RPA: l’heure d’un grand ménage

Il est plus que temps de faire le ménage dans la gestion et l’encadrement des résidences pour aînés (RPA). La récente annonce de la faillite du Groupe Sélection et celles des transformations de RPA en immeubles à logements ou en condos qui ont fait la manchette depuis deux ans témoignent du laxisme et du manque de règles claires dans ce secteur. Un laxisme qui se fait sur le dos des aînés et qui a assez duré.



Le scénario se répète depuis des lustres parce que le ministère contrôle peu ou mal un secteur privé qu’il subventionne de toutes les manières. Un sujet non seulement d’actualité, mais d’importance, parce que le Québec est le champion des RPA au Canada. Selon une étude de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), 18,4% des aînés de 75 ans et plus optent pour une résidence privée pour aînés. Dans les autres provinces, cela oscille entre 1,9% et 10,5%.

Une privatisation partielle cachée

L’offre de services médicaux que mettent de l’avant les promoteurs des 1750 RPA du Québec explique en bonne partie l’engouement des aînés québécois pour ce type de résidence. Le sous-développement chronique des soins à domicile a ainsi conduit à une privatisation partielle et cachée de ce secteur de la santé depuis 25 ans.

Bien que les centres locaux de services communautaires (CLSC) offrent des services de maintien à domicile aux locataires des RPA autonomes, la perspective alléchante de la présence d’une infirmière et d’autres types de services médicaux ou de soutien influence certes la décision de nombre d’aînés.

Les CLSC manquent cruellement de personnel et de budget pour accomplir cette partie essentielle de leur mandat. Et sur le site de Résidences Québec, il est clairement indiqué que l’avantage des services offerts en RPA est qu’il n’y a pas d’attente comme au CLSC.

Même les RPA qui s’adressent à une clientèle autonome font presque tous valoir, dans leur publicité, la qualité des soins qu’ils sont en mesure d’offrir, notamment par la présence de médecins, d’infirmières et d’aides-soignants.

Le gouvernement subventionne ces établissements de manières indirectes grâce à des crédits d'impôt qui sont reversées aux locataires pour couvrir cette part de services incluse dans leur loyer. Et c’est ainsi que bien des gens quittent leur logis pour s’installer dans une RPA dans le but premier d’améliorer leur perspective de recevoir de meilleurs soins à domicile quand ils en auront besoin.

C’est donc bel et bien d’une privatisation déguisée qu’il s’agit parce que ces soins à domicile devraient être entièrement assumés par le secteur public afin de maintenir les gens dans leur maison ou leur logement au lieu de les déplacer dans des RPA semi-subventionnées et mal contrôlées.

La récente annonce de la faillite du Groupe Sélection et celles des transformations de RPA en immeubles à logements ou en condos qui ont fait la manchette depuis deux ans témoignent du laxisme et du manque de règles claires dans ce secteur. Un laxisme qui se fait sur le dos des aînés et qui a assez duré. Photo: Jeremy Wong, Unsplash

Le grand n’importe quoi de la certification des RPA

Les misères du Groupe Sélection sont une autre facette du problème des résidences privées. Le «géant des RPA», qui loge 15 000 aînés dans 48 complexes sur tout le territoire québécois, s’est mis sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Le Groupe Sélection a beau expliquer que ses ennuis sont causés par sa division de construction et que cela ne peut affecter la qualité des services, personne n’est dupe. La seule façon dont une faillite de 272 millions $ puisse ne pas affecter les services serait que le groupe parvienne à vendre à gros prix deux ou trois RPA.

Mais si les éventuels acheteurs paient trop cher, ils risquent bien de tenter de rentabiliser leur mise en réduisant drastiquement les services, quitte à transformer leur RPA en simple édifice à logements, comme cela est arrivé aux résidents de la RPA Mont-Carmel. Un triste exemple que d’autres RPA pourraient avoir envie de suivre.

Or, la loi sur le bail autorise expressément les propriétaires de RPA certifiés à se soustraire à leurs obligations contractuelles en les autorisant à renoncer unilatéralement à leur certification. Ils deviennent alors de simples immeubles à logements, ce qui entraîne une perte de services pour les locataires. Ce problème n’est pas théorique puisque les cas se multiplient depuis dix ans. La poursuite lancée par les résidents de Mont-Carmel révèle à quel point cette privatisation des services est devenue dysfonctionnelle.

Les solutions sont connues

L’affaire «Sélection» met en relief l’absence de contrôles envers ces gestionnaires de RPA, souvent propriétés de multinationales. Au Royaume-Uni, les propriétaires de RPA certifiées doivent tous rendre compte publiquement et de manière détaillée de leurs services et de leurs états financiers. Rien de tel au Québec.

L’imposition de tels contrôles est nécessaire parce que, justement, les RPA ne sont pas censées être gérées comme de simples immeubles à logements ou des hôtels. C’est le sens même de leur certification: ils doivent offrir un service d’intérêt public à une clientèle spécifique qui y consacre par ailleurs une large part de ses économies sur la foi de services dont l’État devrait être le garant – plutôt que de fermer les yeux.

Des RPA bien gérées par des gestionnaires qui ont réellement à cœur le bien-être de leurs résidents, il y en a, et ils constituent certainement la majorité des 1750 RPA du Québec. Mais parce que le gouvernement n’exerce pratiquement aucun contrôle, les bons comme les mauvais reçoivent les mêmes fonds publics sans qu’on puisse discerner la moindre volonté d’éclairer la situation.

Outre de meilleurs contrôles, une autre solution pour le gouvernement serait de diversifier la propriété des RPA. Il s’agirait ici d’encourager davantage les organismes à but non lucratif (OBNL) d’habitations ou les actions coopératives, dont la vocation est, par nature, de s’occuper de leur monde – pas de générer un profit pour des actionnaires.

Cette façon de faire est encore peu valorisée par le gouvernement du Québec, qui leur met toutes sortes de bâtons dans les roues, notamment quant au financement. Et malheureusement, le gouvernement actuel a encore moins de sympathie pour cette approche que ses prédécesseurs.

Il faut toutefois se réjouir d’une évolution venue du Tribunal administratif du logement, qui autorise désormais les résidents d’une RPA certifiée à déposer une plainte conjointe. Pour la première cause entendue selon cette disposition cet été, les Jardins de Renoir à Laval devront verser 1105$ à chacun de leurs résidents (587 unités) pour «perte de jouissance» en raison des services non reçus durant les mesures sanitaires anti-COVID. Et il y aurait une trentaine d’autres causes similaires en attente.

S’il faut se réjouir d’une telle disposition, qui vient rééquilibrer le système en donnant aux résidents un outil pour faire respecter leurs baux, il ne s’agit encore que d’un avant-goût du ménage qui doit être fait.

Parce qu’entre la demande extrême pour des services et une offre déficiente en quantité et en qualité, il y a un problème de contrôle par un gouvernement qui n’assume pas sa responsabilité première.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.