La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Miami-New York en train: mon carnet de bord

Après une semaine à explorer les Keys et Miami (je vous en reparle bientôt!), me voici à bord du train Silver Meteor d’Amtrak, qui transporte des voyageurs depuis novembre 1939. Un trajet de 2235 kilomètres en 27 heures. Je vous emmène?



Les voyages en train n’ont pas tellement la cote aux États-Unis. Plutôt désuets, les wagons n’ont rien à voir avec ceux des convois européens. Je rêve néanmoins depuis longtemps de faire de longs itinéraires sur rail au pays de l’Oncle Sam.

Histoire de bien profiter du voyage, j’ai réservé une roomette, petite cabine pour une ou deux personnes sans douche, toilette ou lavabo. À 547$, je n’ai même pas osé regarder le prix de celles qui en sont équipées.

8h05: tout le monde à bord!

Je suis excitée comme une puce au moment de dégainer mon billet. L’agent de bord a un fort accent que mon oreille a du mal à géolocaliser. Vient-il du Sud? De New York? En tout cas, je comprends que ma cabine est la deuxième à droite. Surprise! J’ai une douche, un lavabo et une toilette! Aurais-je été surclassée?

8h25: Oups!

Non. J’ai seulement mal compris.

Je reprends mes bagages et suis l’agent qui m’escorte jusqu’à ma roomette, qui m’apparaît toutefois plus accueillante que la grande cabine.

«Vous pouvez verrouiller la porte», dit-il

Une vingtaine de minutes après le départ, j’appuie sur le bouton qui me permet de le joindre et lui demande de préparer ma chambre pour «la nuit». Le train a toujours un puissant effet calmant sur l’insomniaque que je suis. Je tente de rester réveillée pour ne rien manquer des paysages, mais c’est difficile!

Il tire la couchette du haut, où est dissimulé un matelas, qu’il installe en bas. J’ai des draps et une couverture plus chaude. Je suis prête pour la première d’une longue série de siestes.

Ma roomette petite cabine pour une ou deux personnes sans douche, toilette ou lavabo. Photo: Marie-Julie Gagnon

12h: L’arrière-scène

Je ne dors pas, je suis beaucoup trop curieuse de regarder par la fenêtre. Flowers de Miley Cyrus m’accompagne une partie du trajet (je ne calcule plus le nombre d’écoutes).

Je privilégie généralement le train pour prendre la mesure du territoire et admirer les paysages. Cette fois-ci, j’ai plutôt l’impression de me retrouver dans les coulisses de la vie américaine. Derrière les hôtels et les bâtiments floridiens, ma fenêtre encadre des enfilades de stationnements et de murs remplis de graffitis. Des déchets – parfois carrément des dépotoirs – jonchent la voie. Voilà qui contraste avec l’aspect plus lisse des gares des stations balnéaires populaires.

Je ne dors pas, je suis beaucoup trop curieuse de regarder par la fenêtre. Photo: Marie-Julie Gagnon

13h: Mon premier repas à bord

Comme j’avais mangé avant de quitter mon hôtel, j’ai attendu le dîner pour tester la «gastronomie» d’Amtrak.

Premier constat: mon agent de bord ne me comprend pas non plus. Je me retrouve avec un repas végé que je n’ai pas commandé, mais qui sent plutôt bon. Dans les deux boîtes se trouvent: une salade, un pain caoutchouteux et un dessert que je ne mangerai pas, de nombreux sachets de sauces et de vinaigrettes et des nouilles thaïlandaises.

Bien que les épices fassent diversion, mes papilles ne sont pas dupes: c’est dégueulasse. Avec un giga D. Les pâtes sont tellement cuites qu’il me suffirait d’appuyer avec ma fourchette pour en faire une purée.

Heureusement, j’ai pensé à tout: j’ai des bonbons, des chocolats et des barres tendres de survie!

Bien que les épices fassent diversion, mes papilles ne sont pas dupes: c’est dégueulasse. Avec un giga D. Photo: Marie-Julie Gagnon

14h: Winter Park

Bientôt six heures que le train a quitté Miami. Me voici à la gare de cette banlieue plutôt cossue d’Orlando que j’avais beaucoup aimée lors de mon séjour dans le secteur, en décembre dernier. J’ai déjà une sieste à mon actif… ou plutôt, à mon passif. Que j’aime cet état de demi-sommeil contemplatif!

Encore une fois, je me dis que la façade de la gare donne une fausse impression de luxe à bord. L’idée de voir embarquer des vacanciers avec baskets Gucci et sacs Vuitton me fait sourire.

Je n’aperçois personne monter.

Je me rendors.

18h: Manger ou ne pas manger… là est la question!

Ce soir, je m’offre la totale: un repas dans la salle à manger. Cela ne change rien au prix: les mets sont tous inclus avec la location d’une roomette. Comme je compte me coucher tôt, j’ai opté pour le premier service.

«Service» est ici un bien grand mot. En réalité, deux personnes s’affairent à préparer les repas qui seront servis aux chambres, option privilégiée par la majorité des passagers.

La chorégraphie semble bien rodée: l’une dispose les pains enveloppés dans du papier d’alu, pendant que l’autre s’occupe des plats chauds.

Seuls un jeune blondinet, un homme en train d’engloutir le même plat que celui que j’ai mangé ce midi et un couple qui semble très amoureux se trouvent dans le wagon. Le premier repart avec ses boîtes repas suremballées. L’air satisfait du second me rappelle que tous les goûts sont dans la nature, hein.

Le wagon restaurant. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je me lève pour aller chercher ma commande.

Ont-ils mis de la colle dans mes pommes de terre? C’est la première question qui me vient à l’esprit quand je soulève le papier d’alu qui recouvre mon plat. Quelques carottes et fèves vertes pataugent dans une sauce douteuse. En farfouillant, je trouve quelques morceaux de bœuf. Décidément, les repas rappellent davantage les plats d’hôpitaux que d’avion. Au moins, mon «manger mou» goûte meilleur que le laissait présager son apparence.

Je jette un coup d’œil à la cuisine. Le tandem aux commandes semble s’amuser. Pour la trame sonore, j’hésite entre les ballets Roméo et Juliette ou Don Quichotte.

Mon souper. Photo: Marie-Julie Gagnon

19h11: Bienvenue à Savannah, Géorgie

Alors que le soleil descend doucement, je tire le rideau pour voir à qui appartiennent les voix entendues plus tôt. Parmi les rares passagers de mon wagon au départ, je constate qu’un couple aux têtes grisonnantes s’est installé dans la roomette d’en face. Sont-ils montés un peu plus tôt, à Jacksonville? J’ai dû m’endormir encore, je ne parviens pas à situer le moment de leur arrivée. Je les salue timidement et tire à nouveau les rideaux, écouteurs antibruit vissés aux oreilles. Musique et rails forment un parfait duo.

Musique et rails forment un parfait duo. Photo: Marie-Julie Gagnon

3h30: Pause pipi

J’ouvre les yeux quelque part entre la Caroline du Nord et la Virginie. Je n’ai aucune idée de l’heure à laquelle je les ai fermés. Bercée autant par le roulis que par les voix de Melody Gardot, Lana Del Ray, Patrick Watson et Florence + the machine, j’ai perdu la notion du temps.

Est-ce un grognement ou des ronflements, que j’entends?

Je me résigne à aller aux toilettes, tout au bout du wagon. Ma voisine ouvre sa porte en même temps que moi. C’est la première fois que je l’aperçois. En plein milieu de la nuit!

Je me rendors après avoir parcouru les actualités dans mes applications mobiles avec, en arrière-plan, les ronflements-grognements d’un inconnu.

7h35: Good morning!

Washington. Le ciel rose m’indique l’heure avant que je regarde ma montre.

Les feuilles jaunâtres semblent figées aux branches. Je suis bien loin de la luxuriance de la Floride.

J’aperçois des autobus scolaires, des rangées de maisons pareilles, des files de voitures, des carcasses de véhicules non identifiés…

Je constate en allant aux toilettes que mes voisins d’en face sont partis.

8h10: Des Cheerios à Baltimore

J’appelle l’agent de bord pour qu’il reconfigure ma cabine et apporte mon déjeuner.

Au menu: yogourt et Cheerios. Au moins, je reconnais ce que je mange.

Le train va plus vite que les voitures qui défilent sur l’autoroute.

8h30: Dans la brume

Perryville est sous le brouillard. Je regarde sur Google Maps pour identifier le pont qui enjambe la rivière. «Le pont commémoratif Thomas J. Hatem est un pont routier dans le nord-est du Maryland qui traverse la rivière Susquehanna entre Havre de Grace et Perryville via Garrett Island», m’apprend Wikipédia.

8h55: Jésus me salue

Quelque part dans le Delaware. Un panneau géant garni de croix annonce que la mission sert des déjeuners et que «Jésus sauve».

Bientôt, la Pennsylvanie.

9h23: Philadelphie baby!

Aperçus depuis ce matin: des stationnements de camions et d’autobus, des maisons qui semblent copiées-collées, un cimetière et de nombreux bâtiments désaffectés. J’y vois une sorte de poésie trash, parfaitement sale et rugueuse.

Alors que nous approchons de Philadelphie, l’amatrice de street art en moi est ravie. Parmi les premières villes à avoir vu émerger les tags sur les trains et le long des chemins de fer, Philly me donne des envies de hip-hop. Je repère des signatures à des endroits improbables, imaginant les artistes suspendus sous les ponts et les viaducs.

J’arrête mon choix sur The Roots.

Alors que nous approchons de Philadelphie, l’amatrice de street art en moi est ravie. Photo: Marie-Julie Gagnon

10h40: Salut, New York!

«Nous arriverons plus tôt que prévu», me prévient l’agent de bord. Je me demande si je l’ai encore mal compris. Mais non: quelques minutes après, une voix annonce notre arrivée imminente à New York.

Le train devait entrer en gare à 11h48. À 10h50, je tire ma valise vers la sortie.

Alors que New York m’ouvre grand les bras, je dois déjà lui dire au revoir: d’autres aventures m’attendent de l’autre côté de l’océan.

La gare de New York. Photo: Marie-Julie Gagnon