle de Réjean, alter ego de Louis Bélanger, Frédéric Lemay fait bien passer la frustration qui habite cet aîné de la famille qui ne veut rien savoir de marcher dans les traces de son père. Comme dans le film, Réjean a juste une envie, aller en Allemagne pour immortaliser en photos la chute du mur de Berlin, l’événement qui monopolise l’attention dans les médias en 1989, l’année où se passe la pièce. Il en reviendra bien penaud parce que même les grands changements de société tant souhaités peuvent être source de déception.
Seule différence avec le scénario original de Louis Bélanger, plutôt que d’avoir trois garçons, Monsieur Brochu a deux fils, et une fille, jouée avec aplomb par Miryam Amrouche. Cela permet à la pièce de montrer combien le machisme était rampant dans la culture québécoise il y a 30 ans.
Avec sa stature, qui m’a rappelé la prestance d’Ovila Légaré, Claude Despins en impose dans le rôle du mécanicien un peu bougon Gaston Savard.
Bertrand Alain, un autre comédien de Québec qu’on gagne à découvrir, donne une touche savoureuse à son Jos, le simplet bien informé. À entendre son accent si caractéristique, on a vraiment l’impression d’être à Limoilou, dans la basse-ville, là où l’action est campée, là d’où viennent les Bélanger.
Le reste de la distribution est composée de Francis Lahaye, Jean-François Poulin et Hubert Lemire, qui nous bluffent en passant d’un personnage à l’autre en plus d’être d’épatants musiciens.
Le soir de la première, j’ai eu le privilège d’être assis rangée G, exactement derrière Louis et Guy Bélanger. De voir les deux frères réagir à leur jeunesse recréée avec autant de brio sur scène m’a procuré un plaisir supplémentaire. Quelque chose qui contribuait à me ramener près de la réalité.
Car on ne s’y trompe pas, Gaz Bar Blues c’est une tranche de vie quotidienne transposée avec réalisme et poésie. Comme le film, ce spectacle carbure à la simplicité des mots et des idées. C’est vrai. Ça nous ressemble. Ça nous parle.
Dans son adaptation pour la scène, David Laurin, codirecteur artistique de la compagnie Duceppe, a su insuffler à ce spectacle l’esprit du théâtre populaire qu’a toujours défendu Jean Duceppe, le fondateur de cette compagnie. On ne pouvait trouver meilleure façon de célébrer les 50 ans du théâtre Duceppe qu’avec cette pièce.
* Les villes visitées par la tournée de la pièce Gaz Bar Blues sont, par ordre chronologique, Belœil, Joliette, Longueuil, Laval, Saint-Jean-sur-Richelieu, Lac-Mégantic, Sherbrooke, Victoriaville, Gatineau, Rimouski, L’Assomption, Sainte-Geneviève, Brossard, Trois-Rivières, Terrebonne, Shawinigan, Saint-Jérôme, Sainte-Agathe, Saint-Hyacinthe et Salaberry-de-Valleyfield.