À voir et à lire
Au menu cette semaine: le documentaire Une histoire sur le goût de la langue et le livre Ninanimishken – Je marche contre le vent de Florent Vollant et Justin Kingsley.
Parlons français
Le français. Voilà un sujet qui a fait jaser en 2022, et qui continuera de le faire en 2023. On ne parlera jamais trop du fait français au Québec. Merci à la réalisatrice Hélène Choquette d’alimenter la conversation avec son documentaire Une histoire sur le goût de la langue à voir en salle présentement et à Savoir média en janvier.
Hélène Choquette commence son film sur un extrait de la chanson Mon pays interprétée par son auteur Gilles Vigneault. Elle nous dit alors qu’elle est née l’année de la tempête du siècle (1971). Ça veut donc dire que dans ce pays de poudrerie où la neige au vent se marie, elle a été témoin de l’élection du Parti québécois, de l’adoption de la loi 101, de l’échec des deux référendums tenus par les indépendantistes en 1980 et 1995, du rapatriement de la constitution sans la signature du Québec. Autant de tempêtes politiques très liées au sort de la langue française en ce pays.
Aujourd’hui dans la cinquantaine, et devant la menace qui plane sur l’usage du français, la réalisatrice a voulu savoir comment le Québec est parvenu jusqu’à ce jour à préserver cette langue héritée d’explorateurs venus du pays de Molière.
Le voyage que nous propose Hélène Choquette commence en 1760, lorsque la France nous abandonne et que s’installe la monarchie britannique. Les intervenants que la documentariste amène à la barre notent différents facteurs qui ont contrecarré les ambitions britanniques d’assimiler le peuple conquis.
On pense bien sûr à la revanche des berceaux, mais il y a aussi le fait que les Britanniques protestants n’ont pas tant envie d’aller s’établir dans un pays largement peuplé par des catholiques qui ne parlent pas leur langue. Autre point intéressant, à l’époque, le français était une grande langue, celle de la diplomatie, appréciée des élites anglo-saxonnes. Pour la sociolinguiste Chantal Bédard, nous aurions parlé le néerlandais, nous n’existerions plus. «Y’a que le français qui pouvait survivre, à cause de son prestige», conclut-elle.
Évidemment, la cohabitation de l’anglais et du français a une incidence sur la manière dont les francophones s’expriment. Tout un vocabulaire local voit le jour. Il est amusant d’apprendre d’où viennent des expressions encore en usage aujourd’hui, comme une blonde, un bougon, une carriole.
Concernant la période des patriotes, on nous rappelle que le mouvement de rébellion de 1837 n’était pas tant pour la défense du français. Des anglophones portaient aussi l’étendard vert, blanc et rouge des patriotes. Le rappeur Biz, du groupe Loco Locass, raconte combien son ancêtre, le poète et écrivain Louis Fréchette, a été déçu d’entendre son idole Louis-Joseph Papineau haranguer la foule réunie au parlement de Montréal en anglais seulement. La langue française cessera d’être interdite au parlement du Canada-Uni en 1848.
L’historien Éric Bédard soutient pour sa part que c’est bien après la rébellion que le nationalisme des francophones deviendra culturel, dans le sens que la langue et la culture, liées à la religion, serviront à définir les Canadiens, lesquels deviendront alors des Canadiens français, puis des Québécois français, et finalement des Québécois tout court.
Après presque 100 ans d’occupation britannique, la langue française pâtit des assauts de l’anglais. Hélène Choquette nous en fait la démonstration en dressant une liste sommaire d’anglicismes, de barbarismes et de solécismes en usage autour de 1860, comme dire d’un long trajet que c’est une «bonne trotte».
En avançant dans l’histoire, on verra aussi combien la domination des anglophones dans l’économie et le peu de scolarisation des francophones appauvriront encore davantage le français parlé dans la province de Québec.
J’avoue que c’est assez douloureux de constater l’état pitoyable du français avant la Révolution tranquille. Le vocabulaire était truffé de mots anglais. Pas besoin d’être si vieux pour se souvenir de l’époque où un char était constitué d’un hood, d’un windshield, d’un sterring, entre deux bumpers.
La linguiste Marie-Éva de Villers explique comment l’Office québécois de la langue française nous a fait prendre le virage de la francisation. Au-delà de 700 documents de terminologie française seront produits pour que la vie se fasse enfin en français au Québec.
Pour ça, il aura fallu les Pierre Bourgault (quel tribun!), Guy Rocher (quel penseur!), René Lévesque (quelle inspiration!), Camille Laurin (quelle audace!), et autres, pour bousculer l’ordre établi, créer un système scolaire digne de ce nom, donner aux Québécois francophones confiance en eux, obliger les immigrants à apprendre le français.
Le documentaire fourmille de films d’archives qui nous font revivre avec émotion toutes ces batailles pour faire prévaloir avec succès la langue française chez nous.
C’est un baume d’entendre l’auteur-compositeur-interprète anglophone Jim Corcoran dire comment il a pris fait et cause pour le français dans sa pratique artistique. Pour exister, une langue doit être chantée, dit-il avec raison, appelant les gouvernements à avoir des programmes d’aide à la musique francophone plus généreux pour aider le français à rayonner.
Alors, on se complaît devant cette formidable résistance passée? On se satisfait des avancées gagnées au fil des ans? Non. Une histoire sur le goût de la langue se termine en s’interrogeant sur le présent, pas toujours rassurant. Je vous laisse découvrir les points de vue.
Personnellement, je m’inquiète de la facilité qu’il y a à consommer des produits culturels en anglais, sur Netflix par exemple, au détriment des contenus locaux et en français. Je m’alarme du retour de l’appauvrissement de la langue française dans les communications publiques, dans l’affichage. Je trouve préoccupant l’exode des francophones hors de Montréal. Si on veut que les immigrants parlent français, il faut qu’il y ait des francophones dans la conversation. Si on veut que le français résiste, il faut aussi faire l’effort de bien le parler, éviter les mots en anglais, insister pour que le français ait droit de cité au travail, dans les commerces, dans les communications. Nous sommes tous responsables de l’avenir du français.
Parlons français!
Des projections du film Une histoire sur le goût de la langue ont lieu à la Cinémathèque québécoise jusqu’au 23 décembre et au Cinéma Cartier de Québec jusqu’au 22. Une version de 60 minutes sera présentée le 23 janvier à 20 h à Savoir média.
LU: Ninanimishken – Je marche contre le vent de Florent Vollant et Justin Kingsley
Je termine l’année avec un livre, Ninanimishken – Je marche contre le vent, aussi important que Kukum l’a été pour moi en 2021. Là où Michel Jean racontait l’histoire de ses ancêtres du lac Pekuakami, l’auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant fait le récit de son propre parcours, d’Indian Point, sur les bords du lac Wabush, au quartier hassidique d’Outremont, en passant par Maliotenam. Des forêts de la Côte-Nord aux grandes scènes du monde, en passant par l’enfer des pensionnats de six ans à l’adolescence, celui de la prison à 18 ans, et de l’hôpital où il aboutit à 61 ans, victime d’un AVC.
Dans ce livre, écrit en collaboration avec Justin Kingsley, Florent Vollant commence en évoquant, avec une émotion palpable, sa petite enfance à jouer dehors par -40 degrés. Il a le souvenir de vivre alors en parfaite harmonie avec la nature. Les membres de sa famille connaissent et respectent l’environnement dans lequel ils évoluent. Ils y sont heureux et ne manquent de rien jusqu’au jour où les siens sont délocalisés vers les réserves, et lui, envoyé au pensionnat.
Comme dans Kukum, on sent que c’est un point de bascule.
Florent Vollant nous fait vraiment comprendre ce que représente cette tragédie pour ceux qui ont goûté à ce déracinement. Dans son cas, pas de sévices de la part des religieux. Tout le temps qu’il passe au pensionnat, il fait exactement ce qu’on lui demande au point d’obtenir des notes parfaites et de devenir l’élève idéal. Mais au fond de lui naît un terrible sentiment de trahison. Cette éducation classique en français l’a conduit à renier ses propres origines. La culture qu’il a docilement gobée n’est pas la sienne.
À la fin du secondaire, cette docilité lui pèse et il explose. Les pages où il revient sur son retour à la maison familiale, dans un foyer désormais dysfonctionnel, sont déchirantes. On a peine à croire que le Florent Vollant doux et modéré que l’on connaît ait pu être un jour à ce point délinquant.
C’est la musique et son grand-père Pilot qui le réhabiliteront. La musique parce qu’elle lui permet de s’exprimer. Son grand-père parce qu’il lui redonne les outils pour redevenir un véritable Innu qui connaît et respecte l’environnement, fier de sa spécificité.
Au fil du livre, Florent Vollant n’hésite pas à dire les choses comme il les pense, prenant par exemple à partie le premier ministre Legault pour son refus d’accepter le concept de racisme systémique. Il ne manque pas non plus de dénoncer les injustices ou les mauvais traitements qu’on fait subir aux siens, comme le cas de Joyce Echaquan.
Sur le plan professionnel, l’auteur du grand succès Tshinanu fait le détail de ses années tumultueuses passées aux côtés de Claude McKenzie dans le duo Kashtin, de sa grande amitié avec les trois Richard (Séguin, Desjardins et Zachary), et de son immense satisfaction d’avoir créé dans son patelin, Maliotenam, un studio d’enregistrement fréquenté autant par les grands noms de la musique québécoise que la relève de la place.
Même si Florent Vollant est très modeste dans ses récits, sa biographie nous fait réaliser l’ampleur que sa carrière a eue auprès des communautés autochtones et au-delà. Très sollicité partout, il a joué avec de grands noms de la musique, notamment avec l’Orchestre symphonique de Montréal et son chef Kent Nagano, pour lequel il a une admiration sans bornes. Il a aussi milité pour les droits d’auteurs en compagnie des Michel Rivard, Gilles Vigneault, Lise Aubut, Édith Butler, Luc Plamondon, Diane Juster et autres…
La liste des honneurs qu’il a reçus est impressionnante, mais l’artiste ne se laisse pas berner par la gloire. Le titre du livre, Ninanimishken (Je marche contre le vent), fait justement référence au danger qu’il y a à se laisser porter par le vent qui nous pousse dans le dos.
«J’ai toujours dû marcher contre le vent. Toujours. Ce n’est pas une mauvaise chose, vous savez. Avec le temps, quand on n’a pas le choix, surmonter les vents contraires, à force de travail et de persévérance, nous endurcit. […] Je me suis fait des muscles, j’ai exercé mon esprit, développé mes propres principes, et j’ai résisté à toutes les tentations avec des pensées positives et sereines. Et tout ça parce que j’étais contre le vent, man.»
Le livre est écrit dans une langue qui semble bien traduire la façon qu’ont les Autochtones de s’exprimer et d’appréhender la vie. On comprend mieux ce que veut dire être à l’écoute de la nature, qu’il soit dans une forêt de la Côte-Nord à faire du portage avec les siens ou à arpenter le mont Royal à Montréal avec son coauteur ou son ami Richard Séguin.
Comme les aînés de sa communauté l’ont fait avec lui, Florent Vollant nous fait profiter de sa sagesse en partageant un peu le vent de face que la vie lui a soufflé au visage. Nous en sortons plus instruits de ces peuples premiers avec qui nous cohabitons depuis si longtemps sans vraiment les connaître.